6 courts-métrages de Bertrand Mandico

Un texte signé Paul Siry

France - Bertrand Mandico
Interprètes : Elina Löwensohn, Nathalie Richard, Yekaterina Golubeva, Serguei Ivanov, Augustin Legrand

Cinéaste très productif (des dizaines de courts-métrages en une vingtaine d’années), Bertrand Mandico n’était jamais venu aux Hallucinations collectives. En 2017 c’est chose faite avec la projection d’un panel de ses films, de 1999 à 2016.

La séance a commencé avec LE CAVALIER BLEU projeté en 35mm. Rappelant le cinéma de Jan Svankmajer, Bertrand Mandico y anime en stop-motion des créatures difformes faites de dents, d’yeux, des éléments squelettiques et d’objets divers. Avec une photographie sépia, l’univers déployé est fou et macabre. Bien qu’on ressent des influences, la personnalité de Bertrand Mandico ne laisse pas de place au doute quant au soin qu’il apporte à l’aspect visuel. C’est esthétiquement très détaillée et intense. Chaque recoin à ses détails et les différents personnages crées par assemblages fonctionnent à merveille.

Pas de macabre pour le film suivant, un homme se retrouve pendu et hissé en haut d’un arbre encore vivant dans IL DIT QU’IL EST MORT. En noir et blanc cette fois-ci, on y voit un groupe de personnes dans une clairière, une exécution qui n’en a pas l’air, un homme qui va littéralement vers la mort. Le film prend place dans un monde inconnu dont on ne saura rien de plus. Très proche de la nature, nombreuses sont les prises de vue à ras du sol, à travers l’herbe et les fleurs, et les peaux sont filmées aussi de très près. Les corps et la végétation se confondent presque dans ce tableau semblable à une fable naturaliste.

LIVING STILL LIFE lui va encore plus loin. Là aussi ça se passe dans un monde dont on ne sait rien et là aussi les scènes d’extérieur sont filmées à travers l’herbe au sol. Par contre LIVING STILL LIFE est vraiment macabre, et en couleurs. Une femme jouée par Elina Löwensohn va récupérer des dépouilles fraîches et les anime dans son atelier. Réalisées avec de vrais cadavres, les séquences en stop-motion sont incroyables tant les animaux morts ont l’air plus vivants que la femme qui les anime. Avec une précision folle dans l’animation et la photographie, chaque poil prend vie, du lapin au cheval. L’organique et le végétal sont sublimés totalement. Le peu que l’on voit est dévasté, on pourrait croire que le film est post-apocalyptique mais rien ne le dit. LIVING STILL LIFE pourrait être réaliste, mais les éclairages donnent un tout autre ton au film avec ses différentes lumières et ses effets sur les pelages et sur la nature. Il en ressort un ton très mélancolique entre ces morts éparpillés et la solitude de cette femme à leur recherche.

Le travail sur les couleurs est aussi remarquable dans S…SA…SALAM…SALAMMBÔ. Vivant isolée dans sa maison en pleine nature, une femme n’y est cependant pas seule. Là, l’écran est divisé en deux parties, l’une pour la femme, l’autre pour une entité qui veille sur elle, incarnée par une Elina Löwensohn entièrement bleue par la lumière. En quelques minutes on est hypnotisé encore et toujours par l’esthétique visuelle très poussé et abouti qui rappelle entre autres les courts-métrages expérimentaux de Kenneth Anger, et à Bertrand Mandico de nous surprendre toujours.

Pour les deux derniers films, NOTRE-DAME DES HORMONES et DEPRESSIVE COP, Bertrand Mandico fait beaucoup plus dans l’humour. En une demi-heure, NOTRE-DAME DES HORMONES raconte quelques jours de deux actrices en répétition découvrant une petite créature qui les obsèdent. Des hommes et femmes nus qui servent de décoration, une maison isolée en forêt où la nature reprend ses droits, une réalisatrice à la voix d’homme, NOTRE-DAME DES HORMONES est un film fou. On passe de couchée dans le lit à marchant debout sans se relever, comme on va dormir le corps maculé de paillettes, et tout ceci est accompagné en voix-off par Michel Piccoli, rien que ça.

DEPRESSIVE COP raconte l’enquête d’un policier américain dépressif sur la disparition d’une jeune fille. Celui-ci fait plus penser à de la parodie et nombreuses sont les comédies sur les policiers typiquement américains avec leurs casquettes et leurs mésaventures, comme a pu le faire Quentin Dupieux récemment. La narration est éclatée, Elina Löwensohn joue la fille disparue ET sa mère, elle devient borgne en court de film. DEPRESSIVE COP ne va jamais où on l’attend, et il ne faut pas s’attendre à y voir un film d’enquête. On pourrait croire que le genre en fasse un film plus classique mais non, Bertrand Mandico le remplit toujours de son imagination débordante.

Le cinéma de Bertrand Mandico c’est ça, une tête armée d’un rasoir, l’ascension d’un pendu, une âme bleue, un cadavre de cheval éclairé en rouge, un sexe féminin faisant office d’interrupteur, un œil dans une tasse, de la végétation beaucoup et Elina Löwensohn énormément. C’est aussi une façon à l’ancienne de faire du cinéma. Trucages élémentaires, couleurs, lumières, demi-Bonnettes, tout ce que l’on voit dans ses films a été filmé. Pas d’effet spécial ni d’ajout en post-production. Les effets sont parfois visibles, ça foisonne d’idées narratives et visuelles et c’est toujours techniquement très abouti. Regarder les films de Bertrand Mandico est comme se plonger dans un bazar inépuisable. Aux Hallucinations collectives 2017 on a pu en voir six, pas deux ne se ressemblaient, et il en reste encore plein à découvrir.


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- Article rédigé par : Paul Siry

- Ses films préférés : Requiem pour un massacre, Mad Max, Ténèbres, Chiens de paille, L'ange de la vengeance

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