Cannibal Holocaust

Un texte signé Nassim Ben Allal

Italie - 1980 - Ruggero Deodato
Interprètes : Robert Kerman, Francesca Ciardi, Perry Pirkanen, Luca Barbareschi

Plus de trente ans après sa sortie, CANNIBAL HOLOCAUST est toujours un film sulfureux dont le statut culte et polémique ne s’est jamais tari. A chaque nouvelle édition, le long-métrage de Ruggero Deodato trouve un moyen de refaire parler de lui mais quasiment jamais pour ses qualités formelles. CANNIBAL HOLOCAUST fait ainsi parti de ces films sur lesquels de nombreuses voix se sont faites entendre, mais jamais, ou très peu, pour parler de l’objet-film. Une injustice qu’il est urgent de réparer à l’heure où le film arrive enfin en haute définition.
Colombie, fin des années 1970. Une équipe de quatre jeunes américains rompus à l’exercice de la réalisation de documentaires se lance à la recherche d’une tribu cannibale, quelque part au fin fond de l’Amazonie. Quelques mois plus tard, alors qu’ils n’ont plus donné signe de vie, une équipe de secours est dépêchée par la chaine de télévision ayant commandé le reportage. Celle-ci ne trouvera que quatre cadavres…et des bobines de pellicules imprimées miraculeusement conservées…
Aussi célèbre soit-il, CANNIBAL HOLOCAUST n’a pourtant pas inventé le sous-genre de film de cannibales. Quelques années plus tôt, en 1972, Umberto Lenzi signait AU PAYS DE L’EXORCISME, première réelle incursion du bis italien dans le jungle movie. Mais, tout comme dans une structure scénaristique, si le film de Lenzi correspond à l’incident déclencheur, qui va démarrer le processus, c’est véritablement celui de Deodato qui va cristalliser la tendance et lancer la mode. Lenzi y revient même juste après la sortie de CANNIBAL HOLOCAUST avec LA SECTE DES CANNIBALES et surtout avec ce qui deviendra son film mythique, CANNIBAL FEROX. Alors oui, CANNIBAL HOLOCAUST est un film qui met mal à l’aise, qui peut s’avérer malsain à de très nombreuses occasions, sans parler de ses effets gore pas toujours réussi (les squelettes sont quand même incroyablement blanc)…et de son parti pris pour le snuff animalier. Intolérable, cette pratique impardonnable a pourtant grandement contribué au succès du film tout en se retournant irrémédiablement contre son réalisateur. Pour beaucoup, s’il était cruel au point de sacrifier des animaux, pourquoi n’aurait-il pas franchi un cap supplémentaire et supprimé ses acteurs ? Evidemment, Deodato n’est pas étranger à cette rumeur puisqu’il a demandé contractuellement à ses comédiens principaux de ne pas apparaître dans d’autres productions pendant l’année suivant la sortie du film. Poursuivi en justice, le réalisateur a du renoncer à ce coup marketing pour éviter de se retrouver condamné pour assassinats. Innocent en ce qui concerne les humains, Deodato est coupable d’avoir filmé de réelles mises à mort d’animaux, parfois avec une complaisance digne de la pornographie la plus crue (la scène avec la tortue d’eau est à ce titre insoutenable). Si depuis, il a fait amende honorable, la question reste : pourquoi ? Pourquoi montrer des animaux se faire tuer ? Est-ce un clin d’œil aux Mondos dont CANNIBAL HOLOCAUST est un descendant direct ? Un problème budgétaire ? La volonté cynique de lancer un uppercut à la face du public venu voir un film choquant ou tout simplement une réelle maladresse doublé d’un je-m’en-foutisme flagrant ? Voire une volonté d’énerver Brigitte Bardot ? Cette question ne sera jamais vraiment tranchée et ce procédé snuff continue toujours à rendre vraiment pénible certaines parties du film. Mais laissons cela de côté. CANNIBAL HOLOCAUST est un d’abord un grand film. Un film à message qui renvoie dos à dos deux civilisations sans jamais prendre parti pour l’une ou l’autre. Au spectateur de faire un choix, ou pas. Les cannibales, contrairement aux civilisés, n’apparaissent jamais cruels gratuitement et leurs actes sont toujours justifiés. Après tout, ne sont-ils pas cannibales pour se nourrir ? Mais est-il légitime de se nourrir de son prochain ? Ici, c’est l’homme blanc qui incarne le véritable mal, colonisateur impitoyable et peu regardant des dégâts qu’il cause, opposant sa raison à la sauvagerie des peuplades primitives. Pour faire passer ce sentiment, Deodato épure sa mise en scène et règle des plans séquences au millimètre près. Tous ses choix d’angles et de cadres sont justifiés et rien n’est laissé au hasard. Pertinente, sa mise en scène participe de sa volonté d’immerger le spectateur dans l’enfer vert pour mieux lui faire ressentir les émotions des uns et des autres. Cruel et choquant, CANNIBAL HOLOCAUST est un film qui témoigne des sentiments les plus bas de l’humanité en optant pour une forme très cinéma-vérité qui fera école puisqu’elle inspirera la mode du « found footage » avec des films tels que LE PROJET BLAIR WITCH et PARANORMAL ACTIVITY. Baigné par une musique relativement classique qui détonne par le décalage qu’elle induit avec la violence des images, CANNIBAL HOLOCAUST s’impose d’emblée comme un modèle. Qu’il soit décrié ou encensé, impossible de rester indifférent face à cette bombe jetée à la face du monde sous la forme d’un film d’exploitation. Trente plus tard, le film est toujours d’actualité et le restera tant que l’Homme dominera la planète.

Retrouvez nos chroniques du Festival Offscreen 2012.


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- Article rédigé par : Nassim Ben Allal

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