Offscreen 2017retrospective

Blanche

En tournée dans ses provinces, le roi et son page Bartolomeo sont accueillis dans le château de Blanche, nouvelle jeune et jolie épouse d’un vieux noble qui vit également avec Nicolas, son fils issu d’un premier mariage.

La beauté de Blanche ne laisse indifférent ni le souverain, ni ce coureur de jupon qu’est Bartolomeo. Mais le vieux bar(b)on est jaloux et suspicieux, et la chasteté de la jeune femme est en outre farouchement préservée par un Nicolas dont les intentions sont moins pures que ce qu’il laisse paraitre. Exacerbées, les passions amoureuses conduisent bientôt au drame.

Comme ses films d’animation, l’œuvre avec acteurs de Borowczyk est, surtout dans ses premiers longs métrage, détachée des contingences commerciales usuelles. Le réalisateur d’origine polonaise aura construit un corpus qui n’appartient qu’à lui.
Avec BLANCHE, il a quitté depuis un certain temps déjà les rivages de l’animation, pour ne plus y revenir que fort épisodiquement, mais n’est pas encore entré dans le cercle de l’érotisme arty qui le fera bientôt connaitre et dont il se défendra pourtant d’en être un spécialiste, craignant par trop de se voir enfermé dans ce genre qui peut détruire des carrières. On ne lui donnera pas tort, la fin de celle-ci étant entachée du peu glorieux EMMANUELLE V (sur lequel – oh surprise – les rétrospectives d’Offscreen ou du centre Pompidou firent l’impasse) et d’anecdotiques (quoique plaisants) épisodes de la SÉRIE ROSE.

BLANCHE prolonge dans certaines thématiques mais surtout dans son dispositif de mise en scène son premier long métrage non animé, GOTO, L’ÎLE D’AMOUR, avec lequel il partage de surcroit son actrice (et par ailleurs à la ville épouse de Borowczyk). Au microcosme de l’île correspond l’écosystème du château, fermé sur lui-même. Dans les deux cas, l’engrenage d’un système fonctionnel, quoique totalitaire, est grippé par un élément exogène : le drame conjugal procède de l’irruption dans la cellule familiale d’un corps étranger (le condamné gracié là et le roi pour ce qui nous occupe ici).

BLANCHE est une adaptation de la légende polonaise « Mazepa » popularisée en 1839 par le poète Juliusz Slowacki. Borowczyk puisera régulièrement dans des sources littéraires au long de sa carrière. L’exemple le plus proche est évidemment HISTOIRE D’UN PÊCHÉ (1975, d’après Stephen Zeromski), mais on peut citer l’érotomane André Pieyre de Mandiargues pour le sketch “La marée” dans les CONTES IMMORAUX (film qui ouvre la période érotique du réalisateur) et ensuite pour LA MARGE, LES HÉROÏNES DU MAL et CÉRÉMONIES D’AMOUR, Stendhal pour INTÉRIEUR D’UN COUVENT, Maupassant pour le sketch « L’armoire » dans COLLECTIONS PRIVÉES, Stevenson pour DOCTEUR JEKYLL ET LES FEMMES, ou encore Ovide pour L’ART D’AIMER. On pourrait encore ajouter Boccace pour l’épisode UN TRAITEMENT MÉRITÉ et Nicolas Restif de La Bretonne pour celui de l’ALMANACH DES ADRESSES DES DEMOISELLES DE PARIS, tous deux faisant partie de la SÉRIE ROSE.

Le tournage ne s’est pas révélé une partie de plaisir. D’une part, des différents ont opposé le réalisateur à Jacques Perrin qui était non seulement coproducteur, mais aussi acteur dans le rôle de Bartolomeo. Ensuite, le caractère un peu fermé de Borowczyk (une constante pour nombre de cinéastes venus de l’animation !) et assis fermement sur ses choix de direction ne l’a pas aidé à se faire comprendre de son équipe. Enfin, le jeu d’actrice de Ligia Branice – et sa position d’épouse du réalisateur – a également attisé des tensions. Pourtant, à l’image, rien de tout cela ne se marque… si ce n’est peut -être le caractère légendairement peu amène de Michel Simon, ce qui cependant se répercute positivement sur le film puisque son personnage enflammé de jalousie et mu par un esprit de revanche adopte une attitude pour le moins conflictuelle.

BLANCHE est une œuvre singulière. Son esthétique très tranchée, aux nombreux plans statiques composés frontalement avec des effets de profondeurs créés par le décor renvoie à une tradition picturale du moyen-âge, laquelle est d’ailleurs parfois explicitement citée. Borowczyk cadre parfois de manière surprenante pour l’époque, reléguant hors champ les visages et apporte un soin méticuleux aux décors, costumes et accessoires. On le verra d’ailleurs s’affairer directement sur les décors, un pochoir à la main. Quant aux accessoires (un missel contenant du poison, et nombre d’armes truquées des moines-soldats), ils relèvent de l’affection d’un réalisateur d’animation pour l’objet et pour son détournement.

Ensuite, le film ne serait pas ce qu’il est sans son casting, d’un Michel Simon en verve à la composition toute en étrangeté de Ligia Branice. Cette dernière aura d’ailleurs fort peu tourné en dehors des films de Borowczyk.

BLANCHE est sorti sur les écrans français le 26 janvier 1972, mais n’a à cette époque pas rencontré le public.
En 2017, le film ressort en version restaurée chez Carlotta et en salles, et est inclus dans une belle rétrospective des principaux films de Borowczyk qu’on verra dans la foulée à Paris (au centre Pompidou) et au festival Offscreen en Belgique.

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