Comtesse Bathoryreview

Bathory

Originaire de l’ex-Tchécoslovaquie, le réalisateur Juraj Jakubisko est quasiment inconnu en-dehors de son pays actuel, la Slovaquie. Il débute pourtant dans le cinéma au milieu des années 60, période de « dégel » et d’effervescence créatrice avec les premiers films de ses collègues Milos Forman ou Ivan Passer. Juraj Jakubisko signe à l’époque plusieurs œuvres influencées par la Nouvelle Vague française (LES OISEAUX, LES ORPHELINS ET LES FOUS, 1969) et d’une grande liberté de ton mais après l’échec du Printemps de Prague, il est rapidement censuré et se retrouve à travailler sur des documentaires ou pour la télévision tchèque. Ses deux compatriotes pré-cités choisiront l’exil aux Etats-Unis et prendront la nationalité américaine. De retour au cinéma dans les années 80, le réalisateur slovaque œuvre sur des projets aussi divers que L’ABEILLE MILLENAIRE (1983), une puissante fresque historique, LA TANTE DE FRANKENSTEIN (1987), désopilante série-télé en hommage aux monstres de la Universal ou plus récemment sur POST- COITUM (2004), une comédie avec Franco Nero.

BATHORY est un film historique ambitieux au budget plus que confortable (environ 10 millions d’euros) qui retrace la vie de la sanguinaire Comtesse hongroise Erzsébet Báthory dont la légende dit qu’elle aurait sacrifié plus de 600 femmes et utilisé leur sang pour conserver jeunesse et beauté éternelles. Cette personnalité hors du commun a inspiré de nombreux auteurs (Sheridan Le Fanu pour sa nouvelle « Carmilla ») et plusieurs films prennent la comtesse-vampire comme héroïne : COMTESSE DRACULA de Peter Sasdy (1971), CEREMONIE SANGLANTE de Jorge Grau (1973), un magnifique segment des CONTES IMMORAUX de Walerian Borowczyk (1974)…Très récemment, l’actrice française Julie Delpy a pris les traits d’Erzsébet dans LA COMTESSE (2009) qu’elle a également réalisé.

En Hongrie autour de 1575. La jeune Erzsébet, héritière de la très riche et puissante famille Báthory épouse Ferenc Nádasdy qui appartient à une des plus anciennes et illustres familles du pays. Une quinzaine d’années plus tard, alors que Ferenc est devenu un être brutal à force de passer son temps à guerroyer contre les Turcs, la Comtesse vit une histoire d’amour compliquée avec un jeune peintre italien assujetti par son époux. Après la mort de ce dernier, Erzsébet va se heurter au Palatin Thurzo qui convoite ses terres et se lier d’amitié avec Darvulia, une Bohémienne guérisseuse qui lui promet la jeunesse éternelle. Mais bientôt, des cadavres mutilés et vidés de leur sang sont découverts dans les alentours du château des Báthory…

Le film se caractérise tout d’abord par son ampleur (2h20) et son découpage en trois actes équitables au sein desquels sont mis en parallèle une période-clé de la biographie de la Comtesse et un moment charnière dans l’histoire de la Hongrie. Tout au long du film, les deux types de récit (l’un intimiste, l’autre épique) vont se rejoindre, s’entrelacer et se mêler pour bien signifier que la Comtesse Báthory incarne un des piliers de son pays. La première partie du métrage développe alternativement des séquences de batailles décisives (trop brèves mais magnifiées par l’emploi optimal du format 2.35) et le trauma initial dont est victime Erzsébet et qui mêle, lors de scènes effroyables, viol conjugal, fausse couche, chien égorgé et débauche adultère ! A ce moment du film, la belle comtesse est clairement décrite comme une femme de la Renaissance libre et cultivée, victime d’une forme de violence barbare et primitive, celle des hommes, de l’époux en l’occurrence. Comme pour figurer l’univers mental désormais funèbre et morcelé de son héroïne, le long métrage se pare ensuite d’une atmosphère macabre plutôt réussie alors que nous suivons la Comtesse à travers les donjons secrets, les passages souterrains et autre sinistre caveau où repose, embaumé dans son cercueil de verre, son enfant mort-né. Les éléments appartenant au gothique et à l’épouvante prennent alors le dessus sur le récit des faits historiques qui se déroulent parallèlement à l’épanouissement de la cruauté et des désirs morbides de Báthory. Ceux-ci semblent atteindre leur acmé lors d’une séquence nous la décrivant en extase tandis qu’elle dépèce, en compagnie de son amant, un cadavre encore frais…Le film convoque également des topos fantastiques à partir du moment où la Comtesse se lie à Darvulia, archétype de la sorcière issue de l’imaginaire collectif, et lors de scènes oniriques entre fantasme et hallucination où notre sanglante héroïne poignarde (en rêve ?) une servante et évolue dans des décors et une atmosphère dionysiaques.

La partie centrale de BATHORY s’attache à dépeindre, contre toute attente, une véritable romance « fleur bleue » entre Erzsébet et le beau peintre italien Michelangelo Merisi, plus connu sous le nom de Caravage ! Si ce dernier est bien contemporain de la comtesse hongroise, leur rencontre et leur idylle sont tout à fait imaginaires, jusque dans la description d’un Caravage charmant et romantique alors que le peintre était un homme brutal, habitué des bas-fonds, probablement homosexuel et meurtrier récidiviste ! Sa présence au cœur du film apparaît alors comme une sorte de rêverie poétique de la part du réalisateur qui en profite pour rendre hommage à l’artiste italien qui fut un des initiateurs de la technique du clair-obscur et dont les tableaux naturalistes firent scandale en raison de leur ambiguïté (homo)-érotique. Juraj Jakubisko a apporté un soin tout pictural dans la composition et l’éclairage aux chandelles de la plupart de ses cadres qui semblent issus d’un musée imaginaire et baroque. Si ce choix esthétique est à saluer, notamment lors d’une brève recréation du terrifiant tableau de Caravage « Judith et Holopherne », il a tendance aussi à figer ses personnages et à mettre une distance émotionnelle avec la teneur tragique du récit. Dans son dernier acte, dont nous tairons les rebondissements principaux, le film opère un inattendu revirement thématique dans lequel l’héroïne devient la victime d’un terrible complot politique et se mue en véritable pasionaria injustement accusée de meurtres ignobles ! Le réalisateur slovaque choisit donc de prendre le contre-pied de la vérité historique : même si le nombre de ses crimes a été certainement exagéré et que certains aspects des méfaits de la Comtesse sont probablement légendaires (les bains de sang), il n’y a plus aucun doute que Erzsébet Báthory fut bien une meurtrière particulièrement sadique et prolifique ! Si le film perd alors de sa valeur historique, il y gagne en saveur romanesque et laisse finalement le spectateur sur une impression globalement positive. Mais l’œuvre définitive sur le pendant féminin de Gilles de Rais reste encore à accomplir…

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  • - Joliment illustré par Mario Melis, dessinatrice, peintre et photographe, qui s’est chargée de la réalisation de la couverture ainsi que des nombreuses illustrations qui parsèment les pages de cette édition.
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