Cannibal Man – La Semaine d’un assassin

Un texte signé Frédéric Pizzoferrato

Espagne - 1972 - Eloy de la Iglesia
Titres alternatifs : La semana del asesino
Interprètes : Vicente Parra, Eusebio Poncela, Emma Cohen, Charly Bravo, Fernando Sánchez Polack, Vicky Lagos

Sous ce titre qui prête à confusion (un énième décalque de la mode anthropophage italienne ?) se cache en réalité un très bon thriller horrifique espagnol dont le titre original, « La semaine d’un assassin », résume davantage le propos. Naturaliste, l’œuvre ressemble surtout à une exploration de la psyché d’un pauvre type dans la société espagnole vivant les dernières heures du franquisme.

Peu connu en dehors de l’Espagne, Eloy de la Iglesia (1944 – 2006) bouscule les tabous, s’attaque aux institutions et, après avoir débuté par un film pour enfant, subit les foudres de la censure dès sa deuxième réalisation, ALGO AMARGO EN LA BOCA. Avec CANNIBAL MAN, il entame un petit cycle de thrillers violents, un brin giallesque (notamment avec LE BAL DU VAUDOU) puis, au milieu des années 70, le cinéaste se reconvertit dans un cinéma plus acceptable. Il livre alors des « films d’auteurs » traitant de divers sujets sulfureux : homosexualité, drogue, délinquance, etc. Des thèmes déjà présents dans sa filmographie plus « bis » et, notamment, dans ce CANNIBAL MAN.

Le principal protagoniste, Marcos (un excellent Vicente Parra), travaille dans les abattoirs et découpe des carcasses d’où s’échappent tripes et sang. Cette introduction, proche des excès du mondo et difficilement soutenable, nous montre un personnage à la fois attachant et monstrueux. La caméra le suit ensuite chez lui, dans une modeste maison avec une petite kitchenette, un établi où reposent divers outils (hachoir, etc.) et des murs tristes à peine égaillés par des posters de pin-up. Il fréquente une jeune femme dont le père ne l’apprécie guère, ce qui l’oblige à ruser pour passer du temps avec elle. Un soir, alors que le couple se pelote sur la banquette arrière d’un taxi, le conducteur leur demande de sortir, arguant qu’il « ne conduit pas un bordel ». La discussion s’envenime, le chauffeur frappe Marcos puis sa copine. Par accident, l’ouvrier ramasse une pierre et frappe. Le taximan s’écroule. Un premier meurtre. Une spirale de malchance implacable se met en place : ce passage à l’acte en entraine un second lorsque sa fiancée exige de Marcos qu’il se rende à la police. Dès lors, les crimes se succèdent.

CANNIBAL MAN est donc construit autour des meurtres commis par son « héros », enfermé dans une routine glauque et oppressive : se lever, manger au bar local (où la serveuse multiplie les avances sans qu’il n’y réponde réellement), travailler dans le sang et la crasse, tuer puis se détendre en compagnie d’un voisin, le nanti Nestor (Eusebio Poncela, revu dans moult films « de genre » comme 800 BALLES, LE TERRITOIRE DES OMBRES ou INTACTO mais aussi dans plusieurs Almodovar).

Une relation étrange se noue avec ce dernier, largement homoérotique mais également nourrie des différences de classes sociales. Les deux hommes ne vivent pratiquement pas sur la même planète, comme en témoigne leur contrôle d’identité par trois policiers alors qu’ils dégustent un verre sur une terrasse. La manière de procéder des flics est totalement différentes : menaçants envers Marcos, obséquieux envers Nestor. Car Marcos habite une petite maison vouée à disparaitre prochainement, remplacée par des immeubles cossus comme celui où vit Nestor. Marcos est tenté par cette vie, il ne fréquente plus ses anciens camarades, sa « bande », préfère zoner avec son nouvel ami mais, peut-être par crainte de ses désirs refoulés, finit par céder à la serveuse du bar auquel il restait jusque là indifférent.

Avec ces thématiques « problématiques », le film connait forcément une gestation compliquée et une distribution difficile. Les différents bonus (une longue présentation du film ou un épais livret très instructif) reviennent sur ses problèmes avec la censure (il fut classé « video nasty » probablement uniquement à cause de cette mention de « cannibal ») et sur son exploitation avec des titres et des visuels variés. CANNIBAL MAN, en effet, ne ressemble à aucun autre film : quelques motifs hitchcockiens (le voyeurisme à la FENETRE SUR COUR, une étude criminelle à la PSYCHOSE, deux ou trois scènes à suspense – en particulier celles qui jouent sur la possible découverte des corps ou des restes humains), une infime pincée de giallo, un peu de gore annonçant le slasher (en réalité trois courts passages), quelques scènes osées.

Bref, un mélange de « cinéma bis » et de « cinéma d’auteur », additionné d’une romance gay fortement suggérée (et pourtant impensable dans l’Espagne franquiste) et d’une une critique sociale virulente. CANNIBAL MAN ne rentre dans aucune case et déstabilise le spectateur, se montrant plus intelligent que son titre et ses procédés d’exploitation (dont le gimmick du « sac à vomi » offert au public) le laissent supposer. Tant mieux !

Engagé, virulent, parfois proche de la comédie macabre, CANNIBAL MAN évoque Pasolini, Almodovar, Chabrol et annonce Gaspar Noé et le William Lustig de MANIAC. Une œuvre forte, originale et radicale à voir ou revoir, dans son montage international (de 98 minutes) ou, préférablement, dans sa version de 107 minutes, la plus longue disponible actuellement (une quinzaine de minutes ont probablement disparus à jamais suite aux ciseaux de la censure).

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- Article rédigé par : Frédéric Pizzoferrato

- Ses films préférés : Edward aux Mains d’Argent, Rocky Horror Picture Show, Le Seigneur des Anneaux, Evil Dead, The Killer - Ses auteurs préférés - Graham Masterton, Christophe Lambert, Thomas Day, Stephen King, Clive Cussler, Paul Halter, David Gemmell

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