Un texte signé Alexandre Lecouffe

Espagne-Italie - 1973 - Jorge Grau
Titres alternatifs : Ceremonia sangrienta, The legend of blood castle
Interprètes : Lucia Bosé, Espartaco Santoni, Ewa Aulin

Comtesse Bathoryretrospective

Cérémonie sanglante

Le cinéma de genre espagnol fut dans les années 60 et 70 très loin de pouvoir rivaliser avec les productions italiennes ou anglaises qui submergeaient véritablement l’Europe à l’époque mais le pays de Jess Franco vit tout de même l’essor d’un petit courant fantastique/horrifique. Si le nom de l’acteur puis réalisateur Paul Naschy (alias Jacinto Molina) vient souvent à l’esprit avec sa réactualisation parfois maladroite de tous les monstres de la Universal (LES VAMPIRES DU DR. DRACULA de Enrique Lopez Eguiluz, 1968), des réalisateurs plus “intellectuels” ont aussi à l’occasion apporté leur pierre à l’édifice. On peut citer Vincente Aranda (LA MARIEE SANGLANTE, 1972), Narciso Ibanez Serrador (LA RESIDENCE, 1969) ou justement Jorge Grau dont deux films seulement appartiennent au genre. Un an après CEREMONIE SANGLANTE, le réalisateur signera le remarquable MASSACRE DES MORTS-VIVANTS (1974) dont certaines fulgurances thématiques et visuelles préfigurent le ZOMBIE de George Romero (1978) et les films gore de Lucio Fulci (qui emploiera le même maquilleur que celui du film de Jorge Grau, le génial Gianetto de Rossi). CEREMONIE SANGLANTE s’intéresse lui au thème du vampirisme (déjà traité en Espagne entre autres dans MALENKA, 1969, de Amando de Ossorio, le futur réalisateur de la tétralogie des « Templiers morts-vivants ») et plus précisément à la figure historique de la Comtesse hongroise Erzsébet Bathory. Cette dernière fut condamnée en 1610 pour avoir fait tuer des centaines de jeunes filles dont elle aurait bu le sang qui servait parfois aussi à remplir sa baignoire. Cette personnalité hors norme a certainement inspiré l’écrivain Sheridan Le Fanu pour son roman « Carmilla » (1871) et donné naissance à plusieurs œuvres cinématographiques parmi lesquelles COMTESSE DRACULA (de Peter Sasdy, 1971), LES LEVRES ROUGES (de Harry Kümel, 1971), un segment des CONTES IMMORAUX (de Walerian Borowczyk, 1974) et tout récemment BATHORY (de Juraj Jakubisko, 2008, avec Franco Nero).
1807. Une atmosphère de peur et de superstition se répand dans un petit village d’Europe centrale alors que ses habitants se persuadent que leur médecin récemment décédé est un vampire. Un absurde procès posthume est même organisé, que le maître des lieux, le Marquis Karl Ziemmer suit comme un divertissement ridicule. Pendant ce temps, son épouse Erzsébet se morfond au château entre sa peur de la vieillesse et le sentiment d’être délaissée par le Marquis. Par hasard, elle découvre que quelques gouttes de sang tombées sur sa peau l’ont rajeunie ; poussée par sa suivante un peu sorcière, la Comtesse part à la quête meurtrière de cette nouvelle fontaine de Jouvence…
CEREMONIE SANGLANTE n’a pas pour ambition d’être un film historique puisque le récit est situé deux siècles après les exactions de la Comtesse sanguinaire ; dans la version anglaise du film, le personnage de Erzsébet est en fait une descendante de la « vraie » Erzsébet Bathory. Cette transposition imaginaire n’empêche pas le film d’être doté d’un vrai sens de la reconstitution : tout y est crédible, des processions aux flambeaux dans le village aux scènes plus quotidiennes dans les intérieurs du château, l’ensemble magnifié par une photographie quasi-picturale. Si l’esthétique du film rappelle celle de certaines œuvres de la Hammer (même cadre gothique, même prédominance des éléments horrifiques et du sang « flamboyant »), il s’en détache cependant par son absence d’érotisme. Très présent au tout début des années 70 dans les titres de la firme anglaise (THE VAMPIRE LOVERS de Roy Ward Baker, 1970, ses nombreuses scènes saphiques et la nudité frontale de Ingrid Pitt !) l’érotisme est encore formellement proscrit par le régime franquiste qui tolère beaucoup plus facilement l’épouvante et le fantastique. Si l’on peut regretter cette absence qui peut sembler être un contresens dans la mesure où le thème du vampirisme et la figure légendaire et sulfureuse de Bathory évoquent inévitablement la transgression sexuelle, on se laisse finalement porter par la vision plus subtile et tout en nuances que Jorge Grau donne du personnage et du contexte. Le fait que la Comtesse Bathory soit interprétée par la magnifique et emblématique actrice italienne Lucia Bosé (CELA S’APPELLE L’AURORE de Luis Bunuel, 1956) apporte au film comme une aura sensuelle et délicate. Le réalisateur, clairement en admiration devant son actrice, multiplie les plans iconiques où cette dernière est filmée face à son miroir et maquille ses quelques rides du précieux liquide rouge. Si Jorge Grau puise une part de son inspiration dans le mythe (celui du Vampire et celui de Faust dont Erzsébet est le pendant féminin par sa recherche de l’éternelle jeunesse), il semble surtout s’être intéressé à dessiner un très beau portrait de femme et à travailler la forme du mélodrame. Erzsébet nous apparaît en effet bien plus victime que bourreau, subissant l’influence maléfique de sa suivante et le désintérêt humiliant de son époux ; en gommant toute cruauté chez son personnage (excepté la scène où la Comtesse entaille la main d’une petite fille), le réalisateur prend à contre-pied la réalité historique pour mieux sensibiliser le spectateur à la souffrance de son héroïne romantique. CEREMONIE SANGLANTE se pare de tous les atours de l’épouvante gothique et plusieurs séquences sont assez saisissantes, graphiquement osées pour l’époque, à l’image de cette jeune fille égorgée comme un animal dont le sang s’écoule depuis le plafond jusque dans la baignoire de la Comtesse ou de cette autre « malheureuse » qui a la langue tranchée. Le film développe une atmosphère morbide et funèbre soulignée par d’incessants sons de cloche annonçant la mort d’une nouvelle jeune fille retrouvée exsangue mais la tonalité qui domine est celle de la mélancolie, fait assez rare dans le genre et qui permet à CEREMONIE SANGLANTE d’accéder au rang des œuvres à ne surtout pas manquer…


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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