Cinéma abattoir : incarnation

Un texte signé Alexandre Thevenot

Québec - 2007 - Collectif

La société occulte québécoise du cinéma subversif a édité un deuxième florilège de courts métrages alternatifs ou expérimentaux après celui consacré à l’érotisme. Le dvd « Incarnation »est emballé dans du papier de boucherie, ce qui est du plus bel effet. Ce qu’il renferme est bien pour disséquer l’image et en explorer sa chair.

LES SOUFFRANCES D’UN OEUF MEURTRI de Roland Lethem : seul film ancien de la sélection (1967), cette œuvre expérimentale belge est une curiosité. Son titre énigmatique et poétique peut créer une attente qui risque d’être vaine. Construit en cinq parties inégales, le film développe, par des jeux de contraste, la thématique de la violence, celle-ci n’apparaissant que par des traits caractéristiques : voix off, agressivité des couleurs, contact avec les matières (œuf, sang, peau…). Le travail sur l’image est assez intéressant en ce sens et ne manque pas de rappeler, par certains aspects, les idées de Karim Hussain dans SUBCONCIOUS CRUELTY. Si ce lien est perceptible, il reste axé sur le travail de la couleur et des interconnexions entre les différents sens.

CATHARSIS : court métrage de Bruno Forzani et Hélène Cattet (auteurs de AMER) qui dure 3 minutes, c’est une suite d’images plus qu’une véritable œuvre filmée. Les couleurs travaillées à l’extrême (échos aux travaux picturaux de Dario Argento) et les cadrages resserrés donnent un sentiment d’oppression fort, renforcé par la présence d’une violence terrible qui semble tout droit sortie du FRAYEURS de Lucio Fulci. Très court, et donc pas ennuyeux !

PANDROGENY MANIFESTO de Aldo Lee et Dionysos Andronis : ce film n’est à vrai dire pas très réussi. En dix minutes, il alterne des plans fixes construits géométriquement qui montrent deux femmes qui discutent, sur un ton déclamatoire, de théories sur la fusion des sexes. Si le propos n’est pas inintéressant, l’aspect formel lasse assez vite.

THEOCORDIS : ce film est l’un des plus ambitieux de la sélection. Le travail que Serge de Cotret a fait sur l’image est assez fascinant, le grain et les couleurs sont si présents qu’on dirait une sorte de peinture filmée. Explorant l’iconographie religieuse avec autant de respect que de subversion, l’ensemble est une expérience qui prend l’allure d’une messe underground oppressante. On se rapproche parfois de la solennité d’un Kenneth Anger mais dans une situation bien plus refermée sur elle-même (église, peinture, intérieurs, statues).

PINHOLE FLAMES de Amy Schwartz : il s’agit d’un court métrage sur une flamme. L’opposition entre la lumière et le noir permet une abstraction formelle qui tend à rapprocher le travail du cinéaste de celui des avant-gardes des années 20. La courte durée du film évite qu’il soit redondant et lui permet d’exprimer toute sa puissance.

PANTELIA de Micki Pellerano est un pseudo-documentaire sur l’importance du nombre 10, parcouru également de réflexions ésotériques ou mystiques sur la reproduction et la mort. Les images assez jolies semblent tirées d’un vieux grimoire et sont commentées par une voix off omniprésente qui peine à donner au film une véritable originalité.
BURN de Reynold Reynolds et Patrick Jolley est un peu le contraire inversé de PINHOLE FLAMES. Exit l’abstraction, ici nous suivons la vie d’un couple dans une maison en proie aux flammes. Leurs corps brûlent aussi. L’image est volontairement crasseuse et crée une atmosphère assez particulière à mi-chemin entre une représentation horrifique du quotidien, l’humour absurde et la poésie. La chute du film syncrétise d’ailleurs bien l’ensemble de ces aspects. L’idée de ce film assez loufoque provoque un effet de surprise plutôt saisissant, et l’on est vite fasciné par un tel spectacle.

WESTERN SUNBURN de Karl Lemieux est une succession de plans présentant des cow-boys à cheval. Le film est intéressant dans la mesure où il travaille véritablement le matériau cinématographique. Il renverse donc le sujet qui ne sont plus les cow-boys sur l’écran mais bien les images de la pellicule qui défilent et leur dégradation. Il s’agit en fait de la pellicule qui brûle au contact de la lumière du projecteur et du désert qui est projeté. Un prétexte à l’expérimentation, peut-être un peu facile, mais néanmoins réussi.

CONVULSION EXPULSION de Usama Alshaibi : ce court métrage qui clôt la sélection oscille entre exercice de style et vulgarité. On y voit une femme peinte en blanc (ce qui lui donne un air de madone) se dénuder, vomir un liquide pâteux couleur excrément avant de se retourner et de, littéralement, expulser du sang de son anus. Si la qualité graphique de l’ensemble est indéniable, on restera silencieux sur la portée d’un film qui n’est, encore plus que les autres, pas à mettre entre toutes les mains.

En dépit de la diversité des films, de la relative qualité de certains, « Incarnation » reste une sacrée entreprise qu’il convient de respecter : montrer un cinéma marginalisé et subversif qui vaut bien plus que ce qu’en disent les préjugés. En dix films, il permet un voyage convaincant dans des univers auxquels chacun sera plus ou moins sensible, mais qui ne laisseront jamais indemne. La citation de Pasolini, en exergue du livret de présentation, résume bien les démarches et positions de ce collectif : « Je pense que scandaliser est un droit et être scandalisé est un plaisir. Et celui qui refuse le plaisir d’être scandalisé est, comme on dit, un moraliste. »


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- Article rédigé par : Alexandre Thevenot

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