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Arrivederci Amore, Ciao

Le peplum, le giallo, le poliziechi, la nazixploitation, la nunsploitation, le gore, le fantastique baroque… Tant de genres qui ont marqué le cinéma italien, sous l’égide d’authentiques créateurs ou d’honnêtes artisans, et qui, depuis maintenant une bonne vingtaine d’années sont orphelins de cette époque glorieuse. Oui, mais voilà que depuis peu l’espoir semblait renaître via de jeunes réalisateurs sous influences comme Eros Puglielli dont le giallo EYES OF CRYSTAL avait fait forte impression… ou Michele Placido qui avec ROMANZO CRIMINALE a redonné du poil de la bête au polar européen. Du coup, tandis que Bruno Mattei nous aura envoyé dans la tronche des zéderies sans nom jusqu’à sa récente disparition (et pourtant, des noms, elles en ont, des exemples ?…NELLA TIERRA DEL CANIBAL, LAND OF DEATH pour ne citer qu’eux), le climat plus propice incite les producteurs à plus d’ambition. Ainsi, tandis que Lamberto Bava reprenait les affaires avec son récent GHOST SON et que Dario Argento s’apprêtait à livrer la dernière pièce de sa trilogie des sorcières, Michele Soavi lui, enchaînait depuis quelques années déjà les succès à la télévision italienne (UNO DE LO BIANCA étant suivi par près de douze millions de téléspectateurs tout de même) en attendant qu’on l’autorise, presque douze ans après le formidable et déviant DELLAMORTE DELLAMORE, à repartir en tournage. En 2006 enfin le nom de Michele Soavi apparaît au générique d’ARRIVEDERCI AMORE, CIAO. Précédé d’une réputation élogieuse, le film repartira pourtant bredouille, très injustement selon beaucoup, du festival du film policier de Cognac où il était présenté. Injustement oui tant cet ARRIVEDERCI AMORE, CIAO sonne vraiment comme le film du renouveau tant espéré.
Thriller urbain crépusculaire, ARRIVERDERCI AMORE, CIAO nous place d’emblée dans la peau de son héros, Giorgio, gauchiste activiste durant les années de plomb reconverti en guérillero en Amérique Centrale. Armé d’un visage d’ange et d’yeux bleus impénétrables, Giorgio manifeste la volonté de revenir en Italie pour y vivre de façon normale. Recherché pour avoir commis des actes terroristes, il doit maintenant racheter sa liberté et rencontre Anedda, un flic véreux qui, en échange de menus travaux, accepte de rendre possible sa réhabilitation. Giorgio fait maintenant partie du grand monde. Il possède son propre restaurant et noue des relations avec les personnalités les plus influentes de la ville. Seulement, sa destinée ne lui appartient pas. Le bonheur dont il profite dépend uniquement de ceux qui veulent bien le rendre possible.
Portrait d’un homme monstrueux à bien des égards et pourtant attachant, ARRIVEDERCI AMORE, CIAO est un film bien plus intéressant que la majorité des polars sortis récemment. Ses thématiques sont, en effet, nombreuses.
Profondément ancré dans l’histoire de son pays, le film de Michele Soavi tente de faire le lien entre une Italie révolutionnaire, contemporaine des fameux polizieschi. Giorgio, le principal protagoniste du film, est ici un personnage enraciné dans ses valeurs d’antan, dans une Italie qui n’existe plus mais il est aussi un personnage dont le but final est de vivre comme tout le monde. Dans l’environnement qu’il retrouve, ses anciens amis révolutionnaires sont devenus, pour la plupart, des gangsters plein aux as. Finalement, le seul point d’attache qu’il va trouver pour commencer sa réadaptation à ce pays nouveau est le commissaire Anedda, flic véreux anachronique (comme Giorgio) qu’on croirait voir débarquer d’un Umberto Lenzi de la grande époque.
Alors Giorgio se mettra dans toutes les combines pour évoluer dans cette société. Homme de main dans une boîte de strip-tease, il ira jusqu’à voler son employeur et fera preuve d’un comportement misanthrope au possible, assénant même un coup de boule dévastateur à une danseuse un peu trop curieuse. Il existe des films ambigus où le personnage navigue entre le bien et le mal sans trop savoir où est sa place. Dans ARRIVEDERCI AMORE, CIAO, on est tout de suite renseigné et rien ne nous fera changer d’avis, Giorgio est bien une ordure monstrueuse mais une ordure tellement bien filmée et dépeinte qu’elle en devient attachante.
Totalement inadapté, Giorgio découvre alors l’amour, un sentiment auquel il n’est pas préparé et qu’il n’arrive pas à apprivoiser (voir à ce sujet le simili viol mêlé d’amour et de chantage qu’il inflige à sa première victime). Tout lui est dû et dans son infinie ignominie, les sentiments des autres lui importent peu, tout juste bons à satisfaire son amour propre.
Pourtant, son désir de changer est bien réel, sa volonté de réhabilitation est là mais ses anciens instincts et sa compréhension anti-diluvienne de ce qui l’entoure prennent le dessus.
A en croire ces lignes ARRIVEDERCI AMORE, CIAO paraît être plus une étude de mœurs qu’un polar. Et pourtant le dernier film de Michele Soavi est bel et bien bourré de morceaux de bravoure et de magnifiques salopards tels ce commissaire Anedda, symbolisant à lui seul une décennie italienne de flics sadiques et pourris. C’est par lui que Giorgio va pouvoir racheter sa liberté mais il est aussi celui qui va provoquer sa perte. En effet, il lui impose le coup de trop, un hold-up qui finira en boucherie sanglante et qui ainsi fera vaciller sa nouvelle respectabilité. Au moins aussi noir et nihiliste que Giorgio, Anedda est le genre de personnage que l’on n’oublie pas.
Michele Placido, réalisateur de ROMANZO CRIMINALE, fait le pont entre son œuvre et celle de Soavi en interprétant magistralement Anedda. Physiquement méconnaissable et noir au possible, il réussit presque à voler la vedette à Alessio Boni qui dans son rôle d’ange à la figure sale, établit pourtant une prestation ambiguë et remarquable.
Que dire de la mise en scène de Michele Soavi sinon que, plus de dix ans après, son cinéma a évolué mais que sa personnalité est toujours intacte. Bourré de scènes oniriques, ARRIVEDERCI AMORE, CIAO dériverait presque sur le terrain du fantastique. A ce titre, en sus des références visuelles fréquentes à Dario Argento (SUSPIRIA en particulier) ou Mario Bava, on a droit à un long passage vu de haut. La caméra se balade là dans un strip-club et dévoile un tas d’atrocités mises en scène avec une grandiloquence digne de la belle époque italienne.
Qui ne goûte pas à l’ironie ou à l’humour noir ne goûtera pas non plus pleinement aux charmes d’ARRIVEDERCI AMORE, CIAO qui a le don d’insérer de façon cohérente entre deux scènes sombres une bonne dose d’humour cynique. On retrouve bien là la patte de Michele Soavi, le ton d’ARRIVEDERCI AMORE, CIAO, s’apparentant quelque peu à celui de DELLAMORTE DELLAMORE par exemple lors d’une scène de tribunal vue des yeux… d’une mouche !
Réaliste et noir d’un côté, lunaire et peuplé visuellement et thématiquement d’éléments d’antan, ARRIVEDERCI AMORE, CIAO ressemble donc à une vraie cure de jouvence pour son réalisateur et pour son industrie. En tous les cas, Michele Soavi semble celui, parmi les grands noms italiens encore en activité, qui a le mieux compris comment faire évoluer son cinéma sans se renier. Son portrait d’un salopard absolu se déguste, dans toute sa noirceur jusqu’à une scène finale lorgnant ostensiblement vers le giallo. La dernière image, pourtant si simple, fera même naître quelques frissons et illustrera au mieux une phrase claironnée durant le métrage, « Plus les choses changent, plus elles restent les mêmes ». Les années passent mais les Italiens sont toujours là. Et ils le font savoir !

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