Cerveaux Empoisonnés

Un texte signé Patryck Ficini

France - 1986 - Arnaud G.-J.

1986. Aux ordres du sénateur Holden, le Commander Serge Kovask et la Mama, Francesca Pepini, enquêtent en France sur la possible collusion entre des partis politiques de droite, la CIA et l’Association pour l’Unification du Christianisme Mondial (plus communément désignée comme la secte Moon) sous prétexte d’anticommunisme. Tandis que Kovask tente d’approcher l’organisation par l’une de ses nombreuses filiales, la Mama interroge un « infiltré» prêt à monnayer une caisse pleine de preuves.
Depuis les années 70, on peut se demander si les aventures du Commander relèvent encore véritablement, et systématiquement, de l’espionnage. Bien sûr l’ex-espion de la marine américaine agit parfois sous couverture, comme ici sous celle d’un homme d’affaires désireux de s’établir en France, et la Mama dispose d’un sac à mains bourré de gadgets. Mais dans CERVEAUX EMPOISONNES, par exemple, l’enquête (policière ?) porte sur les agissements d’une secte et les ennemis sont avant tout des gros bras aux mains de certains politiques du sud de l’hexagone. Où sont, à proprement parler, les agents secrets dans tout ça ? La CIA est bien évoquée, dans un sale rôle comme aimait à la dépeindre Arnaud, mais son importance est ici très secondaire. Pour nombre de lecteurs, le Commander était un peu l’anti SAS. Il est vrai qu’Arnaud et Gérard de Villiers écrivaient le même type de littérature, mais avec des opinions politiques totalement opposées !

Au fond peu importe, CERVEAUX EMPOISONNES propose aux lecteurs une intrigue captivante (quoique, le nombre de pages limité aidant, elle s’achève trop rapidement, en donnant une impression de fin bâclée – en plus, c’est carrément le dernier épisode de la série, mais G.-J. Arnaud le savait-il alors ?). CERVEAUX EMPOISONNES offre aussi des personnages forts à l’instar de cet imprimeur mercenaire, « anarchiste de droite » marginal qui bosse pour qui le paie et qui finira noyé la tête dans un bidon d’huile, victime de son amitié pour un type qui s’est infiltré chez Moon pour sauver son frère. Un rude gaillard que cet “espion”, traqué, qui vit planqué sur les toits de Toulon – ce qui vaudra à la Mama, vieille dame très spéciale, et au beau Kovask bien des acrobaties en hauteur. Comme si G.-J. Arnaud avait voulu malicieusement pousser plus loin encore les cascades de Belmondo dans PEUR SUR LA VILLE. C’est réussi, souvent haletant. L’atmosphère est presque fantastique par moments, lorsqu’Arnaud dépeint les affrontements des chats et des mouettes pour des cadavres de rats, en parallèle avec les combats secrets des hommes sur ces mêmes toits sinistres. De chouettes morceaux de littérature. On verrait bien le Mocky de A MORT L’ARBITRE filmer ces scènes étonnantes.

Arnaud écrivait ses « Espionnage » avec une solide documentation mais aussi avec des convictions politiques sincères que certains pourront décrier. Gabriel Veraldi, dans son passionnant Que sais-je ? LE ROMAN D’ESPIONNAGE, parle, en évoquant la série, des “élucubrations” d’un auteur “entièrement dépourvu de talent et ignorant tout du monde secret”. Pour le talent, à notre avis, G.-J. Arnaud en a à revendre ; pour le reste, nous ne jugerons pas, n’étant nullement des spécialistes du Renseignement réel ! Ceci dit, pour être tout à fait juste, Gabriel Veraldi trouvait beaucoup d’intérêt à une série comme LUIS, qui décrit les actions d’un révolutionnaire qui pouvait enlever la reine d’Angleterre ou pactiser avec les Brigades Rouges.
L’étude de Arnaud sur Moon et ses fidèles est intéressante, visiblement étayée par des articles parus dans la presse de l’époque. Lavage de cerveau, endoctrinement, régime alimentaire carencé forcé…, tout cela est un air connu pour qui s’intéresse un peu aux sectes. Selon G.J. Arnaud, l’Eglise de Moon serait protégée par des appuis politiques et industriels, ce qui expliquerait son implantation dans de nombreux pays.
Les accusations de l’auteur sont graves et sèment le doute dans l’esprit du lecteur. Le roman d’espionnage a toujours aimé mêler réalité et fiction pour divertir et dénoncer et/ou informer en même temps. Arnaud avait des choses à dire. Chacun jugera selon ses convictions et sa culture personnelles. C’est là le lot de toute littérature engagée, populaire ou non.
Si CERVEAUX EMPOISONNES n’avait été un roman de gare de plus – très réussi, soyons clairs-, noyé dans la masse industrielle du Fleuve Noir, nul doute qu’une telle œuvre à charge aurait fait du bruit. Le Fleuve a d’ailleurs, selon Arnaud lui-même, hésité à publier certains de ses romans trop politisés (lire les propos de l’auteur dans 31 ANS DE ROMAN POPULAIRE).
Il est vrai que le romancier n’y va pas avec le dos de la cuillère, il fonce, arguments parfois contestables à l’appui. Eternel rebelle, Arnaud va toujours très loin. Ce qui donne des bouquins qui ne laissent jamais indifférent, que l’on soit d’accord sur le fond ou pas.
En revanche, si c’est la Mama qui est représentée en couverture, avec son vaporisateur mortel, c’est n’importe quoi : elle n’est pas du tout censée ressembler à ça, notre mamie de choc !


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- Article rédigé par : Patryck Ficini

- Ses films préférés : Django, Keoma, Goldfinger, Frayeurs, L’Au-delà

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