Bonnes funérailles, amis, Sartana paiera

Un texte signé Philippe Delvaux

Italie - 1970 - Anthony Ascott (Giuliano Carnimeo)
Titres alternatifs : Buon funerale amigos... paga Sartana, A Present for You, Amigo... A Coffin from Sartana, Gunslinger, Stranger's Gold, Have a Good Funeral, My Friend... Sartana Will Pay
Interprètes : Gianni Garko, Antonio Vilar, Ivano Staccioli, Franco Ressel, Daniela Giordano, Helga Liné

Ayant découvert un gisement aurifère, Benson est tué. Les notables d’Indian Creek espèrent bien racheter le terrain à son héritière, qui ignore tout de sa valeur réelle. Mais Sartana s’immisce dans le jeu.

BONNES FUNÉRAILLES, AMIS, SARTANA PAIERA est le quatrième Sartana de la série officielle. Le personnage est créé dans LES COLTS DE LA VIOLENCE (MILLE DOLLARI SUL NERO, 1966) d’Alberto Cardone (aka Albert Cardiff), en grande partie par la contribution de l’acteur Gianni Garko. Il n’est alors pas le centre de l’histoire, mais marque cependant les spectateurs. Devant le succès de ce nouveau héros, les producteurs, bien avisés, décident de lui dédier de nouveaux films. Gianni Garko reprend et affine donc son Sartana tandis que le ton des métrages évolue rapidement vers la comédie.
En 1968 sort SARTANA (SE INCONTRI SARTANA PREGA PER LA TUA MORTE, Gianfranco Parolini, aka Frank Kramer), deuxième itération, mais première faisant monter au premier plan son titulaire.
La série passe ensuite aux mains du réalisateur Giuliano Carnimeo. Suivront alors LE FOSSOYEUR (SONO SARTANA, IL VOSTRO BECCHINO, 1969), BONNES FUNÉRAILLES, AMIS, SARTANA PAIERA (1970) et UNE TRAINÉE DE POUDRE, LES PISTOLÉROS ARRIVENT (UNA NUVOLA DI POLVERE… UN GRIDO DI MORTE… ARRIVA SARTANA, 1971).

Le personnage est au faîte de sa gloire et une flopée de copies et autres démarquages s’inscrivent dans son sillage. Rien qu’en France, hors de la saga officielle, on dénombre entre 1968 et 1973 rien moins qu’une quinzaine de sorties en salles titrant explicitement sur Sartana. D’autres s’inspirent du nom et en varient la graphie comme le « Santana » interprété par Gianni Garko dans LO IRRITARONO ET SANTANA FECE PIAZZA PULITA devenu en France ET SABATA LES TUA TOUS). C’est dans ce contexte de copies qu’il faut comprendre la bande annonce d’époque de BONNES FUNÉRAILLES…, qui assène qu’il s’agit bien de l’authentique, du vrai Sartana, avec john Garko [l’époque est à l’anglicisation, et Carnimeo signe lui aussi sous le pseudo d’Anthony Ascott], pour bien séparer le bon grain de l’ivraie.

Giuliano Carnimeo lui-même n’en restera pas là et aura entre-temps encore signé un Sartana sans Gianni Garko : DJANGO ARRIVE, PRÉPAREZ VOS CERCUEILS (1970). Si le titre français le rattache abusivement comme épigone de DJANGO, l’italien ne laisse pas place au doute : C’È SARTANA… VENDI LA PISTOLA E COMPRATI LA BARA! Garko y est remplacé par Georges Hilton… qui tournait déjà dans le premier western de Carnimeo, LE MOMENT DE TUER, 1967).

Et que penser d’un titre comme QUAND LES COLTS FUMENT, ON L’APPELLE CIMETIÈRE (GLI FUMAVANO LE COLT… LO CHIAMAVANO CAMPOSANTO, 1971)? N’est-ce pas là une autre tentative de reprendre les caractéristiques de Sartana, d’autant plus que Garko est de la partie, mais sans cependant se prévaloir de son nom ? De même d’ON L’APPELLE SPIRITO SANTO (UOMO AVVISATO MEZZO AMMAZZATO… PAROLA DI SPIRITO SANTO, 1972), toujours avec Garko.

Et quand Carnimeo s’éloigne du personnage qui lui a valu tant de succès, il reste cependant dans le cadre comique lequel domine la dernière époque du western italien : PILE JE TE TUE, FACE TU ES MORT, ON M’APPELLE ALLÉLUIA (1971, TESTA T’AMMAZZO, CROCE… SEI MORTO… MI CHIAMANO ALLELUJA) insère ainsi à son titre à la fois le nom iconisé d’un héros et la référence aux jeux de hasard, marque de fabrique de Sartana. Carnimeo creuse ensuite dans la voie de la farce, en reprenant son dernier avatar avec ALLÉLUIA DÉFIE L’OUEST (IL WEST TI VA STRETTO, AMICO… È ARRIVATO ALLELUJA, 1972) et en termine avec les westerns avec ses deux Tresette (LO CHIAMAVANO TRESETTE… GIOCAVA SEMPRE COL MORTO, 1973 ; DI TRESETTE CE N’È UNO, TUTTI GLI ALTRI SON NESSUNO, 1974), restés inédits en salles françaises.

Gianni Garko a-t-il été à ce point marqué par ce personnage qui lui aura conféré une place à la table des immortels du western italien ? Toujours est-il qu’en 2014, il réalise THE GAMBLER, récit d’un homme qui, tant pour de l’argent que pour l’excitation de défier la mort, se propose en proie humaine à de riches pervers. Le jeu, la mort et ici aussi des gadgets pour un personnage invincible… à bien y regarder, il y a des similarités avec Sartana. THE GAMBLER a été présenté au BIFFF 2014.

BONNES FUNÉRAILLES, AMIS, SARTANA PAIERA illustre bien le glissement du western italien à l’entame des années ’70 vers la comédie, après quelques années dédiées aux œuvres, si pas sérieuses, du moins sombres et violentes. La tonalité s’allège donc, et Carnimeo sera un des grands artisans de cette seconde période. Si ses films ne comptent pas au rang des chefs d’œuvre, ils n’en restent pas moins parfaitement distrayants, comme c’est le cas ici.

Dans BONNE FUNÉRAILLES…, on se fiche comme d’une guigne du scénario. Non pas qu’il soit inexistant, mais l’intrigue de peu d’intérêt ne sert que de trame sur laquelle inscrire les confrontations diverses – mais toujours létales – de Sartana avec ses nombreux ennemis.

Si on peut émettre quelques regrets quant au film, c’est sans doute dans la légèreté du traitement dramatique : les embuscades et les tueries s’enchainent, mais, à défaut de s’attarder vraiment sur les tueurs, on ne les sent pas très dangereux. Ils ne nous semblent jamais de taille à affronter Sartana. C’est un peu dommage car la mise en scène, par contre, s’ingénie à les faire mourir de réjouissantes manières.

En comparant les époques, on se dit que le western italien en général et ce Sartana en particulier étaient aux années ’60-’70 ce que le film de super-héros est aux années 2000. Primo on y trouve le même type de mise en scène iconisante – la marque de fabrique du western italien depuis Sergio Leone –, secundo tout réalisme est évacué au profit d’une fantaisie issue de la tradition mythologique italienne, ce qui se marque dans les thématiques – en gros, on oscille toujours entre la vengeance et l’avidité –, tertio la caractérisation procède grandement du costume – en opposition aux personnages sales et débraillés qui peuplent le genre, Sartana préfère une tenue plus sophistiquée –, et enfin quatro le héros se révèle invincible, omniscient et omniprésent, quoique également esseulé, sauf à considérer comme compagnon un side-kick comme Fidelio. Après tout, Sartana porte aussi la capeline noire, tel un Zorro au sens de la justice un peu particulier. Et les super-héros (ou les super Vilains) ont connu un succès certain dans la production italienne des ’60 via l’adaptation de fumetti tels Superargo, Diabolik, Satanik ou autre Kriminal.

Mais il est un autre genre auquel se rattache Sartana : à l’instar de James Bond qui triomphe alors, Sartana ne dédaigne pas les gadgets qui lui sont souvent d’un précieux secours : de la montre-gousset en plomb pour assommer l’ennemi au jeu de cartes lancées à la manière d’une étoile de ninja.

Ce qui nous amène à la troisième référence qui replace le film dans son époque, à savoir l’influence évidente du cinéma asiatique. Nous sommes en 1970 et les productions de ce qu’on appelait alors les films de Kung-Fu n’ont pas encore envahi le marché occidental des salles de quartier, mais elles sont à leurs portes et il est piquant de voir que Carnimeo intègre déjà une séquence de Kung-Fu, au demeurant assez valable pour une production italienne, et un personnage de chinois retors. Dans peu de temps, le western italien, dont l’origine même se trouve dans le remake déguisé par Sergio Leone d’un Kurosawa, se trouvera bousculé sur ses terres par les envahisseurs venus de Honk-Kong ou du Japon. Le vieil ouest latinisé secoué par l’est triomphant. Le western all italiana tentera alors de se mélanger à ce genre nouveau, pour un résultat… le plus souvent mitigé.

En bon amuseur, Carnimeo place des touches d’humour qui, au contraire d’un Enzo Barboni, font mouches. C’est ainsi le cas des personnages secondaires comme le fossoyeur, cette figure typique des westerns italiens, le plus souvent dédramatisée en rôle comique. Ainsi de la réplique de Sartana au fossoyeur à qui il achète un cercueil qu’il veut de bonne qualité car « c’est pour offrir ». Un gag qui se retrouve donc dans le titre.

Le western italien aime à caractériser ses héros, non seulement par leur nom scandé à même le titre, mais aussi par une particularité dans leur manière de tuer, un gimmick. Ici, Sartana n’oublie jamais de payer les funérailles de ceux qu’il tue et signale ainsi, lorsqu’il refuse d’endosser la dépense, qu’il n’est pas l’auteur du meurtre. Depuis Django tirant son cercueil, on a compris le trait très latin des funérailles.

On le sait, le western italien n’a que faire de la mythologie de l’ouest. Il n’en prend que les oripeaux pour raconter ses propres histoires. Des récits de vendetta le plus souvent, des histoires de voleurs, de trésors cachés, de braquage.

C’est bien le cas ici, toute l’intrigue tournant autour d’une supposée mine d’or que le banquier Hoffman et ses sbires d’une part, le tenancier du casino, Monsieur Lee Tse Tung, d’autre part veulent s’accaparer. Tous les personnages sont corrompus et assoiffés d’or.

Seuls les motifs de Sartana resteront obscurs jusqu’à la dernière partie du film. Laquelle ramasse finalement assez bien l’enjeu général : à personnage de joueur professionnel, scénario déployant un beau coup de bluff. Le script articulé en une gigantesque partie de poker menteur, voilà bien la meilleure trouvaille du métrage.

BONNES FUNÉRAILLES, AMIS, SARTANA PAIERA est sorti en France le 23 juillet 1972.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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