A Serbian Film

Un texte signé Philippe Delvaux

Serbie - 2009 - Srdjan Spasojevic
Titres alternatifs : Srpski film
Interprètes : Srdjan Todorovic, Sergej Trifunovic, Jelena Gavrilovic, Katarina Zutic, Slobodan Bestic

Milos (Srdjan Todorovic, vu dans CHAT NOIR, CHAT BLANC d’Emir Kusturica), autrefois star du porno serbe, vivote aujourd’hui avec sa femme et son fils en consommant les dernières rentes qu’ont à l’époque rapportées ses films. Un jour, une connaissance commune le met en contact avec Vukmir, un riche artiste qui s’improvise producteur et réalisateur de porno et qui propose un pont en or à Milos pour jouer dans son film, à la condition cependant de ne rien savoir du scénario. Méfiant, Milos finit cependant par accepter.

A SERBIAN FILM a été projeté devant une salle presque comble, événement peu courant pour une séance de minuit, du 28e Festival du film fantastique de Bruxelles (BIFFF). Forte attente du public donc pour ce qui a été présenté dans le programme avec des réserves pour un public trop sensible, autre précaution rarissime dans ce festival d’ordinaire habitué au gore le plus cru.

Il faut croire que Serbie rime avec pornographie puisque ce même BIFFF programmait le jour précédent THE LIFE AND DEATH OF A PORNO GANG de Mladen Djordjevic avec lequel A SERBIAN FILM entretient de nombreux rapports.

En septembre, A SERBIAN FILM faisait partie du programme de l’Etrange Festival.

L’argument situé dans le monde de la pornographie, et plus spécifiquement dans sa composante fantasmée du snuff movie, est ainsi commun aux deux œuvres. Rappelons que dans leur acception d’enregistrements de meurtres réels couplés à des relations sexuelles et destinés à un public de sadiques via un marché noir contrôlé par des mafieux, l’existence de ces films n’a jamais été établie. La légende urbaine se perpétue cependant et nourrit régulièrement l’imaginaire des cinéastes. L’intrigue de A SERBIAN FILM se rapproche de celle de TESIS (Alejandro Amenabar)… avec plus de sexe.

Qu’il s’agisse de THE LIFE AND DEATH OF A PORNO GANG ou de A SERBIAN FILM, les réalisateurs expliquent la portée métaphorique de leurs œuvres qui parlent de la perte de repères moraux et éthiques en Serbie, pays qui depuis l’éclatement de la Yougoslavie a connu plusieurs guerres civiles et s’est retrouvé au ban de la communauté internationale.

Comme l’explique Srdjan Spasojevic, « avec A SERBIAN FILM, je voulais retrouver l’essence du cinéma subversif américain des années ’70, celui produit dans la foulée de la guerre du Vietnam et qui en reflète le trauma. La Serbie actuelle vit aussi dans le trauma de ses guerres récentes. C’est une catharsis, qui nous permet de faire exploser les frustrations diverses que nous ressentons depuis des années. A la base, nous n’avions même pas l’intention de réaliser une œuvre particulièrement choquante, mais c’est pourtant ce qui en a résulté. »

Pour l’anecdote, le film a été refusé par deux laboratoires de développement et, à l’instar de CANNIBAL HOLOCAUST, a suscité l’interrogation de la police quant au réalisme des tortures. Srdjan Spasojevic confirme cependant qu’il s’agit bien évidemment de cinéma et à ceux qui se sentiraient choqués de voir des enfants dans des scènes pornographiques, mêmes simulées, le réalisateur explique que « les enfants n’ont jamais été filmés en même temps que les adultes lors de ces séquences. C’est toute la magie du montage que de faire croire à cette présence simultanée. »

Et effectivement, violent, A SERBIAN FILM l’est assurément. Choquant aussi, particulièrement pour une scène impliquant un nouveau né et des enfants. Pour autant, on relativisera quand même le niveau de violence décrié par certains : le spectateur habitué aux œuvres fortes ne franchira pas ici un nouveau palier. D’autres réalisations contemporaines se montrent tout autant brutales.

Formellement, A SERBIAN FILM s’éloigne radicalement de THE LIFE AND DEATH OF A PORNO GANG en lui préférant les chemins plus balisés d’une mise en scène classique, voire même « à l’ancienne », comprenez « en délaissant les caméras tremblotantes portées à l’épaule ». On se situe dans les eaux du thriller, voire du rape and revenge. Ni le scénario, ni la mise en scène, ni la photographie ne s’engageront dans des voies expérimentales. Au contraire, la forme est donc celle d’un cinéma mainstream, réalisé avec beaucoup de talent, et c’est sans doute le contraste entre cette forme léchée et le fond rentre-dedans et polémique qui produit ce résultat explosif.

La violence est sèche et teigneuse, mais est filmée avec des artifices de montage, des plans brefs qui, en évitant de s’appesantir sur chaque acte, en renforcent la portée. L’imagination du spectateur sera toujours plus violente que la pire des scènes gore ! De même, les scènes de sexe semblent explicites, mais le spectateur attentif remarque vite qu’il s’agit d’astuces de tournage.

Présentée en première européenne au 28e BIFFF où il a fait forte impression, cette première œuvre nous révèle un réalisateur talentueux qu’on espère revoir rapidement avec un second film.

Cliquez ici pour lire l’article sur The life and death of a porno gang


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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