Achoura (2018) – S’adapter ou mourir – Critique

Un texte signé André Quintaine

France, Maroc - 2018 - Talal Selhami
Interprètes : Sofiia Manousha, Younes Bouab, Omar Lotfi...

Avant 1939, le cinéma marocain est essentiellement financé par la France à des desseins propagandistes. Puis, après l’indépendance, en 1958, le premier véritable long métrage marocain voit le jour. Dès lors, et jusqu’aux années 2000, le cinéma national cherche sa voie entre films d’auteurs et cinéma commercial. À partir des années 2000, une stratégie industrielle est mise en place et le cinéma du pays du couchant lointain devient l’un des plus dynamiques d’Afrique. Achoura, premier film fantastique marocain, participe à cet élan.

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Les fantômes du passé

À l’époque coloniale, deux enfants se cachent dans une vieille maison abandonnée. Les gamins sont alors attaqués par une entité qui s’empare de Bachira sous les yeux effrayés du garçon.

L’incident s’est déroulé dans ce qui ressemble à s’y méprendre à un manoir, totalement esseulé dans la campagne marocaine, dont l’architecture rappelle les heures de gloire du cinéma américain des années 40. Entourée d’une végétation luxuriante, la bâtisse est tout à fait inquiétante. Par la suite, le film reviendra régulièrement dans la “maison des Français” à l’occasion de flash-back rappelant le contexte colonial du Maroc de l’époque.

On note à ce sujet que la demeure abandonnée et tout droit sortie d’un film d’épouvante abrite des fantômes aux intentions malfaisantes depuis que les Français sont partis…

Bref, Bachira ne sera pas la seule enfant à disparaître.

En effet, les protagonistes que nous suivons à l’époque contemporaine ont eux aussi perdu un ami 25 ans auparavant. Séparés par la force des choses, le temps qui efface tout a laissé place à des fadaises leur permettant de tirer un trait sur ce triste épisode de leur enfance. Mais, aujourd’hui, ils sont à nouveau réunis. Leur ami qui avait disparu ressurgit un quart de siècle plus tard. Il est temps d’affronter les sombres créatures de leur passé.

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Quand le Maroc entre dans le fantastique

Le Boughattat est ce démon qui se nourrit de la joie des enfants, une créature originale fonctionnant un peu comme un exorcisme, mais à l’envers… L’hôte héberge le démon dans son ventre mais ici, il n’est pas question de le laisser quitter le corps qui l’abrite. Au contraire, il doit rester bien en place. Libéré, il est beaucoup plus difficile de l’empêcher de faire d’innocentes victimes.

Pour l’esprit malveillant, la période de l’Achoura est particulièrement propice. En effet, c’est durant cette fête très répandue au Maroc que les enfants reçoivent des cadeaux…

Une autre originalité du métrage est de se dérouler sur trois époques. La première voit la création de la créature. La seconde suit l’enfance des futurs héros. Puis, l’histoire se poursuit au présent. Une telle construction enrichit considérablement le film qui dévoile ses mystères par bribes, graduellement, économisant ses effets pour mobiliser l’attention du spectateur jusqu’au climax.

Peut-être attendez-vous d’Achoura de vous replonger dans le Maroc de vos dernières vacances… Son riche littoral avec la mer Méditerranée d’un côté et l’océan Atlantique de l’autre, des paysages de plaines immenses et vertes, des villes fortifiées, des médinas, des minarets et autres portes monumentales de marbre blanc.

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Un choix artistique qui fait mouche

Seule la première scène satisfera vos attentes. La suite s’efforcera en revanche de décrire un quotidien contemporain s’éloignant radicalement des cartes postales. Cela n’empêche pas Achoura de proposer des images splendides. Teintée de tons sépia ou bleu gris, la photographie signée Mathieu De Montgrand enjolive les débarras sordides ainsi que les murs décrépis et lézardés.

Ceci étant dit, Achoura souffre néanmoins de menus défauts qui ne lui permettent pas de tout à fait tirer son épingle du jeu.

D’une part et en réalité, le Boughattat est une sensation de présence maléfique ou d’étouffement qui survient après une paralysie du sommeil… Rien à voir avec la fête d’Achoura et encore moins les enfants. En conséquence, le spectateur un peu pointilleux pourra avoir l’impression que les auteurs ont créé un monstre sans prendre la peine de respecter le folklore.

C’est un peu gênant, d’autant plus que l’on se demande fréquemment à la vision du film s’il est bien marocain. La musique et la photographie évoquent en effet plutôt un cinéma européen, et plus particulièrement espagnol. Certes, il n’y a que le détroit de Gibraltar qui sépare les deux pays, mais quand même…

Autrement dit, les personnes en quête d’exotisme risquent de ressentir une impression de déjà-vu face au spectacle proposé par le premier film fantastique marocain…

D’ailleurs, Talal Selhami, réalisateur, reconnaît lui-même, et bien volontiers, que le visuel d’Achoura correspond aux standards internationaux… Achoura participe donc, à sa façon, à passer les spécificités culturelles à la moulinette de la globalisation.

Un choix artistique discutable mais les faits donnent raison aux auteurs puisque Achoura est le film marocain le plus vendu au monde.


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- Article rédigé par : André Quintaine

- Ses films préférés : Frayeurs, Les Griffes de la Nuit, Made in Britain, Massacre à la Tronçonneuse, Freaks... Passionné de cinéma de genre, oeuvre également sur les blogs ThrillerAllee consacré au cinéma allemand et L'Écran Méchant Loup dédié aux lycanthropes au cinéma

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