Un texte signé Philippe Chouvel

Italie, France - 1984 - Rino Di Silvestro
Titres alternatifs : Hanna D. la ragazza del Vondel Park, Hanna D. The Girl from Vondel Park
Interprètes : Ann-Gisel Glass, Karin Schubert, Sebastiano Somma, Tony Serrano, Jacques Stany

retrospective

A seize ans dans l’enfer d’Amsterdam

Hanna, encore mineure, gagne sa vie en faisant des passes dans un compartiment de train. Sa clientèle est variée et choisie par son souteneur du moment, Kalinski. Dans la cité d’Amsterdam, drogue et prostitution font bon ménage, mais Hanna semble se contenter pour l’heure de vendre son corps. Hélas, ses conflits incessants avec Perla, sa mère, une femme aigrie maquée avec un gigolo et noyant son chagrin dans l’alcool, finissent par la fragiliser. De plus, à force de fréquenter les quartiers les plus sordides de la ville, la jeune fille finit par tomber sur un dealer qui ne manque pas de la piéger. Hanna devient ainsi accro à l’héroïne. Elle rencontre ensuite un garçon bien sous tous rapports, en apparence, Miguel. Une façade, en réalité, car celui-ci a en tête de gagner un maximum d’argent en la faisant tourner dans des films pornos. Un projet qui ne se réalise pas, mais ne l’empêche pas pour autant d’entraîner Hanna vers la déchéance. Seul Axel, dont les sentiments pour Hanna sont sincères, sera alors en mesure de la sortir de l’enfer de la drogue et de la prostitution…
Décédé en 2009, Rino Di Silvestro fait partie des réalisateurs italiens ayant bâti leur carrière sur deux mots : trash et exploitation. Et pour exploiter des filons juteux, le cinéaste a toujours su tirer son épingle du jeu. Son premier film, LA VIE SEXUELLE DANS UNE PRISON DE FEMMES, tourné en 1973, entrait dans la catégorie des « Women In Prison » que Jess Franco avait remis à la mode quelques années plus tôt avec L’AMOUR DANS LES PRISONS DE FEMMES (aka LES BRULANTES, 1969). Et sa dernière réalisation, LES NUITS CHAUDES DE CLEOPATRE (1985), tentait de surfer sur la vague des péplums érotiques, initiée par le fameux CALIGULA de Tinto Brass (auquel Bob Guccione avait rajouté les scènes pornographiques). Entre ces deux films, Di Silvestro aura tourné six autres longs métrages, abordant (déjà) la condition des prostituées dans DOSSIER ROSE DE LA PROSTITUTION (1974), et profitant du succès du SALON KITTY de Brass (encore) pour commettre l’un des nombreux succédanés issus du créneau de la « nazisploitation » : LES DEPORTEES DE LA SECTION SPECIALE SS (1976). Cependant, son film le plus connu demeure, du moins en France, LA LOUVE SANGUINAIRE, mélange d’horreur pure et d’érotisme graveleux, avec comme héroïne une lycanthrope nymphomane !
On l’aura compris, Rino Di Silvestro aura exploité, en même pas dix longs métrages, les sujets les plus sulfureux et choquants (à part le mondo) que seule l’Italie avait su produire à cette époque.
Doté d’un budget serré, comme on l’imagine dans ce genre de production, A SEIZE ANS DANS L’ENFER D’AMSTERDAM fut bouclé en cinq semaines, avec seulement une semaine de tournage à Amsterdam (les autres scènes étant tournées à Rome, en studio). Bien que Di Silvestro ait toujours réfuté la moindre source d’inspiration pour chacun de ses films, celui-ci possède néanmoins quelques ressemblances, de par son sujet, avec MOI, CHRISTIANE F., 13 ANS, DROGUEE, PROSTITUEE, d’Uli Edel (1981).
Pour incarner la jeune prostituée au visage angélique, le choix du cinéaste italien se porte une fois encore sur une actrice française, après Annik Borel dans LA LOUVE SANGUINAIRE et Carole André dans BELLO DI MAMMA. Il s’agit d’Ann-Gisel Glass, qui a tout juste vingt ans au moment du tournage, et est encore inconnue dans le milieu. Elle vient à peine de tourner dans PREMIER DESIR, de David Hamilton, et jouera la même année dans LES RATS DE MANHATTAN, de Bruno Mattei. Avec de tels débuts, l’actrice aurait pu se spécialiser dans le cinéma de genre, mais en fait sa carrière prendra un virage radical très rapidement, puisqu’on la verra ensuite dans des œuvres de Godard, Costa-Gavras et Jacques Doillon (LA TENTATION D’ISABELLE, 1985).
Son interprétation de Hanna lui vaut d’être fréquemment déshabillée, et sa silhouette juvénile lui permet d’être tout à fait crédible dans un rôle où elle est censée avoir quatre ans de moins.
Si l’on excepte le vétéran Jacques Stany (un pilier du cinéma bis depuis les années soixante), le reste du casting est composé essentiellement d’acteurs débutants, à l’exception de Karin Schubert, qui joue ici la mère de Hanna. Rendue célèbre par sa composition dans LA FOLIE DES GRANDEURS, l’actrice allemande connaîtra une pathétique fin de carrière, et son rôle dans le film de Di Silvestro apparaît, à ce propos, prémonitoire. En effet, A SEIZE ANS DANS L’ENFER D’AMSTERDAM sera son dernier film dans le circuit dit « traditionnel » ; et l’année suivante, elle entamera une autre carrière, peu reluisante, dans le X, avec CORA BOURGEOISE OU PUTAIN, d’Andrea Bianchi.
Qualitativement parlant, le film est à classer dans la moyenne de ce que l’on produisait dans les années soixante-dix pour le cinéma d’exploitation. Le scénario est plutôt décousu, au regard de ce que l’on peut voir à l’écran. Le métrage est monté en scénettes, chacune d’entre elles manquant singulièrement de lien au niveau de l’enchaînement. On a souvent l’impression d’avoir loupé un passage, alors qu’il n’en est rien. Les ellipses sont nombreuses, ce qui n’empêche pas de suivre l’action sans encombre, la trame étant simplifiée à l’extrême.
Le but, pour Di Silvestro, était évidemment d’aligner des scènes « choc », et en cela il a parfaitement rempli le cahier des charges. Se succèdent ainsi des scènes de nudité, des drogués qui se piquent (les fixes – injections de drogue – sont particulièrement réalistes, à la limite du soutenable), des passages à tabac, et les conséquences des états de « manque » (vomissements etc…). Deux scènes confirment la propension du metteur en scène à l’outrance. L’une nous montre un camé en phase terminale provoquant son suicide par une overdose (l’homme s’achève même avec l’aide d’un couteau) ; l’autre voit une droguée sortir une capsule dissimulée dans l’anus d’une « collègue », renfermant une dose d’héroïne.
Rino Di Silvestro l’avouait lui-même, il aimait l’exagération dans le sordide. Mais pour contrebalancer la noirceur du propos, le cinéaste pousse le bouchon très loin, également, agrémentant son œuvre de clichés très « roman photo », lors des rencontres entre Hanna et Axel.
Avec un certain Bruno Mattei crédité au montage, on se doute qu’A SEIZE ANS DANS L’ENFER D’AMSTERDAM va emprunter la voie du cinéma bis, avec tout ce que cela peut entraîner comme excès. Cela dit, la présence de Franco Delli Colli en tant que directeur de la photographie assure une qualité certaine au niveau de l’esthétique de l’image. L’homme était réputé dans ce domaine, et ses collaborations à des films comme JE SUIS UNE LEGENDE (avec Vincent Price), TIRE ENCORE SI TU PEUX, LA LAME INFERNALE ou encore ZEDER témoignent du talent de Delli Colli. Pour autant, même bien filmée, l’œuvre n’en reste pas moins racoleuse. Mais n’est-ce pas, finalement, ce que tout amateur de bis attend de ce genre de film ?


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- Article rédigé par : Philippe Chouvel

- Ses films préférés : Femina Ridens, Les Démons, Danger Diabolik, L’Abominable Docteur Phibes, La Dame Rouge Tua 7 Fois

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