DossierLUFF 2012retrospective

Abby

Invité d’honneur de la onzième édition du LUFF, où il a présenté quelques uns de ses films, John Waters était également en possession d’une carte blanche offerte par le festival qui lui a permis de diffuser une sélection d’œuvres rares et bien déviantes, dont le très culte ABBY.
Le docteur Williams, archéologue-théologiste-humaniste, quitte ses étudiants pour se rendre au Nigeria dans le but d’aider la population locale. Il prévoit aussi, une fois sur place, de se documenter sur le culte de Eshu, un esprit africain issu des traditions religieuses Yoruba. En visitant une ancienne caverne, il trouve un artefact représentant Eshu et s’empresse de l’ouvrir, libérant aussitôt un esprit maléfique. Pendant ce temps, à Louisville, Kentucky, Emmet, le fils pasteur de Williams, et sa jeune femme, Abby, qui viennent d’emménager dans leur nouvelle maison, fêtent la réussite professionnelle de la jeune femme qui vient de passer avec succès ses examens pour devenir conseillère matrimoniale. Dans la nuit, un vent glacial souffle à l’intérieur de la chambre à coucher. Dès le lendemain, Abby commence à se comporter étrangement : elle expérimente un violent orgasme en prenant sa douche, se plante un couteau dans le bras en préparant le repas, s’étouffe à la messe lors des sermons prononcés par son mari, et viole celui-ci dans un accès de rage. Lorsque l’organiste de l’église, Mrs. Wiggins, est retrouvée morte dans la chambre d’Abby, Emmet appelle son père au Nigeria pour lui expliquer ce qu’il se passe. Le Dr. Williams décide alors de retourner aux États-Unis pour aider ce fils avec lequel il était en froid. Une batterie de tests médicaux démontrent qu’Abby n’est pas malade. Pourtant son comportement ne s’améliore pas, elle devient de plus en plus vulgaire et obsédée par le sexe. Le Dr. Williams réalise alors que sa belle-fille est possédée par l’esprit du dieu Eshu qu’il a lui-même libéré…
Toute ressemblance avec L’EXORCISTE (William Friedkin, 1973) n’est évidemment pas fortuite, pour le plus grand malheur du film de Girdler, qui a même failli se nommer THE BLAXORCIST. Peu de temps après sa sortie, face aux pressions exercées par la Warner, le producteur Sam Arkoff accepta de retirer ABBY de l’affiche et de ne plus le distribuer sans l’accord de la firme. En contrepartie, la Warner concéda à la compagnie American International Pictures le droit de conserver les premiers millions engrangés par le film. En dépits de ses piètres qualités artistiques, ABBY fut un succès foudroyant au box-office, une affaire plus que rentable pour un investissement de base ne dépassant guère les 100 000 $.
Ne cherchant jamais le second degré et passant outre son budget dérisoire, le réalisateur William Girdler fait contre mauvaise fortune bon cœur et signe un film plutôt sympa à condition de ne pas être trop exigeant. Il reprend dans les grandes lignes la trame du film de Friedkin, sans oublier de faire vomir son interprète principale après qu’elle ait prononcé de nombreuses obscénités. Pour mener à bien ce démarquage/plagiat, Girdler peut compter sur deux comédiens qui vont pleinement s’investir. Le rôle du Dr. Williams est tenu par William Marshall qui venait de triompher dans BLACULA (William Crain, 1972) et sa suite SCREAM BLACULA, SCREAM (Bob Kelljian, 1973). Acteur consciencieux, ayant un long passif à Broadway puis à la télévision, Marshall sortira frustré du tournage. Alors qu’il avait réussi à donner une petite consonance politique à BLACULA, il souhaitait en faire de même avec ABBY en développant le segment sur la culture Yoruba. Pour tenir le rôle titre, Girdler doit, au dernier moment, changer d’actrice et fait passer une audition à Carol Speed directement sur le tournage. Voyant dans ce rôle l’opportunité de sa vie, la jeune femme se donne à fond dans toutes ses scènes et va même jusqu’à écrire elle-même la chanson qu’elle interprète à l’église. Hélas, n’ayant pas autant d’expérience, voire de talent, que son partenaire William Marshall, sa carrière ne survivra pas à la fin du phénomène Blaxploitation.
Dans une tentative promotionnelle, de nombreuses rumeurs circuleront concernant une malédiction qui aurait frappé le tournage, notamment une série de tornades particulièrement violentes, comme lorsque Eshu est libéré au début du film. Louisville a en effet été frappé par ces tornades à cette période, ainsi qu’une bonne dizaine d’autres états, ce fut le Super Outbreak d’avril 1974. La seule malédiction se rapportant de façon lointaine au film fut hélas la disparition tragique de William Girdler en 1978, à l’âge de trente ans, lorsque l’hélicoptère dans lequel il effectuait des repérages pour son prochain film aux Philippines, s’écrasa après avoir percuté des lignes à haute tension. Une grande perte pour les amateurs de films fauchés mais rigolos.

Share via
Copy link