Born From Pain

Un texte signé Rodolphe Dumas

France - 2009 - Alex et Niko
Interprètes : Marie Garel Weiss, Magalie Marc, Emmanuelle Escourrou

Seule rescapée d’une tuerie, Monika (Marie Garel Weiss) gagne sa vie en se prostituant. Après chaque passe, elle garde précieusement le sperme de ses clients afin d’avoir un enfant. L’enfant naîtra et grandira dans une cave avec une télévision comme seule fenêtre sur l’extérieur.

A la lecture du pitch, on imagine qu’on ne va probablement pas passer les 30 minutes les plus drôles de notre vie !! Ca transpire la tristesse et la misère tout ça !! Oui, effectivement. Cependant, Alex et Niko ne sont pas deux ados en mal de sensations qui en veulent à ce putain de monde pourri. Non, ils sont dotés d’une intelligence et d’une finesse qui font plaisir à voir. Ils ont pondu avec ce BORN FROM PAIN une petite perle sombre, bourrée de références et d’influences (en vrac, ERASERHEAD de Lynch, VIDEODROME de Cronenberg, un peu du TETSUO de Tsukamoto, etc…) mais profondément personnelle. Il semblerait qu’Alex et Niko aient LEUR patte, LEUR touche, LEUR truc rien qu’à eux… et bon sang, que c’est rare !!! Difficile déjà de ne pas être fasciné par ce noir et blanc à la fois sale, humide et triste mais pourtant si beau !!! Mais là où les deux compères sont les plus malins (dans tous les sens du terme), c’est dans leur faculté à faire du spectateur un voyeur plus ou moins consentant.

Dans tout film qui se respecte, les cadrages se doivent d’être soigneusement réfléchis afin d’avoir le plus d’impact possible. Les choix faits par Alex et Niko parviennent à changer carrément le point de vue du spectateur et sa vision de l’action. Par exemple, après l’introduction (écran noir, bruits et cris tirés du court métrage SOUS FRANCE en fond sonore…), le film s’ouvre sur la discussion entre Monika et Aline, toutes deux appuyées au comptoir d’un bar. La caméra est alors à hauteur d’homme sur un coin du bar, on se retrouve donc à la place d’un habitué qui écouterait d’une oreille distraite ces deux femmes parler d’elles… Plus tard, on se retrouve dans un tête à tête écoeurant avec Monika qui avale goulument une saucisse (gros plan sur sa bouche graisseuse) avant de la suivre dans sa chambre où elle va s’occuper de son insémination (tout le processus lève le coeur). Les différents point de vue s’enchaînent ainsi tout au long du métrage. Mais celui que les deux réalisateurs semblent le plus affectionnés est celui où la caméra surplombe les acteurs. Le spectateur se retrouve en position supérieure et on peut alors se voir comme le simple habitant du quartier qui regarde de son balcon ce qui se passe en bas ou alors on peut imaginer voir l’action par le biais d’une caméra de surveillance. On peut même se sentir comme un de ces dieux supposés vivre au dessus de nous qui, dans un éventuel moment de lucidité, se pencherait pour regarder la misère d’en dessous et s’intéresserait au cas particulier d’une de ces fourmis qui s’agite pathétiquement… quoiqu’il en soit, c’est bluffant.

Mais si la forme est belle, qu’en est-il du fond ? Si à première vue, le message peut paraître légèrement simpliste, c’est encore une fois sans compter sur l’intelligence de nos deux compères. Car après avoir soigneusement orchestré leur film de façon à suivre une logique qui semble sauter aux yeux à la lecture même du pitch (une gamine, enfant de tout le monde et donc de personne, qui grandit dans une cave, élevée par la télé, ça ne peut que mal finir…), Alex et Niko se permettent de balayer toutes nos certitudes dans les dernières secondes avec une fin qui reste ouverte, le discret sourire de « l’enfant » devenue adolescente (superbement interprétée par Magalie Marc) étant aussi attendrissant qu’inquiétant.

Bien foutu, intelligent, beau, ce BORN FROM PAIN a tout pour faire entrer Alex et Niko dans la cour des grands. Mais si ils continuent sur leur lancée, on peut se dire que cet excellent petit (par la durée uniquement) film sera le plus mauvais de leur carrière qu’on leur souhaite vraiment, vraiment, vraiment longue…


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- Article rédigé par : Rodolphe Dumas

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