Adam Rehmeier

Un texte signé Éric Peretti

- 2011

Sélectionné en compétition officielle au LUFF, THE BUNNY GAME est une expérience filmique dérangeante à ne pas mettre devant tous les yeux. Souriant et détendu, malgré la soudaine interdiction de diffusion de son film en Angleterre, Adam Rehmeier était présent à Lausanne pour défendre son œuvre. C’est donc avec plaisir qu’il a accepté de répondre à nos questions, apportant quelques éclaircissements bienvenus sur ce film qui suscite déjà une vive polémique.

Sueurs Froides : Je dois bien t’avouer que ton film est assez perturbant dans la mesure où la forme est très travaillée alors que le fond est quasi inexistant. On peut se demander quel est réellement le but d’un tel film si ce n’est de vouloir choquer les spectateurs.

Adam Rehmeier : Oui, je suis d’accord et heureux que tu aies remarqué le travail sur la forme. Le but du film n’est pas de divertir. C’est un film personnel et intime. Rodleen, l’actrice principale, est quelqu’un de très particulier. Elle a été enlevée, kidnappée, comme son personnage, il y a des années. Donc ce film est très personnel pour elle, cathartique même. Elle a été capable de libérer son angoisse, ses peurs, à travers le processus d’écriture et d’interprétation. Nous n’avons pas créer le film pour que les gens qui viennent le voir au cinéma soient divertis. Nous le voulions grotesque et répulsif, c’est notre vision de l’horreur. En effet, plus le film avance, plus nous sommes critiqués car on nous reproche le manque de fond, de substance. Mais si vous regardez de près, vous verrez qu’il y a une histoire derrière cette violence. Cette fille est dans le monde de la prostitution, son quotidien c’est sexe-drogue-sexe-drogue… C’est répétitif à l’infini, jusqu’à sa rencontre avec ce camionneur. Le film est une méditation sur l’énergie négative et comment on peut la laisser guider notre vie.

Sueurs Froides : Rodleen Getsic est vraiment impressionnante de véracité.

Adam Rehmeier : Elle n’a rien mangé durant 40 jours avant le tournage ! C’est une musicienne, une chanteuse très talentueuse. C’est son premier film, c’est une bonne amie à moi, on a passé des années, avant que le film ne se fasse, à faire des photos ensemble et de la musique. THE BUNNY GAME est d’ailleurs presque un film musical abstrait. La voix de Rodleen en est l’instrument principal. C’est moi qui ai fait la musique pour le film, j’ai construit l’ambiance musicale autour de la mélodie créée par cette voix. Lorsque j’ai fait le montage sonore, j’ai d’abord privilégié les cris, la voix, puis j’ai utilisé ma musique en guise d’accompagnement.

Sueurs Froides : Jeff Renfro, le camionneur, fait froid dans le dos. Est-ce un acteur ?

Adam Rehmeier : C’est un vrai conducteur de camion, pas un acteur. Je l’ai rencontré dans le Montana sur le tournage de NORTHFOLK des frères Polish, en 2003. J’étais réalisateur de la seconde équipe et Jeff conduisait un semi-remorque rempli de chiottes, ce qu’on appelle the honey waggon. Durant le tournage, il pensait que je me moquais de lui et que le regardais de travers, ce qui n’étais pas le cas. Bref, il m’a empoigné violemment et on s’est battu. Presque dix ans plus tard, lorsque je préparais le casting pour mon film, je m’en suis souvenu de lui. Je l’ai appelé pour lui dire qu’il m’avait vraiment foutu la trouille à l’époque et que j’avais un rôle pour lui. Il a dit oui. C’est son premier rôle alors qu’il a toujours bossé dans le cinéma. Il a sa propre compagnie pour le transport routier, HIGH NOON comme le western. Il avait travaillé pour Peckinpah, Friedkin et d’autres encore. Depuis la fin des années 60, il a côtoyé tous ces grands acteurs et réalisateurs, restant toujours dans l’ombre. Enfin, après quarante ans de carrière, quelqu’un lui propose d’être dans un film. Jeff c’est un vrai dur et il est parfait face à Rodleen. Il me fallait quelqu’un qui puisse la contrôler, la dominer. Il incarne la masculinité américaine, le vieil Ouest sauvage. Le camionneurs américains sont comme les cow-boys, seuls tout le temps et ils n’ont besoin de personne pour leur dire quoi faire. Mais les routiers indépendants disparaissent car les corporations prennent le dessus, Jeff est l’un des derniers de cette génération.

Sueurs Froides : Lars Von Trier disait à l’époque de EPIDEMIC® (1987) qu’un film doit être comme un caillou dans une chaussure.

Adam Rehmeier : C’est vrai pour mon film, mais je n’ai pas l’ambition de faire d’autres films de ce genre. Celui-ci était strictement lié à ma collaboration avec Rodleen et à notre envie de faire un film d’horreur. Le prochain est beaucoup plus facile, accessible à presque toute la famille, plus posé, dans un style très simple, presque documentaire. Il est presque terminé et se nomme JONAS. C’est l’histoire du gars à la camionnette blanche que l’on voit à la fin de THE BUNNY GAME. Mais ce n’est pas une suite, ça se passe des années plus tard, Jonas a trouvé Dieu…

Sueurs Froides : D’où provient l’idée du titre THE BUNNY GAME ?

Adam Rehmeier : C’est venu lors d’une improvisation sur le tournage. À un moment, j’avais ce masque de lapin et j’ai dit à Jeff de dire à Rodleen « we’re gonna play the Bunny Game » et il l’a murmuré de façon si effrayante que j’ai su que j’avais le nom de mon film. C’est ambigu, presque mignon, comme un jeu d’enfant et ça créé un parfait contraste avec les images que je montre. J’écris aussi des chansons mais je ne les nomme jamais avant, le titre vient toujours après. C’est pareil pour les titres de mes films, ils arrivent toujours une fois qu’ils sont terminés.

Sueurs Froides : Le film vient d’être banni en Angleterre.

Adam Rehmeier : En fait, la BBFC n’aime pas voir des femmes en péril. On avait un distributeur, Trinity Film, qui devait le sortir en dvd et peut être dans quelques salles. Mais là ils ne peuvent plus sortir le film tel qu’il est, sans coupes. Je pense que c’est injuste. Mon film n’est pas issu d’un gros studio, c’est une œuvre personnelle qui contient notre cœur et notre âme. Ils peuvent nous bannir mais ça ne nous découragera pas. Ils imposent des jugement moraux pour une nation entière. C’est absurde, nous sommes en 2011, on devrait être au-delà de la censure. J’ai d’ailleurs refusé de me censurer sur le tournage. Je suis fier de THE BUNNY GAME et je me fous un peu de ce que pense la censure, ils peuvent aller se faire voir. L’Angleterre est le seul pays pour le moment où le film a des problèmes. Je pense que le Japon va aussi m’en créer car il y est impossible de montrer des organes génitaux, mais je préfère que les scènes soient pixellisées que coupées. J’ai un distributeur pour l’Allemagne et l’Autriche, Illusions Unlimited, qui sortira le film dans sa version intégrale. Je suis à la recherche d’un distributeur pour la France…

Merci à Adam pour l’interview.
Merci à Patrick Suhner pour l’organisation de l’interview.

Lire la critique de THE BUNNY GAME


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- Article rédigé par : Éric Peretti

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