Bandidos

Un texte signé Philippe Delvaux

Italie - 1967 - Massimo Dallamano (Max Dillman)
Titres alternatifs : Crepa tu... che vivo io , You die... but I live
Interprètes : Enrico-Maria Salerno, Terry Jenkins, Venantino Venantini, Marco Guglielmi, Cris Huerta, Luigi Pistilli, Maria Martin

Un vagabond se fait éjecter d’un train par un contrôleur pointilleux… et sans scrupule puisqu’il confisque les affaires du premier au titre de dédommagement. Peu après, une bande de truand attaque le train et tue presque tous les voyageurs. Seul Martin, un tireur d’élite, en réchappe. Il voulait tuer Billy, le chef des brigands, mais ce dernier est encore plus rapide et plutôt que d’assassiner Martin, il lui estropie les deux mains, le rendant à jamais incapable d’encore manier le 6 coups. Quelques années plus tard, Martin, reconverti en bateleur est sauvé d’une altercation par notre vagabond, lequel devient, sous le nom de Ricky shot, le nouvel élève de l’ex gâchette. Martin tente de faire de Ricky le tireur qui sera capable d’abattre son ennemi Billy. Mais quels sont réellement les motivations de Ricky ?

Premier film de Massimo Dallamano, premier et dernier western, premier coup de maitre. Fort d’une expérience de plus de 20 ans de directeur photo, au rang de laquelle on compte les deux premiers westerns de Sergio Leone, Massimo Dallamano se lance enfin dans la réalisation (… de fiction, il avait auparavant en effet tourné un documentaire) avec BANDIDOS. Sa bien trop courte carrière – il meurt déjà en 1976 – nous laisse cependant nombre d’œuvres importantes du ciné populaire italien : ANNIE OU LA FIN DE L’INNOCENCE (1975), rattaché dans d’autre pays abusivement à LA saga érotique de l’époque sous le titre de TEENAGE EMMANUELLE, EMILIE, L’ENFANT DES TÉNÈBRES (chroniqué sur Sueurs Froides), LA LAME INFERNALE (aka LA POLICE DEMANDE DE L’AIDE), réédité en dvd en 2013, PIÈGE POUR UN TUEUR, MAIS QU’AVEZ-VOUS FAITS À SOLANGE (aka JEUX PARTICULIERS), LE DÉPRAVÉ (aka LE PORTRAIT DE DORIAN GRAY), VÉNUS EN FOURRURE, ou encore LE TUEUR FRAPPE TROIS FOIS. Bref, un cinéaste apprécié sur Sueurs Froides.
A noter que le film est signé Max Dillman, simple anglicisation de Massimo Dallamano. L’époque était coutumière du fait. Mais, il semblerait que certaine copie attribuent au générique la photographie à l’Espagnol Emilio Foriscot, sans doute pour des raisons administratives. Cette mention est encore reprise en 2013 sur imdb. Le caméraman de l’époque, Sergio D’Offizi a confirmé au spécialiste Alex Cox que cette mention était erronée et que c’est bien Dallamano lui-même qui a dirigé photo et lumière (d’après l’ouvrage « 10.000 ways to die », 2009). Et c’est ce même ouvrage qui nous offre la plus intéressante clé de lecture de l’œuvre : Alex Cox propose l’hypothèse que, évincé de la photographie de son 3e western par Sergio Leone au profit de Tonino Delli Colli, Massimo Dallamano aurait tourné BANDIDOS en forme de revenge, le thème de la trahison entre l’élève et le maitre appuyant cette hypothèse.

Dès l’entame, on sent que le réalisateur a longtemps fait ses armes comme directeur de la photographie. Tout y est parfaitement maitrisé, tant en terme d’image que de rythme. Dallamano s’appuie en outre sur un script plus que correct et qui ne verse pas dans la facilité : tant ses personnages que son intrigue vivent. Enfin, le casting, composé d’acteur peu connus ou cantonnés ailleurs aux seconds rôles, est excellent.
Avec BANDIDOS, Dallamano signe donc une belle chronique maitre-élève. Le rapport maitre-élève est souvent traité au cinéma. Pour n’évoquer que les westerns, on citera le contemporain LA MORT ÉTAIT AU RENDEZ-VOUS (DA UOMO A UOMO, 1967, Giulio Petroni), ou, antérieur à BANDIDOS, DU SANG DANS LE DÉSERT (aka THE THIN STAR, 1957, Antony Man).
Nous ne sommes encore qu’en 1967, et pourtant le réalisateur joue déjà des codes du western italien : la traditionnelle figure du héros mystérieux, dont les motivations restent énigmatiques, est ici à la fois dédoublée et retournée : il nous faudra un certain temps avant d’apprendre les raisons de la haine séparant Martin de Billy et encore plus avant de relier Ricky au même Billy.

Et ce n’est pas tout, c’est la figure même du tireur d’élite qui est mise à mal. Une répartie de Martin nous éclaire : « si tu dis que tu es un tireur d’élite, tu tombes vite sur un malin qui te bousille, juste pour prouver qu’il est plus rapide que toi. » Les péripéties du scénario ne lui donnent pas tort. C’est la vacuité du duel comme enjeu majeur dont il est ici question, duel qui reste pourtant au cœur des westerns, surtout italiens, y compris dans celui qui nous occupe ici. C’est également de la course à l’excellence dont il est question, nombre de westerns (et on retrouve une préoccupation similaire dans le genre cousin du chambara japonais) se préoccupant beaucoup de montrer le tireur le plus rapide, quitte à le nimber d’une aura d’invincibilité certes cinégénique, mais aussi fantasmatique que peu crédible. Ici, le maitre, ex tireur d’élite aujourd’hui diminué, forme des élèves qui incarneront son bras vengeur pour tuer son ennemi. Des vies entières consacrées à la seule vengeance.
Martin, blessé aux mains par Billy et donc devenu incapable de tirer renvoie moins par sa blessure aux stigmates christiques, qu’au DJANGO de Sergio Corbucci, qui avait triomphé peu auparavant. De manière plus générale, on retrouve une fois de plus la tradition du guerrier blessé, qui excelle dans le cinéma d’art martial asiatique, mais qui trouvera d’autres occurrences dans le western italien (ne citons que BLINDMAN).

Martin est un forain. Auparavant lui-même tireur de foire, il exhibe dorénavant ceux qu’il forme. On ne peut s’empêcher d’y voir comme un commentaire sur le spectacle de la violence. Tout en notant que la situation est basée sur des précédents historiques, notamment lorsque la période des aventuriers touche à sa fin et que d’anciennes gâchettes se reconvertissent dans le monde du spectacle (Buffalo Bill, dont les spectacles se donnèrent jusqu’en Europe).

Le jeune poulain de Martin, le vagabond, nous cache son identité pendant une bonne partie du film. Il se contente de prendre le nom de scène de son prédécesseur, lâchement et gratuitement abattu par un sbire de Billy. On retombe sur la tradition du héros sans nom, ou affublé d’un sobriquet de cinéma (Sartana, Requiescant…), ici commenté par l’interchangeabilité du nom (repris par le nouveau, pour les besoins du spectacle et par facilité, de même que les producteurs pillaient sans vergogne les noms de héros d’une production concurrente si celle-ci avait cartonné au box-office) et un certain ridicule : « Ricky shot » n’a à l’évidence pas le même poids qu’un Django ou un Sartana.

Ce qui nous amène à parler du morceau de bravoure de BANDIDOS, le duel final. Climax du film, celui-ci est particulièrement soigné. Dallamano lui a conféré une dynamique propre, un certain réalisme aussi, les protagonistes utilisant au mieux la topographie des lieux plutôt que de s’affronter à découvert.

Nous sommes en Italie. Pétris de culture classique, le scénariste glisse l’une ou l’autre référence. Ainsi, lorsque blessé et se sentant mourir, Kramer – le lieutenant de Billy -, retient prisonnières les danseuses du saloon et veut les tuer pour les emporter dans la tombe, l’arrière-plan et le commentaire d’un des protagonistes évoque le tableau « La mort de Sardanapale » qui, pour rappel, est ce roi de Babylone qui, proche d’être défait par l’ennemi, se suicida en faisant tuer en même temps ses femmes et ses esclaves et bruler sa ville afin que n’en profite pas ses ennemis. C’est une des caractéristiques du western italien qui, succédant au péplum, réinsuffle dans certaines de productions des mythes (ou de simples renvois aux classiques) de l’antiquité.

Si l’Ouest est au XIXe siècle un monde jeune, on constate que l’Italie millénaire privilégie dans ses westerns des paysages désertiques, des villes abandonnées, des ambiances déglinguées, des personnages las et désabusés. Bref, tout l’attirail d’une civilisation usée et en fin de course. Ces villes fantômes qui parsèment le western spaghettis renvoient à l’évidence aux ruines de l’époque romaine. Le western italien parle à son public en le plongeant dans un contexte qui lui est familier.

On a évoqué le duel final, on peut tout autant parler d’une ouverture marquante. L’attaque du train est brutale, cruelle, les bandits n’épargnant personne. Nous sommes dans la première période de l’âge d’or du western, les films y sont âpres et violents. Parmi les autres moments forts, on relèvera l’assassinat d’un autre des protagonistes, accoudé au bar, tournant le dos à son meurtrier, parfaitement conscient de sa fin imminente, pétri de peur. Le tireur prend bien son temps avant d’achever sa besogne, pour faire souffrir sa victime, lui faire passer à travers la gorge son échec. Dallamano prend tout autant son temps pour filmer cette scène. Les leçons de Sergio Leone, maitre dans l’étirement temporel, portent leurs fruits.

BANDIDOS relève clairement de la tragédie, avec ses personnages déchus cherchant vengeance, manipulant pour parvenir à leurs fins, avec ses trahisons et ses échecs. On peut éprouver de la compassion pour Martin, étoile tombée dans le caniveau, trahie et retrahie, aveuglé de vengeance et qui court à sa perte.
BANDIDOS est sorti en salle en France le 8 mai 1968… une période difficile !

Au final, on aura compris que BANDIDOS, insuffisamment remarqué à sa sortie, mérite une franche 2e chance, de celle que lui offre en 2013 une réédition en dvd par Artus.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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