Dossierreview

Chacun pour soi

Après avoir passé une grande partie de sa vie à chercher de l’or, Sam Cooper découvre un filon susceptible de le faire devenir riche. Il fait appel à un jeune compagnon, Manolo, qu’il a éduqué, pour extraire l’or et le ramener à la ville. La tension entre les deux amis se fait vite sentir et par besoin de protection, chacun va se faire accompagner dans le travail par un autre individu judicieusement choisi. C’est ainsi qu’ils partent tous, préparés avec attention, et la richesse à portée de main.

CHACUN POUR SOI est l’unique western spaghetti de Giorgio Capitani, réalisateur italien qui a beaucoup œuvré dans la comédie italienne et aussi dans le péplum (LE GRAND DEFI notamment). Contrairement aux fulgurances baroques d’un Sergio Leone, d’un Sergio Corbucci et des autres maîtres du western à l’italienne, Giorgio Capitani a préféré aborder le genre d’une manière très personnelle en empruntant le style du western traditionnel américain et en ne gardant que les figures marquantes et l’hyper-caractérisation des personnages du western italien. Le scénario, rédigé par Fernando di Leo et remanié par le réalisateur lui-même, lorgne complètement du côté de TRESOR DE LA SIERRA MADRE de John Huston, brûlot sur la mentalité capitaliste et l’égoïsme de l’homme devant l’appât du gain. On y voyait quatre individus faire équipe pour extraire de l’or, puis se désunir au moment de le ramener. C’est à peu de chose près ce qui se passe dans CHACUN POUR SOI, à la seule différence que l’accent est porté sur les relations entre les personnages : relations qui existaient avant même que l’histoire ne commence et se mettent en place tout au long du récit.

Chaque personnage porte en lui un lourd passé qui en fait un être de force et de faiblesse, à la fois craint et extrêmement vulnérable. Cette ambivalence des personnages vaut particulièrement pour George Hilton et Klaus Kinski. Le premier (Manolo) est un être faible sous le joug de Sam Cooper et du Blond (Klaus Kinski). Le second, vêtu en pasteur et au regard magnétique, s’impose par sa présence plus que par sa réelle efficacité dans le groupe. Les plus âgés sont incarnés quant à eux, par des vétérans du western américain, et semblent mentalement plus sains et plus forts : l’expérience militaire et la vie les ont ragaillardis. C’est cependant la fièvre de l’or qui va faire éclater leur réelle personnalité. L’histoire est donc loin des clichés véhiculés par le western italien ; elle est plutôt intimiste et très écrite.

Mais CHACUN POUR SOI se montre également généreux en rebondissements et en scènes d’action. Quelques fusillades originales viennent ponctuer le métrage et lui insufflent un véritable rythme et les temps de pause sont toujours construits par rapport à l’ambiguïté des personnages et de leurs rapports. CHACUN POUR SOI se plaît à explorer l’inconscient de ces héros atypiques pour ce genre de film : des êtres faibles, des liens entre certains personnages qui tiennent de l’homosexualité. S’il n’aborde pas la thématique de front, pour l’époque, la suggestion était plus qu’explicite. Un plan a même été coupé de toutes les versions du film. On y voyait Klaus Kinski écraser son mégot encore brûlant sur la main de George Hilton, instaurant sans aucune nuance un rapport dominant dominé entre les deux hommes. Ajoutons que les morceaux de bravoure attendus sont toujours contournés de manière originale et efficace. C’est ainsi que la lente préparation d’une fusillade permet de créer une tension extrêmement prenante pour ce qui ne sera qu’une bataille de plus.

CHACUN POUR SOI est sorti en 1968. Lucio Fulci, déjà réalisateur du TEMPS DU MASSACRE sur un scénario de Fernando di Leo, avait été pressenti pour la réalisation de ce film. Le scénariste a même été mécontent du choix de Giorgio Capitani, qui a aseptisé le script original. Rétrospectivement, il convient de noter des points communs entre ce film et LES QUATRE DE L’APOCALYPSE. Les deux films racontent le voyage de quatre individus très différents au service de tous et mettent un accent particulier sur l’aspect psychologique et les relations de confiance. Êtres faibles, personnalités excentriques, les héros du film de Lucio Fulci sont eux aussi des cas particuliers du western italien que l’on met en avant. Si le discours reste différent (LES QUATRE DE L’APOCALYPSE est moins rationnel et beaucoup plus violent), cela montre bien la place de CHACUN POUR SOI dans le vaste panorama du western européen : un film majeur, aussi original qu’unique et qui a pu inspirer d’autres écarts radicaux au genre.

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