Colpo in canna

Un texte signé Alexandre Lecouffe

Italie - 1975 - Fernando Di Leo
Titres alternatifs : Loaded gun, Ursula l'anti-gang
Interprètes : Ursula Andress, Marc Porel, Woody Strode

Fernando Di Leo (décédé en 2003) fut un excellent scénariste dans les années 60 et l’on retrouve souvent son nom attaché à celui du western italien alors en plein essor (POUR UNE POIGNEE DE DOLLARS de Sergio Leone, 1964 ; LE TEMPS DU MASSACRE de Lucio Fulci, 1966). Il ne se lance vraiment dans la réalisation qu’à la toute fin des années 60, oeuvrant surtout dans le polar à tendance sociale (souvent influencé par les écrits du grand romancier italien Giorgio Scerbanenco). Fernando Di Leo signe notamment une excellente « trilogie du Milieu » (MILAN CALIBRE 9, 1972 ; L’EMPIRE DU CRIME et LE BOSS, 1973) qui lui valut parfois d’être surnommé le « Don Siegel italien » ; il ne reste pas figé dans un seul genre puisqu’on lui doit aussi un giallo érotique (LA CLINIQUE SANGLANTE, 1971) ou des comédies. COLPO IN CANNA, qui est un film ouvertement commercial, combine de façon assez inattendue les deux genres les plus populaires dans le pays à l’époque : la « sexy-comédie » et le « poliziotteschi » (polar social et violent). Le réalisateur confie le rôle principal à la sculpturale suissesse Ursula Andress (SHE de Robert Day, 1965 ; LES TRIBULATIONS D’UN CHINOIS EN CHINE de Philippe de Broca, 1967) alors au creux de la vague (pour ne pas dire sans emploi…). Le film relancera sa carrière, d’abord en Italie (LA MONTAGNE DU DIEU CANNIBALE de Sergio Martino, 1978) puis à un niveau international (LE CHOC DES TITANS de Desmond Davis, 1981).
Nora Green est hôtesse de l’air ; lorsque son avion s’arrête à Naples, elle y fait la connaissance d’un homme qui lui propose une somme d’argent pour délivrer une lettre à un dénommé Silvera. Nora se rend chez ce dernier qui est en fait un important truand local ; la lettre lui annonce l’arrivée prochaine de son ennemi surnommé « l’Américain ». Nora, que l’on pense de mèche avec ce personnage, est tabassée par les hommes de Silvera mais secourue par Manuel qui a pris ses distances avec cette bande. Son sauveur lui explique que cette lettre va raviver les tensions entre le camp de Silvera et celui de Don Carlo et qu’elle vient de se mettre à dos les pires trafiquants de drogue de Naples…
Curieux film que ce COLPO IN CANNA dont la première originalité est de mélanger les univers à priori antagonistes de la comédie légère et du polar urbain avec succès, du moins dans la première partie du métrage. En effet, jusqu’à mi-parcours environ, le récit alterne de façon équilibrée les scènes d’action plutôt dures (l’arrivée de Nora chez la bande patibulaire de Silvera, son passage à tabac) et les séquences de pause (les nombreux « effeuillages » de Nora lorsqu’elle est hébergée par Manuel). Les éléments caractéristiques des deux genres parviennent même à fusionner à l’intérieur de certaines scènes de façon efficace (les interventions du commissaire Calogero font progresser l’intrigue même si le policier est joué par Lino Banfi, spécialiste-ès-grimaces des « sexy-comédies »). Malheureusement, cette hybridation se délite progressivement tandis que le film opte pour le second degré systématique et des séquences uniquement comiques dans lesquelles les gangsters des deux clans rivalisent de maladresse et de bêtise. La parodie vire alors à la farce burlesque indigeste, notamment lors d’une scène interminable (une vingtaine de minutes) qui voit les deux bandes s’affronter dans une bagarre générale ponctuée de gags et de musique à la « Benny Hill ». Gravement déséquilibré dans sa structure, le film accumule de plus de nombreuses scories (faux raccords image et lumière en pagaille, montage peu dynamique, cadrages très approximatifs,…) qui tendent alors à le classer au rayon des « bâclages ». Si COLPO IN CANNA ne peut figurer au tableau des comédies réussies, il marque cependant des points dans son portrait d’un personnage principal féminin qui va à l’encontre des clichés parfois sexistes de la comédie et du polar italiens. Ursula Andress campe ici une femme émancipée, revendicatrice et qui n’hésite pas à jouer des poings et du flingue si nécessaire ; on pense parfois, toutes proportions gardées, aux héroïnes de la « Blaxploitation » incarnées par Pam Grier : terriblement sexy mais certainement pas soumises. Celle qui fut la célèbre « naïade » de JAMES BOND CONTRE DR. NO (Terence Young, 1962) n’hésite pas à dévoiler ses charmes de façon tout à fait intégrale et s’amuse visiblement dans ce rôle d’agent infiltré venu semer le trouble entre deux factions rivales pour mieux les détruire de l’intérieur (personnage dont le mode opératoire rappelle celui interprété par Clint Eastwood dans POUR UNE POIGNEE DE DOLLARS sur lequel Fernando Di Leo a travaillé même s’il ne fut pas crédité au scénario). Le film nous vaut également le plaisir de revoir l’excellent second couteau Woody Strode (le gladiateur noir de SPARTACUS de Stanley Kubrick, 1960 ; LES PROFESSIONNELS de Richard Brooks, 1966) et le beau ténébreux Marc Porel (le prêtre de LA LONGUE NUIT DE L’EXORCISME de Lucio Fulci, 1972), acteur français trop tôt disparu. Film mineur dans la filmographie parfois brillante de Fernando Di Leo, COLPO IN CANNA souffre d’un manque de cohérence thématique mais reste, en l’état, une sympathique curiosité.


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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