Action ou vérité

Un texte signé Philippe Delvaux

UK - 2012 - Robert Heath
Titres alternatifs : Truth or dare
Interprètes : Liam Boyle, Jack Gordon, Florence Hall, Jennie Jacques, Tom Kane, David Oakes, Alexander Vlahos, David Sterne

Lors d’une fête, le timide Félix, drogué par Luke, ose tenter sa chance auprès de Gemma qui le rejette cependant tandis que Chris, le très susceptible petit ami de celle-ci, le rosse. Félix est en outre manipulé par la nymphomane Eleonora qui se change ainsi les idées pendant que dort son compagnon Paul. Quelques mois plus tard Gemma, Chris, Paul, Eleonora et Luke sont invités à l’anniversaire de Félix. Mais c’est son frère Justin qui accueille la bande. Un « accident » est arrivé à Félix et semble trouver ses causes dans les événements de la soirée. Justin est bien décidé à ceux-ci… par n’importe quel moyen.

ACTIONS OU VERITES (TRUTH OR DARE) est une franche réussite, ce que ne laisse pourtant pas entrevoir directement son statut de petite série B. Bien entendu, nous restons ici dans un spectacle sans prétention : il n’y a derrière l’intrigue aucun discours ou enjeu thématique. C’est un spectacle pur. Mais, cette limite posée, ACTIONS OU VERITES remplit parfaitement son contrat et nous délivre une très bonne histoire.

Le mérite en revient au scénario qui pose ses enjeux, déploie son intrigue, prévoie et amène ses rebondissements et surtout – le plus important -, ne se départit jamais des exigences de cohérence, y compris dans les retournements du dernier acte – écueil dans lequel sombrent tant d’autres métrages. Un sans faute donc.

On pardonnera dès lors le côté archétypal des protagonistes (la salope, la gentille, le violent, le lâche, le coincé…) puisqu’ils sont mis au service du script. Ceci dit, même univoques, ces personnages existent et leurs interactions fonctionnent bien. On ne sent jamais d’artificialité.

Le titre réfère donc au jeu obligeant ses participants à choisir de répondre par la vérité à une question ou de relever un défi. C’est en y jouant lors de la fête que Félix et les autres enclenchent le drame. Justin forcera donc la bande à jouer à nouveau. On le voit, le code de base du premier SAW est réinsufflé au cœur même du scénario.

Mais en outre, dans ACTION OU VERITE, ce jeu classique commente le genre même du torture porn. Celui-ci soumet généralement à une épreuve-torture sa victime – c’est le «dare », traduit par « action » pour le dvd français pour coller à la dénomination française de ce jeu, mais auquel correspond mieux le terme anglais traduisible par « défi » -, tandis que celle-ci cherche à comprendre la raison de son enlèvement (« truth / vérité »). Le jeu laissant le choix au joueur d’opter pour l’un OU pour l’autre, tandis que le croquemitaine du torture porn fait faussement croire à la possibilité d’échapper aux pièges alors que ceux-ci auront toujours raison de leurs victimes. Ceci dit, cet élément réflexif du genre n’est cependant jamais explicitement mis en exergue, ACTION OU VERITE n’est en rien un film « meta » comme a pu l’être SCREAM pour le slasher.

Le déroulement est classiquement réparti en trois actes pour autant de lieux : le premier, celui des fêtes, caractérise les protagonistes et place avec fluidité les prémisses du drame. Il se termine lorsque la soirée d’anniversaire de Félix bascule par les révélations de son frère. Le deuxième acte, celui de la cabane, est centré sur l’interrogatoire et les tortures, et le dernier, celui de la fuite au manoir et du retour à la cabane, fait rebondir l’action, ouvrant à quelques retournements de situation bien pensés.

Les tortures n’ont rien à voir avec le Grand-Guignol de mise dans tant d’autres productions. Elles sont au contraire réalistes, adéquates au personnage de l’ex vétéran d’Afghanistan et, surtout, pas trop graphique. Robert Heath n’en fait pas le cœur de son film, ni ne s’attarde sur la souffrance de ses victime, préférant œuvrer à la résolution de l’intrigue. Pour ce faire, le réalisateur et son scénariste s’attardent à la logique de chacun des personnages et aux interactions de tout ce petit monde. C’est tout à son honneur, le résultat en ressort moins « porn ».

En tant que sous-genre de l’horreur, le torture porn est né d’un malentendu. Au vu de son triomphe au box office, nombre de producteurs rapaces ont voulu décliner le modèle institué par SAW mais, le plus souvent, en délaissant l’enjeu scénaristique qu’ils ramenaient au statut d’annexe et de prétexte aux déversements gore. Ce dernier est vite devenu la seule raison d’être du nouveau sous-genre, déplaçant en outre le focus de la violence de l’horreur traditionnelle au spectacle de la souffrance de martyrs torturés gratuitement, flattant par là le voyeurisme du public et justifiant dès lors la dénomination inventée par un journaliste.

En ce sens, le torture porn est, sur le mode de l’exagération, le reflet cinématographique de son époque, les années 2000 ayant consacré la téléréalité de l’humiliation, notamment par le biais de la lutte de personnages confinés dans un espace fermé. Internet et les réseaux sociaux ont déculpabilisé une partie de notre société de ses penchants voyeuristes. Une déclinaison moderne des jeux du cirque en quelques sortes.

Mais SAW – premier de la série et seul épisode valable -, correctement regardé, aurait dû engendrer d’autres rejetons que ceux qui nous ont été pauvrement infligés des années durant.

En 2012, le genre semble marquer si pas un temps d’arrêt, du moins un essaimage tantôt pour le meilleur (THE WOMAN) tantôt pour le pire (PANIC BUTTON). Desservi par trop de productions minables, de boogeyman insipides, de twists improbables et de scénarios imbéciles, le torture porn lambda entame la même traversée du désert que celle qu’a connu le slasher dès la fin des années ’80. D’autres genres, d’autres modes lui emboitent le pas et renouvellent l’horreur. Les festivals spécialisés, qui servent de caisse de résonnance et permettent de faire l’état des lieux du ciné de genre, montre bien cette relative désaffection dont l’avenir nous dira si elle est définitive. A l’Etrange Festival 2012, seul REDD INC. relevait des codes du torture porn, pour un résultat correct, sans plus. D’autres festivals nous ont révélé le très hardcore THE BUNNY GAME. Et le BIFFF 2012 présentait ACTION OU VERITE ? aux côtés de deux de ses cousins : d’un côté l’excellent et tétanisant THE WOMAN de Lucky Mc Kee, qui revigore le genre via un vrai scénario doublé d’une mise en scène forte et soutenu par une interprétation d’exception ; d’autre part le minable PANIC BUTTON qui cède aux poncifs éculés qui encombre le torture porn et s’effondre par la faute d’un scénario pourris ; Pour l’anecdote PANIC BUTTON et ACTION OU VERITE partagent l’acteur Jack Gordon – Chris dans le métrage qui nous occupe ici.

PANIC BUTTON reprend cependant l’idée à la base de SAW : les tortures procèdent d’un « jeu » élaboré par un sadique. Ce « do you wanna play a game ? » de Jigsaw se retrouve également au cœur de ACTION OU VERITES, et jusque dans son titre. Mais cette fois, le scénariste à l’intelligence de justifier le côté ludique des cruautés. C’est d’un jeu de Truth or dare ayant mal tourné qu’est parti le drame qui engendre la vengeance du croquemitaine, c’est ce même jeu qui lui permettra de soumettre à la question – du type de celle posée par l’inquisition – ses suspects-victimes.

En conclusion, ACTIONS OU VERITES, sans tutoyer les sommets du cinéma de genre, se révèle une bonne série B bien écrite, dialoguée et réalisée, relevant un genre trop souvent traité par-dessus la jambe. En délaissant les excès de torture et le côté « porn », il se recentre avec bonheur sur les modes de fonctionnement de ses protagonistes. A découvrir.

Retrouvez nos chroniques du BIFFF 2012.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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