Un texte signé Alexandre Lecouffe

Festival Mauvais Genre 2008

5. Interview de Christophe Lemaire, journaliste et membre du jury

Est-il vraiment nécessaire de présenter une légende comme Christophe Lemaire ? Pilier du magazine STARFIX dans les années 80 aux côtés de Christophe Gans, celui qui signait souvent ses articles sous le pseudo de Dan Brady est ensuite passé par la revue Le Cinéphage, et signe actuellement des rubriques ciné drôles et érudites pour Rock & Folk, Brazil2 et Mad Movies. En plus il est très sympa et il a oublié d’être prétentieux…qui dit mieux ?

Sueurs Froides : Vous êtes membre du jury du Festival Mauvais Genre deuxième édition ; aviez-vous entendu parler de ce festival auparavant ?
Christophe Lemaire : Oui, j’en avais entendu parler par hasard. En fait ma sœur connaissait très bien le concepteur de l’affiche du festival qui m’a laissé un mail et Gary Constant, le directeur, voulait que je fasse parti du jury l’année dernière ce qui n’a pas été possible, ils m’ont donc contacté à nouveau cette année et voilà…

Selon vous quels peuvent être la portée et l’intérêt d’un festival comme celui-ci qui a eu du mal à se construire d’une année sur l’autre ?
Oui, surtout par ces temps sarkoziens ! Bon ; moi j’ai connu un peu l’équivalent avec L’Etrange Festival à Paris et la première année de ce festival m’a fait penser à celui-ci. Il a commencé de la même manière avec très peu de moyens et au fur et à mesure on a vu arriver Canal+, les Inrocks et d’autres sponsors, ils sont passés d’une petite salle à un auditorium de 600 places. Pour moi, il devrait connaître le même sort, et là au deuxième jour il y a déjà plus de monde qu’au premier, c’est bon signe…

Et le fait que le festival soit en province ne le condamne-t-il pas à rester plus confidentiel ?
Non je ne pense pas, il y a bien le Festival de Cannes et L’Etrange Festival a maintenant lieu dans les villes de province comme Lyon ou Strasbourg (celui de Paris a été annulé l’année dernière). Je pense que c’est très important de développer des initiatives comme cela en dehors de Paris. En revanche, ce qui pourrait être intéressant serait de faire pour la promo deux ou trois projections de films importants à Paris et ensuite de poursuivre le festival ici, ce qui permettrait d’avoir un peu plus de presse.

Vous qui êtes un habitué des festivals français et européens depuis 25 ans quels conseils donneriez-vous pour faire perdurer et croître ce festival tout en gardant une certaine indépendance ?
Pour moi un bon festival est forcément fait par des passionnés ce qui évite de se faire bouffer, j’ai l’exemple du festival fantastique de San Sebastian (pas le grand mais le petit). Même cas de figure, il a commencé tout petit et sur 2-3 jours puis il a grandi assez rapidement et c’est maintenant le directeur (José Luis Rebordinos) qui freine un peu les programmations pour garder une certaine indépendance et liberté politique de sélection des films. De toute façon, je pense que c’est le genre de festival qui peut fonctionner aussi en réaction à l’ambiance un peu morose et politiquement correcte que nous connaissons actuellement. Ce n’est même pas le problème que les films soient tous géniaux mais c’est que les organisateurs soient passionnés et proposent des choses un peu différentes de ce qu’on peut voir habituellement (au hasard, un film de Besson sur TF1…)

Question qui revient souvent qu’en est-il de la santé présente et à venir du genre en France selon vous ?
Connaissant tous les réalisateurs de genre français, il n’y a toujours pas de mouvance c’est du coup par coup. Il n’y pas vraiment eu de films porteurs alors que c’est le cas en Espagne tout récemment avec des films comme L’ORPHELINAT et REC. Les seuls films français qui aient vraiment eu du succès sont LE PACTE DES LOUPS, PROMENONS-NOUS DANS LES BOIS et plus dernièrement ILS : encore une fois c’est du coup par coup ! Mais on oublie souvent de dire que les films de genre français marchent beaucoup mieux à l’exportation puis en DVD et lors de leur diffusion sur les chaînes du Câble. Exemple un film comme MALEFIQUE de Eric Valette qui passe en boucle sur le Câble marche beaucoup mieux qu’un film d’auteur chiant (type Doillon ou Guédiguian).

Que pensez-vous du phénomène que l’on a pu constater ces dernières années où on a vu des réalisateurs français partir tourner des films de commande aux États-Unis ?
Tous en sont revenus et je crois que le rêve américain a perdu de son attrait. Même Alexandre Aja, qui a un côté très américain dans sa façon de concevoir un film, a énormément de problèmes pour imposer son point de vue auprès des producteurs.

Qu’est-ce qu’on peut attendre des prochains projets français ? Il y a bien un espoir ?
Le problème c’est que ceux qui ont l’argent ne sont généralement pas cinéphiles et encore moins connaisseurs du genre fantastique. La seule boîte de production et de distribution intéressante à mon avis c’est Wild Bunch qui a distribué le dernier Romero, le Nacho Cerda et le deuxième film de Pascal Laugier, MARTYRS. A ce propos je pense que ce film fait partie des espoirs du genre en France avec le dernier film de Fabrice du Welz, VINYAN. En revanche, aucun des deux n’a été accepté à Cannes, dans aucune compétition ni à la Quinzaine ni ailleurs, ça n’intéresse pas les programmateurs.

Pourquoi à votre avis ? Ce sont des films qui dérangent et dont on veut minimiser la portée ?
Je crois qu’on est toujours pas prêt ce qui ne veut pas dire que les réalisateurs cités ne feront pas une grande carrière ; pour moi d’ailleurs ce sont les deux auteurs les plus intéressants du cinéma de genre francophone. Je suis prêt à parier qu’un type comme du Welz sera dans 3-4 ans à Cannes. Bon après je n’ai pas encore vu VINYAN mais après CALVAIRE je m’attends à quelque chose d’énorme. Je crois qu’on lui a demandé de couper une scène dans son film. Il a refusé, le film sera certainement interdit aux moins de 16 ans.

Avez-vous vu MARTYRS de Pascal Laugier ?
Oui, et en toute objectivité c’est une BOMBE ! Il sera d’ailleurs projeté au marché du film à Cannes où il va faire beaucoup de bruit. La commission a proposé une interdiction aux moins de 18 ans et la sortie qui était prévue le 18 juin 2008 va sans doute être repoussée en attendant un deuxième passage devant la commission de censure qui risque de ne pas changer la décision. Cette interdiction ça veut dire pas de diffusion sur des chaînes hertziennes, pas avant minuit sur les chaînes du Câble mais en même temps il va faire le tour du monde des festivals et il va devenir culte, j’en suis convaincu. Donc on en revient ce qu’on disait tout à l’heure il n’y a pas de mouvance « fantastique » en France mais seulement du coup par coup, c’est déjà pas mal !

Merci et bon festival !

Merci à Christophe Lemaire pour sa gentillesse, sa bonne humeur et sa disponibilité.


- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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