Cirkin Dunya

Un texte signé Philippe Chouvel

Turquie - 1974 - Osman F. Seden
Titres alternatifs : Mondo Brutale 2, La Gang dell'Arancia Meccanica, Es begann um Mitternacht, Last House in Istanbul
Interprètes : Hülya Kocyigit, Servas Basar, Dogan Bavli, Oktar Durukan, Bülent Kayabas

Thelma est mariée à un médecin, avec qui elle a eu un garçon prénommé Morio. L’enfant, âgé d’environ cinq ans, mène une existence sans histoire avec ses parents, dans une belle et vaste demeure relativement éloignée du centre-ville d’Istanbul. Un soir, Thelma commet l’erreur d’ouvrir la porte à trois inconnus à la mine franchement patibulaire, qui prétendent avoir eu un accident de voiture et ont besoin d’appeler des secours, car l’un des comparses est sérieusement blessé. La jeune femme se montre bien un peu méfiante, mais pas suffisamment, et le trio, qui est en fait composé de repris de justice, s’engouffre dans la brèche pour investir la maison. Scorpion, le chef de la bande, arborant un perpétuel sourire carnassier, devient ainsi le maître des lieux, secondé par ses deux compagnons d’évasion : Dave, très fort et profondément stupide ; et Terry, plus sournois, un peu moins bête, mais pas une lumière non plus. Après avoir volé une voiture, rossé un conducteur et tenté de violer sa passagère, les gangsters ont dû battre retraite, talonnés de près par la police. Il leur fallait trouver un refuge, c’est désormais chose faite. Nous sommes vendredi soir, un week-end particulièrement long et angoissant attend la famille prise en otage.
Dans cette résidence devenue une prison pour ses propriétaires et un espace de liberté pour les détenus en cavale, la cohabitation va forcément être difficile. C’est le mari qui paiera le premier les pots cassés, dans un rôle de souffre-douleur auquel il ne pouvait déroger. La femme, quant à elle, sera l’objet à convoiter, le bonus à la rançon de trois cent milles Livres que le mari devra retirer à la banque le lundi matin, à l’ouverture. Thelma est jolie, et la menace de viol pesant sur elle ne fera que s’accentuer à chaque heure qui passe. Enfin, le sort réservé à Morio ne sera pas forcément le plus enviable. La pureté d’un enfant ne pèse en effet pas bien lourd face à la cruauté et l’absence totale de morale de trois criminels.
Dans cette atmosphère irrespirable, le couple va tout mettre en œuvre pour sauver sa peau, élaborant des plans d’évasion guidés plus par l’instinct que par la raison, et de ce fait voués à l’échec. Il va même jusqu’à risquer la vie de leur enfant, lui demandant d’aller récupérer le revolver qu’un des malfrats endormis a laissé en évidence dans un repli de son pantalon. Un acte irréfléchi, qui risque de les perdre.
Le huis-clos mettant en lice les occupants d’une maison (une famille, un groupe d’amis…) est un thème récurrent du cinéma, qui doit son succès auprès du grand public depuis LA MAISON DES OTAGES (THE DESPERATE HOURS) de William Wyler (1955), qui fit d’ailleurs l’objet d’un remake en 1990, par Michel Cimino. Le cinéma de genre n’a d’ailleurs pas manqué l’occasion d’en reprendre l’idée, et ce en maintes occasions. Les œuvres les plus connues sont LA DERNIERE MAISON SUR LA GAUCHE (Wes Craven), ainsi que LA MAISON AU FOND DU PARC (Ruggero Deodato). On peut citer également le PORNO SHOP ON 7th AVENUE de Joe D’Amato, FIGHT FOR YOUR LIFE (Robert A. Endelson) ; et donc ce CIRKIN DUNYA, réalisé en 1974, soit deux ans après le long métrage de Craven.
Un film d’autant plus rare et méconnu dans la mesure où il n’a jamais été distribué en France. Par contre, il connut en son temps une exploitation dans certains pays, sous divers titres prouvant la volonté des distributeurs de rattacher CIRKIN DUNYA à ses illustres prédécesseurs. Ainsi fut-il rebaptisé LAST HOUSE IN ISTANBUL aux Etats-Unis (une édition non officielle), et LA GANG DELL’ARANCIA MECCANICA (« Le Gang d’Orange Mécanique ») en Italie. Titre on ne peut plus farfelu que ce dernier, car si le film possède (de très loin) une ressemblance avec l’œuvre de Wes Craven, il n’en présente par contre aucune avec le classique de Stanley Kubrik.
CIRKIN DUNYA a été mis en scène par Osman F. Seden, un nom qui ne nous évoquera probablement rien, bien que ce cinéaste ait réalisé environ cent vingt films dans son pays, entre 1955 et 1997. Outre ses fonctions de réalisateur, Seden fut aussi scénariste, producteur et acteur.
Sa version personnelle de LA MAISON DES OTAGES, si elle reste relativement faible qualitativement, n’en est pas pour autant inintéressante. De facture relativement classique pendant près d’une heure, CIRKIN DUNYA amorce un virage radical dans le dernier quart d’heure, d’une part au niveau du cadre (on sort d’un huis-clos oppressant), et d’autre part dans l’évolution du film, qui se transforme dès lors en un « rape and revenge » féroce et cruel. Une quinzaine de minutes plutôt surprenantes, où l’on constate une absence totale de dialogues, et durant lesquelles Thelma, personnage central de l’histoire, vampirise littéralement le spectateur. De simple victime résignée et soumise, elle s’est transformée en ange vengeur ayant sombré dans une folie incurable. Un final qui ravira les amateurs de cinéma bis, même si les situations s’enchaînent trop rapidement, laissant l’impression d’un scénario bouclé à la hâte, et de ce fait bâclé.
Malgré tout, le cinéma de genre turc a été trop longtemps invisible dans nos contrées pour que l’on boude CIRKIN DUNYA, à nouveau visible sous le titre MONDO BRUTALE 2. Pourquoi cette appellation ? Parce que LA DERNIERE MAISON SUR LA GAUCHE avait été rebaptisée à l’époque MONDO BRUTALE en Allemagne de l’Ouest. Quant à CIRKIN DUNYA, on pourrait le traduire par « un monde menaçant », une traduction somme toute assez proche de celle de nos voisins germaniques.


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- Article rédigé par : Philippe Chouvel

- Ses films préférés : Femina Ridens, Les Démons, Danger Diabolik, L’Abominable Docteur Phibes, La Dame Rouge Tua 7 Fois

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