Carcinoma

Un texte signé Mazel Quentin

Présenté lors de la seconde séance du premier jour du Sadique-Master Festival, CARCINOMA était probablement le long métrage le plus attendu de l’évènement. Il fut aussi l’un des plus appréciés et remarqués, remportant ainsi le prix du Jury de cette première édition.

Le film raconte l’histoire de Dorian, un homme sans histoire qui travaille dans une décharge en Allemagne. Un jour, il décèle une grosseur au niveau de son abdomen qui se révèle être un carcinome, un cancer de l’épiderme. Après un éprouvant séjour à l’hôpital, Dorian décide de rejeter le traitement et laisse la maladie se développer.

Il existe bien peu d’informations sur Art Doran, réalisateur de ce long métrage. Tout ce qu’il est possible de glaner c’est, qu’il ne s’agit pas de son premier long métrage, que ses autres travaux ont été signés sous un autre pseudonyme, et que la profession qu’il exerce dans la vie de tous les jours serait la raison de cette absence d’informations. Un personnage bien mystérieux donc.

Pour commencer, il faut préciser que ce film n’est pas à mettre entre toutes les mains ; abrasif (terme pertinemment utilisé par les organisateurs du Sadique Master Festival) est probablement l’adjectif qui lui sied le mieux. L’ambiance y est froide, austère et dépressive, les couleurs ternes parfois délavées de la photographie confèrent au film un climat pesant voire asphyxiant.

Si les thèmes abordés s’articulent tous avec celui de la mort, le métrage ne traite pas tant cette question qu’il ne propose de faire vivre cette expérience au spectateur. Pour ce faire, le réalisateur redouble d’ingéniosité. Tout d’abord le montage tourbillonnant qui télescope des scènes à l’espace-temps différents à mesure que la fin approche. Les plans brefs, à la photographie alambiquée où quelques mouvements de caméra réalisés à l’épaule, permettent de suivre des mouvements ou de redessiner des espaces continuellement oppressants.
Tout le travail de mise en scène se focalise ainsi sur la perte de repères de Dorian et par la même occasion sur ceux du spectateur. Elle cherche à transcrire l’isolement et la perte de réalité liée à la douleur du malade en adoptant son point de vue. Que ce soit par les nombreux raccords regards ou les décadrages successifs, le réalisateur arrive à reproduire la dynamique de spasme oculaire, afin de perdre le spectateur dans un monde étrange. Perdu et sans repère il est difficile d’apprécier réellement un film de cet acabit, cependant la question du plaisir n’est pas vraiment au programme.
Quelques thèmes reviennent par raccord d’analogie, nous laisserons au spectateur le loisir d’interpréter ces métaphores. Ces plans animaliers et industriels ajoutent un sous-texte, qui, s’il ne brille pas par une subtilité particulière, permet une mise en perspective de la narration et le développement d’un propos plus large sur le monde. Le film évoque alors la décadence d’un corps, d’un monde, où la maladie comme les jouissances narcissiques et obscènes ne laissent place qu’à la solitude de l’agonie.

Le travail sonore est probablement l’aspect le plus intéressant du film. Pour commencer ce sont des musiques paisibles, quelquefois dissonantes, qui accompagnent le film, on pensera alors parfois au célèbre NEKROMANTIK de Jörg Buttgereit. De la même manière, CARCINOMA joue sur le décalage entre les images très dures qui sont montrées et les musiques qui les accompagnent.
Concernant les bruitages, le réalisateur a intelligemment décidé de supprimer au fil du film certains bruits tout en conservant leurs sources à l’écran. La sensation de rupture progressive du personnage avec le monde qui l’entoure est assez saisissante, d’autant plus que le spectacle tend à nous faire vivre cette expérience de l’intérieur. Ainsi petit à petit, les bruits du monde vivant disparaissent. La foule, les machines, restent muettes, les portes claquent en silence et les pas ne résonnent plus, seul persistent en fin de compte les paroles adressées à dieu et les bruits de la chaire en décomposition. Le son des ongles grattant cette blessure, est lui, amplifié et traité sur des basses fréquences afin d’englober le spectre sonore, à l’image des pensées obsédantes du malade. L’effet étouffant de ce dispositif restera probablement longtemps dans la tête des spectateurs.

Si le film est très « graphique », il arrive cependant grâce au traitement visuel et sonore à ne pas tomber dans la surenchère tout en produisant un effet de dégoût réellement viscéral. Le réalisateur réussit à nous placer dans la tête de son personnage principal en filmant la nécrose du corps de manière fugace, multipliant les surimpressions et les inserts, à la manière des blessures qui démangent et que l’on cherche désespérément à ne pas toucher, mais que l’on n’arrive jamais à oublier.

Soutenu par des acteurs impliqués dans des rôles probablement très difficiles à endosser, le film est une proposition cinématographique étonnante, intelligente et sans concession.
CARCINOMA est typiquement le film qui nous fait dire que le Cinéma n’a pas besoin d’un diffuseur d’odeur pour nous faire sentir. Si la putréfaction, la merde vous dégoûtent, passez votre chemin ; il y a parfois des sentiers qu’il vaut mieux ne pas emprunter.


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- Article rédigé par : Mazel Quentin

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