Anahita Ghazvinizadeh : Rencontre avec une réalisatrice à suivre

Un texte signé Éric Peretti

- 2014

Invitée lors de la quinzième édition du festival Black Movie pour accompagner ses deux courts métrages, Anahita Ghazvinizadeh a pris le temps de répondre à nos questions.

Sueurs Froides : Peux-tu nous parler de ton parcours ?

Anahita Ghazvinizadeh : Je suis née en Iran et j’ai commencé à étudier le cinéma à l’Université des Arts de Téhéran (Tehran University of Art) dans la section Cinéma et Théâtre (Faculty of Cinema and Theater) où j’ai choisi l’option écriture de scénario. Dans le même temps, j’ai également suivi l’atelier de mise en scène d’Abbas Kiarostami dont j’ai été, pour un moment, l’une des élèves. Après avoir eu mon diplôme en 2011, j’ai été à l’école de l’Institut des Arts de Chicago (School of the Art Institute of Chicago) pour faire un master que j’ai terminé en 2013. Actuellement, je suis artiste en résidence dans le cadre d’un programme avec le musée de beaux-arts de Houston au Texas (Postgraduate Residency, Core Residency Program of the Museum of Fine Arts, Houston, Glassell School of Art).

Sueurs Froides : As-tu réalisé d’autres films avant ceux projetés au Black Movie ?

Anahita Ghazvinizadeh : En plus de quelques petites choses, j’ai, durant mes études, coréalisé, avec Morteza Farshbaf, deux courts, FLAKEY (2008) et THE WIND BLOWS WHEREVER IT GOES (2008). J’ai également coécrit un long métrage, QUERELLES (Soog. Morteza Farshbaf, 2011), avant de mettre en scène WHEN THE KID WAS A KID en 2011.

Sueurs Froides : WHEN THE KID WAS A KID était-il un travail de fin d’études ?

Anahita Ghazvinizadeh : Non, ayant pris une spécialisation en écriture, je n’avais pas d’obligation de mise en scène pour ma thèse. C’est un projet personnel dont le scénario m’est venu à l’esprit lors d’un atelier d’écriture dirigé par le scénariste et documentariste Shadmehr Rastin. Nous faisions des exercices sur l’écriture automatique, ce qui consiste à juste écrire ce que nous avions en tête. J’ai écrit la base du scénario durant l’une de ses sessions, l’histoire de ce jeune garçon qui va s’amuser à ce jeu où les enfants jouent le rôle de leurs parents en se travestissant. Il y prend part sous le rôle de sa mère, qui est une mère célibataire.

Sueurs Froides : Y a-t-il une part autobiographique dans cette histoire, ou tu t’es inspirée d’un enfant que tu connaissais ?

Anahita Ghazvinizadeh : Une partie est autobiographique. Je ne suis pas un garçon mais j’avais une certaine expérience du travestissement car je ne portais pas vraiment des vêtements de filles lorsque j’étais petite. Secrètement il m’arrivait de porter des jupes et des talons hauts. Je me sentais travestie à ce moment là car je n’avais pas l’impression d’être moi-même habillée ainsi. Donc le fait de se travestir secrètement et de jouer un jeu fait donc partie de mon enfance. J’ai aussi toujours été intéressée par le non conformisme aux normes des genres sexuels et aux traditions impliquées par ces normes de genres. Actuellement je suis très intéressée par les théories sur le transgenre.

Sueurs Froides : Comment s’est déroulé le tournage avec tous ces enfants ?

Anahita Ghazvinizadeh : Le processus de tournage a été très plaisant pour moi car j’ai passé beaucoup de temps avec les enfants. On a eu des mois de répétitions qui furent en réalité du temps pour apprendre à se connaître les uns les autres. J’aime cette approche collaborative qui ne consiste pas à seulement lire le script, mémoriser les dialogues et exécuter les indications. Il y a eu certes des difficultés, comme sur tout projet, mais tourner avec des enfants a été une expérience très gratifiante. Je ne dirais donc jamais que c’est très difficile.

Sueurs Froides : Le film a-t-il été bien diffusé et reçu en Iran ?

Anahita Ghazvinizadeh : Oui, la réception à été bonne. Pour certaines raisons, il n’a pas été diffusé au Festival International des Courts Métrages de Téhéran, mais il a gagné de nombreux prix dans d’autres festivals indépendants en Iran et ailleurs. Je mis le film sur ma page viméo et il y a eu plus de 20 000 personnes qui l’ont vu, ce qui était plus important pour moi que de faire de l’argent avec. C’est mon capital maintenant, tout ces gens qui ont vu le film et qui attendent que j’en fasse un autre.

Sueurs Froides : Après avoir brillamment réussi à la fois tes études et ta première véritable mise en scène, tu vas donc aux États-Unis où tu tournes NEEDLE qui est à la fois proche de WHEN THE KID WAS A KID dans le fond, mais différent dans sa forme.

Anahita Ghazvinizadeh : Lorsque j’ai tourné NEEDLE, je vivais dans un autre pays, dans un autre temps et j’étais une personne différente. Je pense que l’atmosphère que vous imprimez à un film n’est pas entièrement consciente ou volontaire, elle est aussi dépendante de votre état d’esprit du moment. Les deux films furent deux expériences bien différentes. Le début et la fin de WHEN THE KID WAS A KID sont consacrés au temps que passe ce jeune garçon seul avec lui-même, sur sa solitude et son propre espace à la maison. Le reste du film se focalise sur ce jeu de travestissement, c’est plein de mouvement, de vie, on voit tous ces enfants qui parlent tout le temps. Je voulais ce contraste fort entre un début et une fin très silencieux qui montrent la solitude, et un milieu très bavard. NEEDLE n’est pas aussi radical dans sa structure, il y a des conversations en arrière fond qui aide l’histoire à progresser. C’est l’histoire d’une transition, le piercing est une subtile métaphore pour devenir une autre personne. C’est non seulement passer à l’âge adulte, mais aussi devenir consciente du monde des adultes.

Sueurs Froides : La mise en scène est également différente.

Anahita Ghazvinizadeh : La petite fille est très observatrice de ce qui se passe autour d’elle et je voulais que la caméra soit proche d’elle pour placer les spectateurs dans la même position qu’elle, qu’il partage son expérience. En tournant WHEN THE KID WAS A KID, face à tous ces enfants, j’avais opté pour une caméra portée afin de capturer les plus d’images possibles. Mais avec NEEDLE j’ai fait un film plus calme, avec beaucoup moins de personnage. Je voulais une caméra immobile avec des plans fixes, statiques, proches du personnage et de son état d’esprit, très calme. Je voyais aussi beaucoup de film de Bresson à l’époque où j’écrivais NEEDLE. J’ai été fasciné par sa façon de fragmenter les scènes avec des gros plans entre les plans fixes qui lui permettent de cartographier les émotions. Je voulais expérimenter cela. Visuellement, la palette de couleur du film montre bien que je vivais à Chicago, c’est bleu, vert et gris (rires).

Sueurs Froides : Si NEEDLE avait été tourné en Iran, aurait-il été différent ?

Anahita Ghazvinizadeh : Je voulais réaliser NEEDLE in Iran et il aurait été tout aussi « froid » et calme avec peu de dialogues. Je ne voulais pas mettre l’accent sur une différence culturelle en le tournant aux États-Unis, bien au contraire. Je voulais montrer ce qu’il pouvait y avoir de commun dans les différentes cultures, la solitude, et transposer ma propre expérience, car il y a aussi une petite part autobiographique dans NEEDLE, dans un autre pays qui est supposé être à l’opposée du mien. Surtout, je ne voulais pas simplement refaire une copie à l’identique de WHEN THE KID WAS A KID. Je pense que les courts métrages sont faits pour expérimenter autant que l’on peut et développer son style.

Sueurs Froides : Peux-ton s’attendre à d’autres expérimentions dans le futur alors ?

Anahita Ghazvinizadeh : Bien que j’aie une idée pour un autre court métrage, dans la thématique des deux premiers, j’écris en ce moment un long et je me concentre dessus car c’est actuellement un bon timing. NEEDLE a reçu le Prix de la Cinéfondation à Cannes l’an passé et cela implique que je pourrai présenter mon premier long métrage au Festival. Du coup, cette opportunité peut me permettre d’approcher plus facilement des investisseurs pour financer ce projet de long métrage. Mais ensuite, j’écrirai et je ferai le court.

Lien pour voir WHEN THE KID WAS A KID
Merci à Anahita Ghazvinizadeh pour cet entretien.
Merci à Antoine Bal pour l’organisation de l’entretien.


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- Article rédigé par : Éric Peretti

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