Aquarium

Un texte signé André Cote

France - 2004 - Frédéric Grousset
Interprètes : Karen Bruere, Abel Divol, Capucine Mandeau, Julien Masdoua, Michel Robin...

Six personnes se réveillent dans une pièce sans fenêtre et sans porte. Une personne les voit par l’intermidiaire d’une caméra et leur ordonne d’exécuter ses ordres, sous peine de mort.
Alors que le cinéma de genre français peine encore à trouver son public, il est rassurant de voir que certains persévèrent dans cette voie. Sommes-nous réellement témoin d’une émergence d’un nouveau et réel cinéma de genre ? L’avenir nous le dira mais au vu de quelques talents naissants (Jan Kounen, Florent-Emilio Siri, Jean-Pierre Jeunet…), on semble sur la bonne voie.
AQUARIUM s’ouvre avec un plan filmé en plongée, granuleux, bi-chrome. A priori, il s’agit de la vision d’une caméra de surveillance. Le réalisateur met ainsi le spectateur dans la position du voyeur. Mine de rien, ce choix remet en question la position du spectateur : pourquoi regarde-t-il un film si ce n’est pour regarder la vie des autres ? Un tel débat avait déjà suscité la polémique au moment de l’émergence de la télé-réalité : le voyeurisme du spectateur était mise en exergue. Ici, le fait que les personnages soient prisonniers d’une boîte à image nous y fait immédiatement penser : le champs de la caméra recouvre toute la pièce où ils résident, la pièce filmée étant alors contenue dans la télévision que nous regardons. A noter que ce phénomène commençait déjà à s’estomper au moment du tournage du film en 2004, l’émission Loft Story s’étant arrêtée deux ans plus tôt.
Le plan s’éternise et accuse des coupes comme si le réalisateur zappait et essayait de saisir des moments de vie. Cette position de voyeur démontre ainsi bien vite ses limites puisque le fait que ces personnes se savent observées détruit instantanément le but recherché : saisir la vie. Il est connu que lorsqu’un observateur fait connaître sa présence à son sujet pour les besoins d’une expérience, le comportement du sujet est floué par cette observation. C’est cette limite qui est ici mise en évidence à travers l’oeil de cette caméra de surveillance.
Heureusement, l’objectif du réalisateur ne réside pas seulement dans cette dénonciation (qui n’est pas sans rappeler THE TRUMAN SHOW) mais la réflexion vers laquelle il tend rejoint aussi d’autres films. On a une impression de déjà-vu en pensant à CUBE et SAW puisque le film met en scène des personnes prisonnières d’un espace clos et contraintes à des épreuves dont l’enjeu est énigmatique mais le dénouement mortel. D’ailleurs, la scène où les personnages se réveillent et finissent par se présenter tous à tour de rôle semblent provenir plan par plan de ces deux films.
Aussi, l’aspect le plus intéressant d’AQUARIUM n’est pas le voyeurisme (la caméra de surveillance ayant une perception limitée de la réalité) mais le film vu par le réalisateur lorsque celui-ci, en utilisant souvent la caméra à l’épaule, se rapproche de ses personnages dans une démarche de narration classique. Cette fois, le réalisateur parvient à capturer la tension ressentie que le voyeur ne réussit pas à percevoir. Elle en devient la portion du film où le réalisateur se montre plus à son aise puisqu’il peut réellement composer des cadres : il s’amuse avec les profondeurs de champs et les personnages y prennent une réelle dimension. Le voyeur est coincé dans sa prédominance qui le pose en simple juge de ses personnages; le réalisateur, lui, se met à leur hauteur. C’est cette partie de la mise en scène qui est la plus intéressante surtout que Frédéric Grousset la différencie en y ajoutant un élément important : la parole. Le voyeur ne peut entendre ses prisonniers, le spectateur oui. Les personnages prennent aussi conscience pas à pas des degrés de pression qu’ils subissent, les forçant à commettre l’irréparable et perdent toute notion de statut social (on oublie très vite que l’un d’eux est une vedette de radio locale) pour tomber dans le simple statut de prisonnier. Cette instropection est, elle, bien rendue grâce au travail de la musique.
Cependant, le métrage souffre de plusieurs défauts inhérents aux films français : l’interprétation est bancale. Les acteurs semblent mal à l’aise, s’agitent souvent pour un rien et on est tenté de penser qu’ils proviennent tous du théatre en raison de l’importance des gestes dans leur jeu. C’est en effet là le plus gros et principal défaut du film : leur manque de naturel. Cela peut rebuter au premier abord.
Cependant, le réalisateur a également l’humilité de ne pas vouloir allonger le film et réduit ce dernier au stric minimum : le film ne dure qu’un peu plus d’une heure. Quelques intrigues semblent avoir été victime du banc de montage. On peut supposer que des scènes ne marchaient finalement pas dans une première version du film : certainement celles qui approfondissent les relations entre les personnages. En raison de cette durée, AQUARIUM prend des faux-airs d’un épisode de LA QUATRIEME DIMENSION, comme CUBE en fait. Ce n’est pas déplaisant en soi (on pourrait trouver pire modèle et référence) mais cela augmente encore plus le sentiment déjà-vu, surtout au regard du climax qui nous affliche d’une réflexion sur les individus manipulés dans ses besoins et ses envies par sa propre société.
Ainsi, en plus de ce bémol sur l’interprétation, le film peine à se démarquer d’un sous- CUBE ou sous- SAW, seul le côté rocambolesque de ses derniers manque. AQUARIUM privilégie l’introspection et il n’est pas déplaisant. Il réussit même à installer une tension qui va crescendo. Le film souffre toutefois de venir après tant d’autres qui ont déjà traité du même sujet. Il reste une expérimentation intéressante, une curiosité pour découvrir un nouveau cinéaste tenté par un genre peu visité dans l’Hexagone.


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- Article rédigé par : André Cote

- Ses films préférés : Dark City, Le Sixième Sens, Le Crime Farpait, Spider-Man 3, Ed Wood

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