A Better Place

Un texte signé Clément X. Da Gama

USA - 1997 - Vincent Pereira
Interprètes : Eion Bailey,Robert DiPatri,Joseph Cassese

Barrett emménage avec sa mère dans une nouvelle ville après le décès de son père. Son premier jour au lycée est catastrophique. Entre les filles superficielles et putassières qui le méprisent, et les sportifs décérébrés qui le menacent physiquement, Barrett ne trouve de réconfort qu’aux côtés du charismatique Ryan. Les deux adolescents deviennent amis, mais Ryan, particulièrement misanthrope, pose un regard de plus en plus nihiliste sur le monde. Barrett ne semble pas pouvoir empêcher la descente aux enfers de son ami.

Produit pour 40 000 dollars par la société View Askew de Scott Mosier et Kevin Smith (RED STATE notamment), A BETTER PLACE est le premier et unique film de Vincent Pereira, également scénariste et monteur. Pour son coup d’essai, Pereira a placé la barre très haut et offre un drame indépendant particulièrement maîtrisé, où le mal-être adolescent est abordé frontalement, sans fioriture. Le pauvre Barrett, lors des premières séquences, est confronté à une violence lycéenne ordinaire, infligée autant par les filles que les garçons. Loin de l’image d’Épinal des séries américaines, le lycée chez Pereira est un lieu de tension constante, une sorte de champ de bataille où chaque élève peut, à tout moment, agresser autrui. Le monde des adultes n’est quant à lui pas en reste : entre les profs ignorant ou encourageant le passage à tabac d’un adolescent (mais seulement à l’extérieur du lycée), l’invisibilité de la mère de Barrett, et la tante castratrice de Ryan, préférant son petit confort à celui de son neveu, les figures autoritaires et/ou parentales sont médiocres dans A BETTER PLACE. Dès lors, cette violence sociale et morale que subissent les protagonistes entre dans un jeu pervers de causalité avec la violence physique.

Loin d’être un film gore, A BETTER PLACE recèle un certain nombre de scènes violentes et marquantes. Peu de temps après son arrivée au lycée, Barrett est pris à parti par Todd, un sportif aussi baraqué que stupide. Ryan s’interpose, et fracture le nez de Todd sur le rebord d’un banc. Le coup porté est sec, dur : Pereira s’attarde sur l’étourdissement de Todd, sur le sang qui s’écoule de son nez, comme si la caméra était elle aussi choquée, groggy par la brutalité du coup assené. La violence n’est jamais gratuite dans A BETTER PLACE, mais participe de la construction de Ryan, héros et moteur destructeur du récit. L’adolescent, traumatisé par la mort de ses parents, voit dans l’être humain un parasite, un tas d’immondices, et son comportement progressivement antisocial rend compte de sa misanthropie. Méprisant l’ensemble ou presque des lycéens, Ryan tue accidentellement un homme avant de prendre les armes et de participer activement au chaos qui régit, à ses yeux, le monde. Si le parcours de Ryan n’est à aucun moment agréable à suivre, il est rendu parfaitement logique par les choix de mise en scène et d’écriture de Pereira, faisant de l’ultra-violence de Ryan l’une des réponses naturelles face à l’atroce réalité qu’il vit. Lorsque les figures parentales sont absentes ou défectueuses, lorsque les enseignants encouragent les élèves à se tabasser en dehors de l’enceinte du lycée, lorsqu’on peut facilement acheter une arme à feu, le choix de la violence paraît bien plus légitime que celui de la retenue.

La maîtrise de Pereira est également remarquable par l’emploi de flashbacks et de « scènes intérieures ». A plusieurs reprises, le cinéaste nous plonge dans l’esprit torturé d’un personnage, en faisant partager son espace mental et ses souvenirs traumatisants (la mort du père de Barrett, la mort des parents de Ryan, la honte de Todd face à son père). Si ces moments sont courts, ils témoignent de l’aisance de Pereira dans son usage du langage cinématographique, de sa capacité à rendre touchants les tourments intérieurs des personnages et ce, en l’espace de quelques plans. Peu de cinéastes, même confirmés, peuvent se targuer d’une telle réussite à la fois formelle et narrative.

Loin d’être un drame reposant uniquement sur ses personnages, A BETTER PLACE fait directement intervenir les espaces dans les différentes actions. Vivant dans une banlieue aisée américaine, les adolescents peuvent profiter de la nature (les bois, la mer) qui représente un lieu pur, hors de la civilisation, où ils échappent pour un temps aux violences sociales et physiques. La grande ville, à l’inverse, est représentée comme un véritable dépotoir humain. Barrett et Ryan y découvrent des immeubles sales et délabrés, aux vitres brisées. Ils se font alors agresser par deux clochards détraqués avant qu’un dealer, vendant autant du crack que des armes à feu et des petites filles, ne vienne les « secourir ». La ville dans A BETTER PLACE évoque celle de COMBAT SHOCK (Buddy Giovinazzo, 1984) : elle est avant tout un lieu de crasse, de perdition morale, et s’oppose chez Pereira à la nature sauvage. Mais cette nature, d’abord protectrice, finira elle aussi par être gangrénée puisque c’est en son sein, et dans le sang, que le film se conclut. Comme si cet « endroit meilleur » promis par le titre n’existait finalement pas…

Malgré la maîtrise évidente de Pereira, A BETTER PLACE n’est pas exempt de défaut. Au-delà du fait que nombre de spectateurs ne pourront pas supporter la violence brutale qui explose régulièrement dans le film, les acteurs ne sont pas toujours bons. La faute à Eion Bailey. L’acteur, dont c’était ici le premier rôle au cinéma, incarne avec tellement d’aisance et de charisme le misanthrope Ryan qu’il éclipse l’ensemble ou presque des autres interprètes. Robert DiPatri, qui incarne Barrett, n’est pas mauvais au demeurant, mais son jeu paraît, à certains moments, terriblement pauvre et artificiel comparé à celui de Bailey. A l’image de cet acteur, qui ne trouvera par la suite aucun personnage à sa mesure (un petit rôle dans FIGHT CLUB par-ci, un rôle important dans un téléfilm sentimental par-là), Vincent Pereira ne réalisera pas d’autre film. Si on peut légitimement déplorer la « disparition » d’un tel auteur, Pereira a cependant légué au cinéma indépendant (extrême) une œuvre forte, où la mise en scène épouse avec brio les affres d’une adolescence abandonnée à sa propre violence.


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- Article rédigé par : Clément X. Da Gama

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