A toi de jouer, Prince

Un texte signé Patryck Ficini


Titres alternatifs : Swinging Sixties

« Avec les femmes c’est 3 minutes de plaisir pour 10 ans d’emmerdements ! Dans le meilleur des cas. Alors laisse-les à JAMES BOND » (A TOI DE JOUER PRINCE, P. 69)
C’étaient les années 60. La Bond mania et l’espionnite tout court avaient envahi le monde. En France, les agents secrets de tous poils étaient à la mode depuis l’après-guerre, avec le succès populaire énorme de OSS 117 puis FRANCIS COPLAN FX 18. Le FLEUVE NOIR, LES PRESSES DE LA CITE, L’ARABESQUE, LE GRAND DAMIER, voire PLON (les débuts de SAS) rivalisaient sans se faire de cadeaux, à coups de couvertures accrocheuses où les super espions cotoyaient les femmes fatales.
Si le FLEUVE NOIR écrasait la concurrence (à part OSS 117, qui en était d’ailleurs issu) avec son flot de héros trop souvent interchangeables, ses tirages énormes et ses illustrations magiques signées MICHEL GOURDON, de petites maisons d’éditions comme la S.E.G. parvenaient malgré tout à se faire une place au soleil tant la demande était énorme.
La S.E.G. publia des gens comme YVES DERMEZE (PAUL BERA au FLEUVE pour l’excellente série d’épouvante LEONOX et une floppée de S.F : on y reviendra), MAURICE LIMAT (qu’on ne présente plus) ou EDWARD BROOKER. Et d’autres aussi, moins connus ou carrément inconnus comme LUC DEVIL ou O.K DEVIL (qui, derrière les pseudos ?).
Certains pourtant auraient gagné à ne pas le demeurer, comme ce PIERRE SITE, auteur de A TOI DE JOUER, PRINCE (un titre à la PETER CHEYNEY). Qui était PIERRE SITE ? Un pro de la :littérature pop sous pseudo ou un dilletante talentueux ? Peut-être qu’on ne le saura jamais. On a en tout cas très envie de lire d‘autres spy stories de sa plume tant cette série B de 1968 s’avère enthousiasmante !
Tour à tour, on pense à BOND (le SMERSH est de la partie ; PRINCE, le héros, est présenté par un rapport dans le plus pur style FLEMING; il est ami d’un mafieux comme BOND de DRACO) ou à BOB MORANE (la meilleure ennemie de PRINCE, elle aussi à la tête d’une mystérieuse organisation genre SMOG, fait immanquablement songer à MISS YLANG-YLANG).
Le nom ou surnom aristo était à la mode: SAS, LECOMTE, LE VICOMTE ou BARON. PRINCE, donc, est un héros complexe, aux airs de pirate (comme OSS 117 cette fois !), un aventurier un peu mercenaire qui fume le cigarillo comme un pistolero de western spaghetti et casse des bras comme STEVEN SEAGAL (P. 56 : « Prince leva le genou, il y eut un craquement sec : l’articulation venait de céder (…) Il attrapa le poignet, torsion, autre craquement : le membre (…) n’était plus qu’un fragment de chair désarticulé (…) ».
A TOI DE JOUER est d’ailleurs un bouquin bien violent. Une scène, pour mémoire : un type est sadiquement aspergé d’alcool et brûlé vif ! Souvenir du double meurtre le plus sadique de COPLAN OUVRE LE FEU A MEXICO, de RICARDO FREDA ?
Romantique (son bateau porte le pseudonyme de son ennemie mortelle et unique amour), PRINCE n’en couche pas moins à droite à gauche comme tout bon agent très spécial.
C’est un tueur comme BOND ou OSS 117 : il menace même un gars d’une overdose au LSD, garantie d’époque. Si l’on ajoute une virée dans une boîte psychédélique et une fin haletante sur fond d’incendie de forêt et de poursuite aérienne, on comprendra que le sujet, bien bateau (des plans top secret sont volés à Kourou), importe peu dans le plaisir éprouvé à la lecture de ce bijou de gare. SITE se permet même sans se ridiculiser le recours à une délirante tarte à la crème du genre : les robots humains (au cinoche : FURIA A BAHIA de HUNEBELLE ou CARTES SUR TABLE de FRANCO).
Dommage que la couverture non signée, visiblement inspirée par l’affiche de MARIE DES ISLES, ne casse pas des briques… C’est aussi pour elles qu’on aime la littérature d’évasion. Le grand BRANTONNE bossa pour la S.E.G, quand même !
Jusqu’à présent on traitait en ces pages de nouveautés qui méritaient d’être soutenues. Ce sera encore notre priorité, mais on évoquera aussi désormais d’obscurs petits romans plus ou moins enterrés, dénichés dans les bouquineries et autres vide-greniers. Espionnage, polar, fantastique, le champ est vaste. L’important est de préserver le souvenir pour les oeuvres, même mineures, qui en valent la peine.
Qu’on se le dise : la littérature-bis est aussi passionnante que le cinéma ainsi qualifié !
Pour le plaisir, P. 173 : « Donna Lee se baissa, prit le visage ensanglanté de son amant entre ses mains et le baisa longuement sur les lèvres. »
Romantisme noir !

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- Article rédigé par : Patryck Ficini

- Ses films préférés : Django, Keoma, Goldfinger, Frayeurs, L’Au-delà

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