Achtung, Mr Kern

Un texte signé Patryck Ficini

France - 1967 - Revest Marc

ACHTUNG, Mr KERN
1967. Le procès d’Eichmann est encore dans toutes les mémoires. L’agent spécial Kern est envoyé par son chef pour traquer l’ancien secrétaire de Martin Bormann et ainsi découvrir les archives secrètes du Reich. Dans ce combat de l’ombre, les hommes avancent masqués. D’autres (des Russes ? des espions allemands ex-nazis eux-mêmes ?) sont à la recherche d’un homme qui est peut-être déjà mort. Et si Kern, au fond, avait pour mission de traquer un fantôme ?
Kern est un espion des éditions Fleuve Noir créé en 1966 par Claude Joste et Stéphane Jourat (papa aussi du drôlatique Marc Avril, dans la même collection) sous le pseudonyme commun de Marc Revest. Première aventure : KERN COGNE SUR LE PARALLELE.
ACHTUNG, Mr KERN est la cinquième mission d’une longue série qui dura jusqu’à la fin des années 80 et la disparition de la collection Espionnage. Détail amusant : dans une interview donnée à Juliette Raabe au début des années 60, Jourat ne semblait pas du tout tenté par le roman d’espionnage (in FLEUVE NOIR, 50 ANS D’EDITION POPULAIRE, P. 117) !
L’écriture de ACHTUNG , Mr KERN est vive, précise et très soignée. L’intrigue à base d’anciens et de néo-nazis à dénicher est solide et bien construite, on ne s’y ennuie par une seconde. ACHTUNG, Mr KERN c’est un peu la version sérieuse du second OSS 117 avec Jean Dujardin, RIO NE REPOND PLUS. Notons quand même un un humour typique de ce genre de productions, par exemple une phrase de reconnaissance liée à James Bond !
Kern, grand diable aux cheveux argent, est un agent secret aussi séduisant que sympathique. Il n’aime pas toujours les petites (et grandes) saloperies auxquelles le contraint son boulot, comme séduire la trop romantique fille de l’ex-nazi, devenue prostituée fleur bleue. Mais il le fait, car il n’a pas le choix. Pour le Monde Libre, comme on le disait alors. Ne pouvant compter sur aucune aide de son service au cours de sa mission, il possède heureusement un réseau d’amis précieux comme ce restaurateur italien et sa femme, un couple attachant. Lorsque Luigi est mortellement torturé par les méchants, Kern verse sa larme. L’amitié virile est un thème classique du roman d’action et d’aventures ; lorsqu’il est bien traité, comme ici, c’est un régal.
« Quelque chose de liquide et brûlant glissa sur ses joues. Il préféra penser que c’était de la sueur. » (P. 163)
Marc Revest semble avoir une tendresse toute particulière pour ses personnages féminins, des prostituées émouvantes et sincères, des femmes avant tout. Talentueux, il parvient même à donner de l’épaisseur à ces personnages de filles de joies au grand coeur, autre cliché pourtant. Le portrait de la fille (devenue maman) de l’ex-secrétaire de Bormann est ainsi absolument touchant. Une enfant naïve dans un corps de femme vieillissant. Un personnage que le lecteur, comme Kern, pourrait avoir envie de serrer dans ses bras. Sa rencontre avec le bel agent de la CIA ne lui portera pas bonheur. Kern parviendra-t-il au moins à sauver son enfant ? C’est ce que découvrira le lecteur d’un roman qui est aussi particulièrement bien documenté sur les réseaux d’anciens nazis encore actifs dans les années 60, notamment en Argentine où nombre d’officiers allemands avaient trouvés refuge. Tout, dans ACHTUNG, Mr KERN est en tout cas solide et crédible. L’important est là, davantage que dans l’éventuelle véracité des informations de ce qui reste avant tout une fiction d’espionnage.
Aidé par des Gitans avides de vengeance (un peu comme le James Bond de BONS BAISERS DE RUSSIE), Kern voyage (Argentine, Allemagne), échappe aux coups durs pour y replonger aussitôt. Les scènes d’action sont aussi soignées que le reste. Ca torture pas mal aussi, dans ce Kern, sans complaisance toutefois. Ces scènes servent surtout à montrer le côté impitoyable de monde de l’espionnage et le courage de ses héros. Personne n’est tout blanc dans ce milieu (Marc Revest appuie là-dessus à la fin). Même si Kern a sa morale et une âme, il reste un guerrier, dur et sans pitié pour ses ennemis.
Bogen l’ex SS, traqué par Kern et les autres, est un personnage complexe (notamment dans ses rapports avec les animaux du cirque ou la jeune prostituée dont il a fait sa favorite), intéressant, un homme fini… jusqu’à un certain point seulement, un homme qui a compris qu’il devait se cacher pour survivre au monde nouveau de l’après-guerre. Un monde dans lequel d’anciens démons pourraient bien réapparaître… si des gens comme Kern, malgré tout, n’intervenaient pas.

« Au même instant, un chant s’éleva, sombre, traversé de syllabes rageuses :
C’est la SS qui marche en pays rouge
Chantant un chant de démons… » (P.53)


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- Article rédigé par : Patryck Ficini

- Ses films préférés : Django, Keoma, Goldfinger, Frayeurs, L’Au-delà

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