Black Movie 2015 : Toutes les couleurs de la vie

Un texte signé Éric Peretti

Pour sa seizième édition, le Black Movie, Festival International de Films Indépendants, a une nouvelle fois investi la ville de Genève du 16 au 25 janvier afin de proposer, à un public toujours plus nombreux et exigeant, un panel d’œuvres d’originales en provenance des quatre coins du monde. S’il est vrai que nous vivons dans un monde de plus en plus triste, dont le festival brosse chaque année un portrait on ne peut plus juste au travers de sa programmation, nous n’avons pas voulu nous laisser influencer par le nom, à la consonance sombre, du festival, et encore moins par son affiche annonçant une épaisse vague Paint It Black, pour en livrer un bref compte-rendu. Après tout, diffuser autant de films allant à contre-courant de toutes les formes narratives et visuelles imposées par l’économie de l’industrie cinématographique constitue une provocation bienvenue de la part des organisateurs de la manifestation. Alors rendons-leur hommage dans la provocation, et mettons sans dessus-dessous l’affiche du festival afin de faire glisser vers le bas l’épaisse et dépressive noirceur qui la compose pour que les couleurs de la vie puissent reprendre leur droit.
Démarrons avec le bien nommé ALIVE du coréen Park Jung-Bum, impressionnante fresque d’une durée de presque 3 heures dont le titre résume à lui seul le destin de son personnage principal. Sans réel début ni fin, le réalisateur a d’ailleurs déclaré à l’occasion du débat après la projection qu’il avait volontairement coupé 90 minutes de récit sensées se situer à la fin du film, ALIVE propose un segment du quotidien de Jungchul, ouvrier à la situation plus que précaire, qui se démène pour joindre les deux bouts dans la province rurale de Gangwon. Vivant d’expédients au jour le jour, Jungchul, quand il ne s’acharne pas à retaper une maison en ruines dans l’espoir d’en faire un vrai foyer, tente de veiller du mieux qu’il le peut sur une sœur nymphomane et psychologiquement fragile, la fille de cette dernière, et son meilleur ami simple d’esprit. En alerte permanente, il ne s’accorde jamais de temps pour lui, finit par gâcher sa relation amoureuse, mais ne baisse jamais les bras et continue à avancer.
Loin des clichés usuels des films en provenance de Bollywood, TITLI de Kanu Behl vient rassurer sur la capacité du cinéma indien à se renouveler. Affublé d’un prénom féminin, Titli signifiant papillon, le jeune héros du film vit avec ses frères et son père dans un quartier pauvre. Petites frappes sans envergure mais sachant se montrer très violents, ses grands frères ne vivent que d’alcool et d’arnaques, sous l’œil bienveillant d’un père manipulateur et lâche. Mais Titli ne veut pas de cette vie, il rêve de quitter toute cette misère en achetant quelques lots dans un parking en construction qu’il pourra par la suite louer à ceux d’une autre classe sociale que la sienne. Mais c’est sans compter sur sa famille qui l’oblige à se marier à une inconnue, elle-même amoureuse de quelqu’un d’autre… En empruntant les sentiers du film noir, TITLI, dont la vitalité n’est pas sans rappeler les premières œuvres de Scorsese ou de Friedkin, mélange avec bonheur la réalité sociale du pays avec une intrigue aux multiples rebondissements. Se laissant suivre comme un thriller, cette descente aux enfers évite cependant de sombrer autant dans la gratuité d’une violence sans fin, que dans une bluette sentimentale sirupeuse, et nous offre une dernière partie grandiose en total accord avec la caractérisation de ses personnages où le sentiment triomphe sur la fatalité.
Concluons enfin, toujours dans le sens inverse de la marche, en saluant le magnifique et touchant film d’ouverture du festival, qui affichait donc clairement avec cette séance son choix pour l’optimisme avant de proposer des œuvres plus noires, UNA NOCHE SIN LUNA de Germán Tejeira. Trois personnages brisés par la vie, un père de famille divorcé, une jeune veuve et un musicien emprisonné, trouvent, le temps d’une coupure d’électricité le soir du réveillon, un pur moment de bonheur à la faveur d’une nuit sans lune. Sans grandes démonstrations, ni effets larmoyants appuyés, le récit offre simplement à ses personnages ce qu’ils attendaient depuis longtemps : un moment privilégié avec sa fille, la fin d’une longue période de deuil, ou encore la sensation d’exister en tant qu’homme libre. Quant aux spectateurs, UNA NOCHE SIN LUNA, et par ricochet le festival, leur offre un instant magique dont on ressort le sourire aux lèvres, gonflé à bloc pour affronter les épreuves de la réalité.
En 10 jours, le festival Black Movie a une nouvelle fois repoussé la froideur hivernale en cumulant les projections, toujours accompagnées de présentations, et en délivrant son lot de rencontres et d’échanges au détour d’expositions et de débats. En refusant l’élitisme et l’intellectualisation à outrance, la manifestation garde sa jeunesse et son impertinence, restant ouverte et accessible aux amoureux de tous les cinémas. Que ses organisateurs poursuivent encore longtemps cette valse cinéphilique, car tant qu’ils continueront à proposer autant d’œuvres riches et variées, nous répondrons présents pour les visionner.

Merci à toute l’équipe du festival.


Votre soif de lecture n'est pas rassasiée ?
Téléchargez les anciens numéros de Sueurs Froides


Inscrivez-vous à la liste de diffusion et accédez au
téléchargement des anciens numéros de Sueurs Froides :
- Une tranche d'histoire du fanzinat français
- 36 numéros de 1994 à 2010
- Près de 1800 films critiqués
Un index est disponible pour chercher un film ou un dossier
CLIQUEZ ICI.

- Article rédigé par : Éric Peretti

- Ses films préférés :

Share via
Copy link