13 Jeux de Mort

Un texte signé André Quintaine

Thaïlande - 2006 - Chukiat Sakveerakul
Titres alternatifs : 13 game sayawng, 13 Beloved
Interprètes : Krissada Terrence, Achita Wuthinounsurasit, Sarunyu Wongkrachang, attapong Arunnate

Depuis CUBE et la série des SAW, les films à épreuves sont en vogue et cela n’est pas pour déplaire aux producteurs qui y trouvent un investissement minimal. En effet, l’action de la plupart des films du genre se déroule dans un bâtiment. Du coup, inutile de prévoir des extérieurs et des déplacements coûteux. Il suffit d’un bon décorateur et le tour est joué.
Pourtant, 13 JEUX DE MORT est plus ambitieux, ne serait-ce que parce qu’il multiplie les extérieurs et les huis clos.
Pusit est définitivement quelqu’un que l’on peut classer dans la catégorie des loosers, terme de plus en plus à la mode ces temps-ci. Il vient de perdre sa petite amie, minable chanteuse dans un groupe. Il est également en cours de licenciement depuis que son collègue lui a piqué l’un de ses meilleurs clients. Son compte bancaire est dans le rouge et sa mère ne cesse de le harceler pour qu’il paie les études de sa petite sœur. Quant à sa voiture, elle vient d’être saisie par un huissier car il n’arrivait plus à payer les traites.
Alors que l’on se dit qu’il ne peut pas tomber plus bas, il reçoit un étrange coup de fil où on lui propose de l’aider à remonter la pente. Son interlocuteur lui propose 13 épreuves. S’il parvient à les surmonter, il remportera une coquette somme qui fera de lui un millionnaire ! Pusit accepte. La première épreuve n’a rien d’insurmontable puisqu’il doit tuer une mouche. Le jeu se corse dès l’épreuve suivante puisqu’il va falloir avaler l’insecte…
Dans la première partie du film, 13 JEUX DE MORT décrit son personnage principal et surtout son milieu professionnel et affectif. On pense alors avoir affaire à un film d’anticipation sur ce que sera l’Europe d’ici quelques années. Le travail de Pusit est précaire. Il est licencié dès que tombent ses premiers résultats négatifs en terme de vente. Au travail, on lui annonce qu’il sera de toute façon bientôt remplacé par le site web de l’entreprise où les gens achèteront directement plutôt que de passer par un commercial. Et puis, la concurrence est partout et elle n’est pas loyale. Son collègue lui pique ses clients et la jeune stagiaire payée au lance pierre créée pour la boîte et pour pas cher le fameux site web marchand bien plus avantageux pour les actionnaires que le poste de salarié de Pusit. Et pendant ce temps, Pusit est harcelé par ses créanciers… C’est donc sans vraiment avoir le choix qu’il accepte le jeu qui lui est proposé, un jeu fait par et pour la société : l’interlocuteur sait tout sur Pusit grâce au recoupement d’information via l’informatique et peut épier le moindre de ses gestes grâce aux caméras de surveillance.
13 JEUX DE MORT fait pourtant fi de toute théorie du complot. Le jeu n’est qu’un simple divertissement. Le film de Chukiat Sakveerakul ne délivre pas un message manichéen, ni même simpliste puisque les épreuves ne sont pas si abominables que ce que l’on pourrait imaginer à première vue. L’un des meilleurs exemples est celle où Pusit doit associer une chaise et le nouveau petit ami de son ex fiancée. Il pourrait associer les deux éléments en demandant au garçon de s’asseoir sur la chaise. Or, il n’y pense pas une seule seconde. Il choisit d’abattre la chaise sur le pauvre homme. Plutôt que de mettre la faute sur un quelconque « big brother » imaginaire, le film préfère nous interpeller sur nos responsabilités et essaye de nous faire comprendre que c’est à nous de changer la société.
Ne vous attendez pas non plus à voir des épreuves qui vont crescendo dans l’horreur et qui se termineraient par exemple, pas un assassinat ou un massacre. Le jeu ne tourne pas autour de la mort comme pourrait le laisser supposer le titre du film. Les épreuves sont plus légères, graveleuses, immorales, héroïques, etc. Les épreuves sont souvent drôles, même si elles font preuves de cynisme ou d’humour noir. L’une d’elles impose à Pusit de faire pleurer trois enfants dans une crèche. Pour une autre, il est invité dans un restaurant où une jeune femme lui sert un plat qu’elle lui a « concocté » elle-même… Il faut voir le malicieux sourire de la jeune femme qui apporte le met sous une cloche !
L’humour est l’un des éléments fondamentaux du film. Durant sa première partie, on rit souvent des épreuves « bon enfant », quoi qu’on en dise, que doit subir Pusit. Dans la deuxième moitié du film, en revanche, les choses deviennent plus sérieuses et la critique du film envers la société plus franche.
Si le début du film de Chukiat Sakveerakul est une charge sévère envers le capitalisme, la suite semble mettre en évidence les dérives de la société thaïlandaise qui oublie ses traditions et dont les membres deviennent de plus en plus individualistes. Le collègue qui vole les clients de Pusit ne peut porter plainte au commissariat contre lui car il ne connaît pas son nom. Dans l’une des épreuves, Pusit doit remonter le cadavre d’un vieillard qui est tombé dans un puits. Il doit ensuite appeler la famille pour qu’elle vienne le chercher et procéder à son enterrement. Le fils du vieillard et les petits enfants de ce dernier vivent à côté et ne se sont même pas rendu compte de l’absence du grand-père. Nous rencontrons deux personnes âgées dans le film. Chacun vit en reclus, dans des vielles maisons en piteux états. La génération actuelle, quant à elle, est n’est pas brossée dans le sens du poil par le réalisateur. Les hommes se tirent dans les pattes pour piquer le travail des autres et les filles sont toutes pareilles : coquettes, avec des manières vulgaires et ne s’intéressant qu’à des futilités importées des Etats-Unis (portables, télévision…) plutôt qu’à la société construite dans la sueurs par leurs parents. On notera à ce sujet la différence physique entre les filles rencontrées communément dans le film et l’héroïne, seule personne à s’intéresser à Pusit et à vouloir l’aider. Ses cheveux sont courts, elle est travailleuse, elle est vêtue de manière stricte et ne parle pas de manière criarde !
13 JEUX DE MORT est le second film de Chukiat Sakveerakul qui avait précédemment réalisé PISAJ, déjà un film d’horreur. Chukiat Sakveerakul démontre qu’il est possible d’allier divertissement et film à thèse. Nous avons déjà évoqué le second aspect du film précédemment. Le côté divertissement, quant à lui, est également parfaitement maîtrisé. C’est avant tout le scénario qui impressionne. Les séquences s’enchaînent avec harmonie sans montrer aucun temps mort. Parfois, un élément renvoie à une action qui s’est déroulée au début du film. Superbement efficace, les ficelles du scénario semblent à l’épreuve de toutes les critiques. On peut être pertinent sans être ennuyant, c’est sûr. Gros succès en Thaïlande, 13 JEUX DE MORT a remporté de nombreux prix, engrangé une séquelle et les droits ont été vendus à Weinstein pour un remake américain…


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- Article rédigé par : André Quintaine

- Ses films préférés : Frayeurs, Les Griffes de la Nuit, Made in Britain, Massacre à la Tronçonneuse, Freaks


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