Un texte signé Quentin Mazel

France / Italie / Hong Kong - 1982 - Bruce Le, André Koob et Joseph Velasco
Titres alternatifs : Xiong Zhong
Interprètes : Jean-Marie Pallardy, Hwang Jang Lee, Bolo Yeung, Bruce Le, Dick Randall, Harold Sakata, Casanova Wong, Chick Norris, André Koob

retrospective

Bruce contre-attaque

Réalisé par Bruce Le, André Koob et Joseph Velascon, BRUCE CONTRE-ATTAQUE fut le quatrième et dernier métrage de la 4e nuit Nanarland organisée au grand Rex (15e si l’on compte les séances à la cinémathèque). Pépite de la bruceploitation, le film était particulièrement attendu par une partie du public. Il faut dire que le film a de quoi se défendre. On y retrouve Bruce Le (l’un des nombreux clones qui ont creusé le filon du film de Kung-Fu après la mort du maitre – Bruce Lee), Jean-Mary Pallardy, héros du cinéma français (!), toujours prêt à donner un coup de main (ou de couteau), Bolo Yeung (connu pour jeter du sable dans les yeux de Jean Claude Van Dam dans BLOODSPORT), et tout un tas d’autres héros (Harold Sakata, Hwang Jang Lee) d’un cinéma à la marge des conventions classiques de qualité.
C’est donc un grand bonheur de retrouver ce joli petit monde à l’écran – même si à cinq heures du matin, la salle commence à sentir la fatigue. Pour les plus courageux des spectateurs – ou ceux qui se droguent simplement à la caféine – le rythme effréné de la pellicule les a maintenus éveillés, tenus en haleine par une alternance de : rebondissements, scènes-chocs (bon sang, on ne tue pas les filles qui font du topless !), bagarres et ninjas (on précise qu’il faut prononcer le « S » final), avec un sens du contre point digne de Jean-Sébastien Bach.
On retrouve dans cette petite production, tout ce qui fait le plaisir coupable d’un samedi soir (dimanche matin ?) au Grand Rex : des acteurs pas très bons qui décident d’en faire des tonnes, quitte à frôler l’hystérie, des personnages dont on ne comprend pas bien ce qu’ils font là, un scénario invraisemblable, des costumes et accessoires « excentriques », des musiques plagiées, des stock-shots. Comme dirait l’autre : « c’est que du bonheur. »
On gardera en tête cette fabuleuse scène finale, hommage (plagiat ?) à LA FUREUR DU DRAGON, tournée dans une sorte de Colisée, mais dans laquelle on ajoute une fille attachée, bien évidemment, topless. Pourquoi se priver des choses simples ? Parce que dans le fond, le film a envie de plaire ! Malgré toutes ses maladresses, il est entièrement tourné vers son public.
Mais d’ailleurs, pourquoi BRUCE CONTRE-ATTAQUE, nous plait ? Question légitime que peuvent se poser les cinéphiles orthodoxes et autres défenseurs du bon goût qui n’ont jamais goûté à une œuvre comme celle-ci. BRUCE CONTRE-ATTAQUE nous plait parce qu’il a ce pouvoir formidable de nous replonger en enfance. Une période d’insouciance cinéphilique où un Asiatique qui arbore une coupe au bol (saillante, il faut le dire) pouvait être Bruce Lee, même si on savait que l’acteur était mort… Lorsqu’une histoire nous semblait compliquée, elle n’était pas incompréhensible, mais sinueuse. Elle nécessitait donc plusieurs visionnages voire d’entreprendre un travail d’exégète.
BRUCE CONTRE-ATTAQUE est un cinéma qui a le pouvoir de nous rendre heureux, à partir de choses simples : le héros est fort et il gagne, le méchant est très… méchant et il perd, une fille a les seins nus (on utilisera volontiers le pronom indéfini parce que dans le fond, cette fille, on ne connait pas son nom et sa place dans l’intrigue demeure relativement secondaire). Mais, pour y trouver du plaisir (et dans la vie c’est bien d’avoir du plaisir), il est indispensable d’adopter un état d’acceptation très particulier. Un état de candeur qui a l’heure des rires gras et moqueurs nous paraît extrêmement salvateur. Les films comme BRUCE CONTRE-ATTAQUE sont de formidables portes ouvertes vers une enfance cinéphilique où la qualité des œuvres était seulement indexée sur la joie naïve qu’elles étaient capables de procurer. S’il ne s’agit pas de remplacer l’entièreté du paysage cinématographique par ce type de production, un peu de diversité ne fait pas de mal ! Elle nous rappelle qu’il y a bien des manières de faire du cinéma.
BRUCE CONTRE-ATTAQUE est donc une œuvre ludique. Ludique jusque dans sa fabrication. Deux des trois réalisateurs sont également acteurs et passent d’un poste à l’autre tels des enfants qui jouent à se raconter des histoires extraordinaires et farfelues dans la cour de l’école. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder le bref documentaire que la télévision française avait consacré au tournage du film (et que les programmateurs de la soirée ont eu l’extrême générosité de diffuser). Sur le plateau on rit, on crie, on travaille. BRUCE CONTRE-ATTAQUE n’est pas un pur produit commercial, comme son association au cinéma dit d’exploitation pourrait le laisser croire, c’est aussi le résultat d’un travail de passionnés qui aiment sincèrement le cinéma et qui surtout s’amusent à en faire. Si le 7e art est une chose sérieuse, il n’y a aucune raison pour qu’il ne soit pas aussi un terrain de jeux – au point peut-être d’apparaitre dérisoire à ceux qui l’observent de loin. C’est un bac à sable pour des personnes qui s’oublient dans la réalisation et avec elles les normes du bon goût esthétique, de la cohérence narrative et de la décence morale. Et dans le fond : tant mieux !
Il est bon qu’au sein d’une industrie extrêmement standardisée comme l’est le cinéma – où la plupart des procédés de mis en scène, d’écriture et de jeu sont tellement stabilisés que le moindre écart apparait systématiquement comme une « faute » ou une « erreur » – qu’il existe des œuvres étranges qui montrent de nouvelles choses, même si au passage c’est un peu n’importe quoi.


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- Article rédigé par : Quentin Mazel

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