Anthologie des Frères Quay

Un texte signé Mazel Quentin

Grande-Bretagne - 1985-2000 - Stephen et Timothy Quay

C’est lors de L’Étrange Festival 2014 que fut projetée une anthologie du travail des Frères Quay concoctée pour l’occasion. Celle-ci comportait la très grande majorité de leurs travaux réalisés entre 1985 et 2000 et c’est ainsi que la tétralogie STILLE NACHT, THE COMB, LA RUE DES CROCODILES, RÉPÉTITIONS POUR DES ANATOMIES DÉFUNTES et IN ABSENTIA furent projetés dans une même séance. Accompagnée d’une présentation du distributeur français Ed Distribution, cette séance était l’un des très beaux moments du festival.
Nés en 1947 en Pennsylvanie, Stephen et Timothy Quay sont deux jumeaux identiques qui, après des études de graphisme et d’illustration à Philadelphie, poursuivirent leur formation au Royal College Art de Londres. Ils restèrent dans cette ville et créèrent une maison de production, Koninck Studios, sous laquelle ils réalisèrent la plupart de leurs films.
S’ils proposent principalement des courts-métrages, deux longs métrages virent le jour, INSTITUT BENJAMENTA en 1995 et L’ACCORDEUR DE TREMBLEMENTS DE TERRE en 2006. Notons que ce dernier est produit par Terry Gilliam, un grand amateur de leur travail.
Inspirés par Buñuel, Dreyer, Tarkovski et Svankmajer, les frères Quay ont créé leur propre univers personnel et poétique, véritable génie de l’animation. Leurs travaux sont très appréciés par les aficionados, mais sont toutefois relativement méconnus du grand public.
Il est souvent difficile de parler de leurs productions, situées à mi-chemin entre un travail d’animation et de maquettiste, développant des mondes reconnaissables et foisonnants. Acteurs, figurines, dessins, modelage et peinture se mélangent et s’imbriquent lors de tournages en noir et blanc et en couleur, les propositions des frères Quay étant complexes et énigmatiques.
Nous relatons ici une séance qui leur était dédiée, où plusieurs de leurs courts-métrages furent projetés à la suite – nous l’avons déjà dit -, l’exercice est donc compliqué. Nous faisons dès lors le choix de considérer cette séance comme une entité « unique » comportant un sens propre et non pas comme une succession de divers courts-métrages distincts.
Pour commencer, il faut reconnaître que cette anthologie est un superbe moyen de découvrir l’univers des deux auteurs et qu’à travers celle-ci, il est possible de discerner différents thèmes qui traversent leurs productions.
Dans des décors poussiéreux, proches des univers alambiqués et ombragés des expressionnistes allemands, de petits objets et personnages faits de bric et de broc se déplacent, errent pour certains, dans une quête qui échappe la plupart du temps au spectateur.
Les ambiances industrielles et celles des vieux greniers se confondent, mais semblent tenues par un même thème majeur, la relation d’un monde « des petits » avec celui « des grands ». En effet, et cela semble constant dans leurs travaux, la narration se construit autour d’interactions entre deux mondes qui généralement s’ignorent et dont les conséquences de l’un sur l’autre ne sont connues que du spectateur. Il s’agit, peut-être, d’une forme de position divine que pouvait décrire Leibnitz dans ses textes.
Par un enchaînement de causalités, les univers interagissent entre eux, le mouvement de l’un entraînant toujours celui de l’autre. C’est d’ailleurs souvent l’enchaînement de ces évènements qui est central dans les courts-métrages des deux frères. Les roues, les treuils et les poulies ont une place toute particulière dans ce cinéma, constituant un moyen d’interaction qui peut devenir anonyme et sans conséquence immédiate pour celui qui l’utilise.
Les petits influençant autant le monde des grands que l’inverse.
THE COMB, outre le fait d’être un véritable chef-d’œuvre d’animation, est un exemple particulièrement parlant de ce thème. Le film semble transcrire la relation entre une femme endormie sur son lit et un monde peuplé d’étranges personnages habitant à l’intérieur de son corps.
Le court-métrage STILLE NACHT I est une bonne illustration d’un autre thème des frères Quay : la texture. La fascination pour ce qui semble être des poussières minérales se mouvant harmonieusement au rythme d’un aimant est proprement superbe. Un travail qui montre l’importance accordée à la matière et sa textualité dans le projet d’animation, le volume pouvant être plus déterminant que le mouvement lui-même. Ainsi, il arrive que des animations ou des lumières changent abruptement pour redéfinir l’objet au centre de l’attention.
Les vifs mouvements de caméra très géométrisés, en lignes droites continues, vont également dans ce sens.
Hormis le fait de donner une autonomie à ces objets par le mouvement, ce sont des bribes de personnalité, comme l’espièglerie, la timidité ou encore la curiosité, qu’insufflent les frères Quay à leurs créations. Les interactions sont ainsi souvent motivées par une sorte d’individualité propre.
Dans une forme d’élan prométhéen, les films des frères Quay cherchent à rendre la vie à des objets qui n’en ont plus. Pour cela, la récupération et les assemblages sont la norme dans cet univers qui ressemble parfois au théâtre Turac. Dans un paysage apocalyptique d’une très grande poésie, les frères Quay font se mouvoir, de vieilles poupées, les copeaux d’un crayon, une échelle difforme ou encore des épingles.
L’animation ne se réduit pas à être un simple moyen technique, mais se construit comme but en elle-même. Le mouvement est-il synonyme de vie ? Pour Stephen et Timothy, la réponse semble être négative. En effet, bien souvent, les réalisateurs mettent en scène autant des automates que des personnages « vivants » développant une certaine conscience. Leurs oppositions sont d’autant plus visibles lorsqu’ils se croisent et interagissent, comme dans LA RUE DES CROCODILES.
La notion de mouvement semble donc être bien plus au cœur du travail des Evil Twins, comme on les surnomme parfois, qu’il ne peut y paraître. En effet, mettre en mouvement n’est pas pour eux synonyme de donner vie et ils semblent s’astreindre à nous le montrer. La technique cinématographique qu’ils développent, axée sur le morcellement, confirme, nous semble-t-il cette hypothèse.
Au son de la musique mélancolique, c’est tout un monde qui s’anime, mettant en scène la vie non pas par le mouvement, mais par les interactions que suscite celui-ci.
Pour conclure, le travail fantastique des frères Quay est passionnant, superbe et cette anthologie est un véritable coup de cœur permettant autant de découvrir une œuvre foisonnante que de discerner un projet artistique complexe.


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- Article rédigé par : Mazel Quentin

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