retrospective

Abattoir 5

Il est des réalisateurs à la filmographie ponctuée de grands films, de chefs d’œuvre rares et qui pourtant sont condamnés à un oubli poli, sauf peut-être, de quelques inconditionnels qui sont tombés amoureux de leur œuvre ou de certains de leurs longs-métrages. George Roy Hill fait partie de ces metteurs en scène. Venu de la télévision pour laquelle il tourne de très nombreux épisodes de série durant les années 50, il fera ses premières armes au cinéma en 1962 avec L’ECOLE DES JEUNES MARIES mais il faudra attendre 1969 pour que son premier véritable chef d’œuvre voit le jour, BUTCH CASSIDY ET LE KID. Dès lors, Hill entame une période faste qui ira jusqu’en 1982 où il signera l’adaptation du MONDE SELON GARP. Et c’est durant cette période, juste après son western crépusculaire avec Paul Newman et Robert Redford qu’il réalise ce qui restera comme son seul film teinté de science-fiction, ABATTOIR 5.
Etats-Unis, années 1960. Billy Pilgrim est un respectable et paisible père de famille. Paisible ? Pas si sûr. Vétéran de la seconde guerre mondiale, ancien prisonnier des nazis dans la ville de Dresde promise à la destruction, Billy ne s’est jamais vraiment remis de ses années sous les drapeaux, et pour cause : en est-il vraiment sorti ? En effet, Billy a la capacité de voyager dans le temps, sans pour autant la maitriser : il peut aussi bien être renvoyé dans le passé ou propulsé dans un futur, sur une étrange planète où, prisonnier d’un dôme de verre, il est le sujet d’expériences pratiquées par des êtres qu’il ne peut pas voir.
Il arrive parfois qu’un cinéaste se retrouve en parfaite harmonie avec le sujet qu’il filme, l’histoire qu’il raconte. Habité par sa vision, il a alors le talent de la rendre universelle sans pour autant imposer un point de vue unique. C’est exactement ce que fait George Roy Hill en adaptant le formidable roman de Kurt Vonnegut Jr, récit doté d’une âme, aussi émouvant à lire que compliqué à adapter. Combattant pendant la seconde guerre mondiale, prisonnier à Dresde dont il réchappe miraculeusement, le romancier Kurt Vonnegut Jr ne se remettra jamais vraiment de ce terrible traumatisme. En écrivant le roman puis en l’adaptant pour le cinéma, il fait d’ABATTOIR 5 le récit fantasmé de sa thérapie : le livre comme le film ne sont que le reflet de la volonté des auteurs (Vonnegut Jr comme Hill) de créer une bulle fantasmagorique pour extraire le personnage principal d’un monde d’horreurs (la guerre) et le projeter dans une version « acceptable » de ce même monde, afin de lui éviter de sombrer dans la folie. Fort de cette caractéristique, George Roy Hill peut se laisser aller non seulement au drame mais aussi à la comédie, à la satire, à la science-fiction et au film de prisonnier. Libéré par cette dimension fantasmagorique, le réalisateur livre un film d’une terrible mélancolie sur la nécessité de l’imaginaire qui ne détourne pas de la réalité mais permet de la révéler pour mieux y survivre. Œuvre philosophique, œuvre métaphysique, ABATTOIR 5 est avant tout un chef d’œuvre inclassable, un vif plaidoyer contre les horreurs que les hommes peuvent s’infliger les uns aux autres.

Share via
Copy link