Amoklauf

Un texte signé Philippe Delvaux

Allemagne - 1994 - Uwe Boll
Interprètes : Martin Armknecht, Christian Kahrmann, Susanne Leutenegger, Michael Rasmussen

Un homme seul, garçon de café de son état, racrapoté sur une petite vie minable depuis que sa femme est partie. Mutique – il n’a personne à qui parler –, sa vie se ritualise en petits instants de préparation pour son boulot et l’avachissement devant des jeux télévisuels aliénants. Ces derniers lui renvoient une image mêlant fausse joie et véritable cruauté. L’homme est blessé, profondément, mais tente de se maîtriser jusqu’au bout bien que la révolte gronde en lui. Il ne fait pourtant déjà plus partie de la société, il s’en est déjà auto exclu comme en témoigne son refus de nouer le contact avec sa voisine. Nous allons suivre son parcours, jusqu’à l’explosion finale.

Gus Van Sant a livré ELEPHANT, Uwe Boll se contentera d’AMOKLAUF. Les deux œuvres partagent le même thème, scrutant les instants qui précèdent la folie d’un homme. Ces petits riens indécelables par le reste de la société, qui ignore – qui veut ignorer – celui qui souffre. Cette transformation en monstre, qui même scrutée attentivement par la caméra, laisse un sentiment d’incompréhension.

L’homme est exclu de ce qu’Uwe Boll semble nous décrire comme les diverses mamelles de la vie occidentale contemporaine : d’un côté l’argent, la socialisation, la compétition, les rires, les pleurs, …, de l’autre, le sexe. Toutes ces composantes se réunissant via les émissions télévisées, jeux d’un côté, films pornographiques de l’autre. Au passage, on remarque combien cette vision de la société est faussée et déshumanisée, l’un et l’autre n’étant qu’une pâle mascarade de la vie réelle. Très vite, on réalise combien notre protagoniste est perturbé quand on le voit compulser des vidéos montrant des scènes d’abattoirs… puis d’exécutions humaines.

AMOKLAUF est le premier long d’Uwe Boll et a été tourné dans les années ’90, période faste pour le cinéma amateur fauché allemand. Contrairement à certains de ses collègues de cette époque, souvent prêts à se vautrer dans un gore potache ou malsain qui tient lieu d’ambition unique, AMOKLAUF soigne son sujet et son traitement. Le film a (partiellement ?) été tourné en 35mm et bénéficie d’un montage qui, sans être parfait, ne révèle pas un amateurisme trop gênant. Des images sont refilmées pour en accentuer à l’extrême le grain, livrant un résultat confinant au pointillisme.

Uwe Boll se trimballe depuis des années la peu flatteuse réputation d’un immonde tâcheron dénué du moindre talent. En cause, certains de ses films alimentaires adaptant au rabais des jeux vidéo adulés par des fans qui ne pardonneront jamais au réalisateur allemand d’en avoir à ce point bradé les caractéristiques.

Pour autant, on ne peut condamner systématiquement un réalisateur dont seule une partie de la filmographie s’affuble du bonnet d’âne. Il suffit pour s’en convaincre de tracer le parallèle avec cet autre roi de la production fauchée qu’est Jess Franco qui, pouvant légitimement rougir de certains de ses films déglingués, n’en demeure pas moins adulé par une frange de cinéphiles mêlant « bisseux » et aficionados de la Cinémathèque.

En France, le film est resté longtemps inédit… jusqu’à ce que Sin’Art s’occupe du sous-titrage en français et que le film soit sélectionné dans un focus Uwe Boll à la quinzième édition de l’Etrange festival. Pour l’anecdote, la « salle 100 » affrétée à cette occasion s’est révélée trop petite et la projection a été dédoublée dans une deuxième (et minuscule) salle. Preuve en est d’une certaine curiosité à l’égard de ce titre.

AMOKLAUF pâtit des défauts du film de débutant : le rythme perd parfois de sa maîtrise, l’intrigue ne raconte pas grand-chose, le personnage reste monolithique. L’interprétation souffre parfois quelque peu des limites d’une production amateur. Et une grande partie de l’activité du protagoniste consistant à regarder un écran de télévision, on n’est pas loin d’en découvrir l’intégralité des programmes ! Ceci dit, rien de honteux dans tout cela et l’ensemble se laisse quand même regarder avec un certain intérêt. Le montage de la scène finale est même assez judicieusement trouvé, éludant le son de l’action, à la signifiante exception des détonations, par le « Tod und verklarung » de Richard Strauss.

A noter que, production indépendante allemande, le film, s’il ne s’autorise pas de débords gore outranciers, n’hésite cependant pas à intégrer une longue scène pornographique, très explicitement montrée, éjaculation comprise. Avis aux yeux les plus prudes. Elle ne se veut pourtant pas purement gratuite puisque cette séquence montrant l’homme troublé dans sa contemplation d’un porno par une intruse, va basculer dès ce moment dans une froide folie meurtrière.

Au final, et à considérer l’extrême minceur du budget qui a dû lui être alloué, AMOKLAUF fait partie de ces productions indépendantes qui, en dépit de leurs limites, restent tout à fait défendables.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare

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