A touch of zen

Un texte signé Sophie Schweitzer

Gu Shengzai est un vieux garçon qui tient une boutique où il vend ses aquarelles. C’est une existence paisible pour cet homme qui n’aspire à rien d’autre qu’à vivre honnêtement dans son village natal. Sa mère se désespère de son manque d’ambition, et surtout, craint que le célibat de son fils ne l’empêche d’avoir un jour des petits enfants. Quand une jeune fille pauvre s’installe en face de chez eux, dans une maison abandonnée réputée hantée, la mère de Gu trouve là une occasion en or de marier son fils. Hélas, les choses ne vont pas se passer comme prévu. En effet, la jeune fille est une fugitive dont le père a été assassiné par le grand eunuque Wei.

Chef-d’œuvre de King Hu, A TOUCH OF ZEN est reconnu comme le maître étalon du film de sabres chinois. King Hu est un cinéaste originaire de Chine. Contraint de fuir son pays natal, il a fait nombre de ses films à Taïwan où il a participé au renouveau du film de sabres chinois. Célébré pour sa technique, le métrage a reçu un prix de la commission supérieure technique au festival de Cannes en 1975. A TOUCH OF ZEN a acquis une renommée internationale. Cette grande fresque chinoise mêle les genres : polar, fresque en costume, film de sabres, fantastique avec une atmosphère fantomatique, ou encore film de guerre. Mais c’est surtout par son esthétique que le métrage brille, avec une légère touche expérimentale, ce qui est d’autant plus surprenant à l’intérieur d’une fresque de film de sabres.

C’est sans surprise qu’on retrouve le casting de DRAGON INN, film précédent du réalisateur. On y retrouve également les cadres larges inspirés du western, l’humour noir quasi-tranchant ainsi que la critique du pouvoir. Cependant, DRAGON INN s’intéressait plus à la lutte armée contre le pouvoir corrompu tandis que A TOUCH OF ZEN nous raconte essentiellement une histoire d’amour dans laquelle se mêlent combat épique, atmosphère poétique presque surnaturelle, le tout à travers le regard d’un homme ordinaire un peu rêveur.

Si l’on peut s’étonner de trouver dans l’image exceptionnelle du film des plans contemplatifs, une atmosphère à la fois poétique, rêveuse et parfois surnaturelle, mais aussi des plans plus expérimentaux sur la fin du film, cela s’explique sans doute par le fait que nous nous situons du point de vue d’un homme cultivé, lettré, passionné par le dessin et les arts, un rêveur qui s’imagine des fantômes dans la maison voisine et combat une armée avec des pantins de bois. C’est sans doute là la richesse du métrage. Proposer un film épique, situé du point de vue d’un homme rêveur, à l’âme poétique, dont le regard sera porté sur la beauté de la nature plus que sur les batailles, mais dont la curiosité et son esprit romanesque vont l’attirer au cœur d’une intrigue politique.

Au-delà de sa beauté plastique, A TOUCH OF ZEN est une véritable fresque. Le métrage dure plus de trois heures et propose un vrai développement qui prend son temps. Chaque tronçon du film (on pourrait dire qu’il y en a trois) prend soin de poser l’atmosphère. Ainsi, le métrage est contemplatif à loisir, n’ayant aucune envie de se presser, ce qui étonnamment ne nuit pas à l’aspect épique du film. Leçon que le cinéma d’aujourd’hui pourrait d’ailleurs en tirer. Action ne veut pas dire qu’on ne peut pas être aussi contemplatif ni prendre le temps de développer l’intimité de chaque personnage.

La construction du film est, en effet, assez inattendue pour un film martial. Il tire d’ailleurs, avec sa trame narrative, vers le triptyque dans la veine du PARRAIN de Francis Ford Copola : chaque partie du film est centrée sur un personnage. Ainsi, le récit débute avec Gu, homme simple et poétique, dans le village où il vit paisiblement, puis se déplace dans un désert qui évoque plus les westerns dont l’inspiration semble évidente dans le cinéma de King Hu. Mais le film change ensuite de point de vue, quittant notre héros rêveur pour une jeune femme au charisme étonnant loin de la figure de la princesse qu’il faut sauver.

Nous suivons Yang, jeune femme qui fuit un pouvoir corrompu et destructeur. Si Yang tient le rôle de la princesse à sauver (à la fois protégée par Gu, par les deux anciens hauts gradés et par les moines) elle n’est pas une jeune femme sans défense. Ayant appris à se battre, c’est une redoutable combattante qui donne au film une touche féministe. C’est d’ailleurs elle, qui, plus tard viendra au secours de Gu et cessera alors de fuir ses ennemis pour se confronter à son destin.

Puis, le métrage abandonne la jeune femme pour suivre un général persuadé du bien-fondé de sa mission, qui se retrouve confronté à la foi incorruptible. Dans cette dernière partie, on quitte le fantastique, l’épique pour se concentrer sur le voyage spirituel, laissant ainsi l’image céder la place à des plans psychédéliques qui n’ont guère à rougir des images hallucinées de Jodorowsky.

Cette fresque aborde plusieurs fois les notions d’épreuves et de sacré. La présence de moines semble hautement symbolique. Pour Gu, il s’agit de trouver l’amour et d’accomplir sa destinée, pour Yang, il s’agit de trouver enfin le repos, un refuge et la paix, et pour le général, de retrouver la foi. Tous ces passages sont autant d’épreuves et de tests à passer qui attendent nos personnages. La foi semble en effet au cœur du film puisque l’esthétique est directement inspirée de la peinture traditionnelle et des symboliques de la religion bouddhiste. Ainsi, l’on retrouve des références culturelles de l’art noble rencontrant la mythologie populaire (le film de sabres chinois) dans une œuvre qui mêle adroitement les genres.

Éblouissant, A TOUCH OF ZEN est un chef-d’œuvre qui bénéficie de plus d’une très belle restauration de Carlotta.


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- Article rédigé par : Sophie Schweitzer

- Ses films préférés : Le bon, La brute et le Truand, Suspiria, Mulholland Drive, Les yeux sans visage, L'au-delà

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