Alerte à Tahiti

Un texte signé Patryck Ficini

France - 1967 - Site Pierre

« Dans un dernier effort, Marc se cabra et leva son arme, la pointe en avant. Il y eut un heurt brutal… L’homme le fixa d’un air étonné.(…) Soudain il eut un rictus de douleur puis son regard devint vitreux, torve. Il bascula comme une masse sur le côté. La béquille l’avait transpercé de part en part. » (P.86)

Pour l’amateur de cinéma et de littérature populaire, le terme sous-produit n’est pas nécessairement péjoratif. Il sert juste à qualifier une oeuvre qui s’inscrit dans les pas d’une autre à tel point que l’on frôle la copie ou, parfois, le plagiat sans pour autant que cela soit forcément signe de piètre qualité. Il existe d’excellentes copies, et même des sous-produits qui innovent par rapport à leur modèle.
En matière d’espionnage, à partir des années 60, le modèle à imiter fut James Bond. Moins présente en littérature, ou plus subtile, l’imitation explosa au cinéma, notamment dans le cadre du bis européen. Ainsi, 0SS 117, créé sur le papier 4 ans avant Bond, emboîta la pas au célèbre agent britannique dans les productions Hunebelle qui tentèrent, et parvinrent d’une certaine façon, à le concurrencer directement. Flint et Matt Helm en Amérique choisirent la voie délibérée de la parodie délirante tandis que Dick Malloy/077 fut véritablement un James Bond aux petits pieds made in Italy.
Le fan du Bond cinématographique peut s’avérer déçu à la lecture des innombrables romans d’espionnage populaires de ces mêmes années (notamment au Fleuve Noir), tellement plus réalistes et moins portés sur l’action pure que les films (reste l’exotisme et les girls, éléments capitaux de la recette Fleming mais propres à la plupart des auteurs du genre). Plus d‘un ont même été déçus par Ian Fleming en personne, nettement moins délirant que ses adaptations…
Il ne fait pas de doute que lorsqu’on trouve un petit bouquin comme ALERTE A TAHITI (le titre banal est son seul défaut !), on ne peut que se réjouir devant ce qui est un vrai et excellent sous James Bond littéraire, encore bien plus proche des films que certains Baron ou Lecomte de ces années-là.
Après un teaser ultra violent ( un massacre en plein ciel), l’inconnu talentueux Pierre Site (dont on avait adoré A TOI DE JOUER, PRINCE ) nous présente son héros : Marc Leroy, alias le Marquis (les titres de noblesse sont prédominants dans le genre : vicomte, Lecomte, Sas et compagnie). Leroy est un ex agent-secret qui a démissionné après l’affaire de SAFARI POUR UN SATELLITE, qu’on aimerait lire aussi. Son patron le rappelle bien vite pour une nouvelle mission à haut risque. Des terroristes de l’Organisation (Spectre ou Trush ou Smog, c’est pareil) se sont emparés d’une base atomique française et menacent de tout faire sauter si on leur verse pas une importante somme d’argent.
Leroy débarque à Tahiti, se faisant passer pour un riche play-boy oisif, couche avec une gamine de 16 ans (on lui en propose une de douze mais il refuse : la morale est sauve même pour les années 60, tellement plus politiquement incorrectes qu’aujourd’hui), se fait traquer (excellente poursuite en voiture), est passé à tabac à coups de chaînes de vélos (douloureuse et violentissime bagarre). Et après ça n’arrête plus, Leroy retrouve le corps atrocement mutilé de son correspondant à Tahiti, se tape sa femme (qui finira … horriblement torturée à l’acide – dans la bouche et entre les jambes, Pierre Site ne rigole pas.) avant d’attaquer la base des méchants avec une armée de paras dans un final spectaculaire et grandiose, presque digne des productions Broccoli.
ALERTE A TAHITI, c’est vraiment ça : une intrigue simpliste, un héros bondien en diable et des méchants hors normes et ultra détaillés, de l’action violente, du sexe et du sadisme à tire-larigot (partie intégrante de la recette 007 ici poussée à l’extrême), comme en témoigne ce dernier extrait, particulièrement gore pour l’époque :

« Paul Laplace dormait. De son dernier sommeil. Etendu sur le lit, complètement nu, il fixait le mur d’un oeil figé, agrandi par l’horreur. L’autre n’était qu’un magma de chairs sanguinolentes, pendant sur la joue.
La cadavre baignait dans une mare de sang épouvantable. Chaque membre, chaque point sensible du corps humain avait été travaillé au bistouri et à la cigarette. Sur la poitrine, incisée à même la chair, la lettre O s’étalait. »(P. 105)
O, comme Organisation.

A lire en écoutant du John Barry.


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- Article rédigé par : Patryck Ficini

- Ses films préférés : Django, Keoma, Goldfinger, Frayeurs, L’Au-delà

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