chroniques-infernales

Abîmes

En 1993 sort chez Fleuve Noir le titre Abîmes de Serge Brussolo. L’auteur plonge le lecteur dans un récit au double visage, la science-fiction et un fantastique dément. Abîme œuvre dans un écrin, léger, de science-fiction car l’action se joue sur une planète lointaine Almoha que les hommes tentent de coloniser. Et l’histoire s’abîme dans le fantastique car Brussolo fait appel à des images, situations et concepts extraordinaires.

La surprenante peinture d’un enfer d’eau claire
Il y a des environnements hostiles, le désert brûlant, les paysages arides et dénudés, la jungle sauvage. Ils sont chacun à leur manière un enfer pour l’homme, trop chaud, trop froid, trop rempli de petites et grosses bêtes venimeuses… Loin de ces réalités terrestres familières, Serge Brussolo ébahit le lecteur en dépeignant un autre type d’enfer, un surprenant et malvenu enfer liquide. L’eau, élément primaire que l’homme sait essentiel à sa survie, devient un terrifiant ennemi quand elle est empoisonnée.

Un autre enfer : rêver de liberté enfermé dans un sous-marin
L’auteur n’est pas à une dichotomie près et laisse s’affronter violemment deux réalités antagonistes. Le lecteur découvre un héros et ses compagnons évoluant dans un sous-marin, à la fois leur terrifiant cercueil et l’unique havre de survie. Les traces laissées dans l’âme humaine par cette contradiction et cet abominable enfermement sans espoir s’avèrent largement exposées, commentées, disséquées. Mais, comme si cette existence aveugle et absurde n’était pas suffisante, Brussolo la place face à une liberté inimaginable. L’océan qui recouvre toute la surface d’Almoha, immense, unique et sans entrave, est lui aussi un acteur de l’horreur de l’histoire, inconcevable espace de liberté et dans le même temps bestiale prison.

L’ultime enfer n’est pas forcément celui qu’on croit
Au fil des pages qui se tournent, l’atrocité s’invite dans la lecture. Brussolo sait très bien générer des images à travers ses mots et la reptation des hommes dans les entrailles du sous-marin glace littéralement le sang du lecteur dans ses veines. Ensuite, le héros, atrocement conscient et lucide, livre ses réflexions intimes et décrit avec force détails leurs conditions d’existence, l’exiguïté, la promiscuité, les mensonges, les chaînes qu’ils sont contraints de porter et leur absence d’espoir. Enfin, les autres personnages qui s’imposent dans la narration infligent également au lecteur de plus en plus déconfit leur histoire et leur désespoir.

Abîmes raconte son histoire fantasque tout en reprenant plusieurs thèmes déjà évoqués dans d’autres ouvrages de Serge Brussolo, même s’ils ne sont ici que des accessoires de la narration et non pas un élément central de l’intrigue. On retrouve la communication physique poussée à l’extrême, quand les fluides corporels portent seuls le langage, sans mots, sans voix, sans le menteur vernis du verbiage civilisé. On fait également à nouveau face à la pathétique recherche humaine de normalité à travers les décors factices et la reproduction sordide de la société humaine dite normale. Brussolo affectionne particulièrement les thèmes du masque et des mensonges. S’avèrent également très présents la peinture folle de la vie dans le sous-marin et la pression de cet océan fait d’immensité, de liberté, de bienheureuse communion entre les êtres et la nature qui se révèle une prison d’une toute autre nature, attirante et débilitante.

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