DossierL'Étrange Festival 2012review

Comforting Skin

COMFORTING SKIN fait partie de ces films aux résumés intéressants mais qui s’avèrent, la plupart du temps, fades ou donnant simplement le sentiment d’ersatz. Lors de l’Étrange Festival 2012, il nous a été donné la possibilité de découvrir un traitement et une réflexion neufs et pertinents sur un sujet qui a cependant été traité de nombreuse fois avec brio.
Koffie est une jeune fille solitaire et souffrant d’un fort manque affectif. Bien souvent en décalage avec le monde qui l’entoure, elle cherche désespérément à combler le vide qui l’envahi. Après une séance de tatouage, vécue comme une réaffirmation de sa personnalité et de son identité sociale, elle entend son tatouage lui parler. C’est alors que Koffie va commencer à entretenir une relation avec celui-ci, qu’elle voit petit à petit prendre vie.

COMFORTING SKIN est le premier film du réalisateur Derek Franson, échappé du monde de la publicité. Pour ce premier long-métrage, il s’entoure d’un très beau casting. Victoria Bidewell, issue de la télévision, est en tête avec le rôle de Koffie. On remarquera cependant son apparition dans le générique du désastreux ALIENS VS PREDATOR : REQUIEM. Son interprétation restera d’excellente qualité, traversant une palette de sentiments en les déclinant tout au long du métrage et parfois même à l’intérieur des scènes. Elle construit alors un personnage tout en subtilité aux facettes multiples, qu’elle arrive à faire vivre de façon incroyable lors de superbes plans-séquences, dans lesquels notre héroïne, discutant avec son tatouage, passe par plusieurs états émotionnels avec un naturel impressionnant.
Notons aussi la présence de Tygh Runyan et de Jane Sowerby deux excellents acteurs qui offrent deux magnifiques personnages constituant l’entourage proche de Koffie.
La schizophrénie et le trouble dissociatif de l’identité sont des maladies mentales largement exploitées au cinéma. La plupart du temps, ces deux maladies bien distinctes, sont confondues à l’écran et le discours des films s’en voit largement entaché voire en devient complètement caduc. Cependant, ici le choix d’une certaine sobriété permet d’éviter le piège de la sur-explication et de l’approximation épistémologique. En effet, ce n’est pas ici un discours sur la maladie mentale en elle-même, que le réalisateur décide de produire, mais plutôt sur la solitude qui en découle.
COMFORTING SKIN propose un traitement et une réflexion à mi-chemin entre le travail de Cronenberg et celui de Marina de Van. Il met en place un ton profondément fantastique au sens littéraire du terme. Derek Franson propose alors d’aborder les thèmes de la psychose et de la solitude par une mise en scène très réaliste où interfèrent des éléments surnaturels. Idée intéressante quand on sait que la schizophrénie se caractérise principalement par des hallucinations et une difficulté à dissocier le réel du fantasme. Ici, le film de Derek Franson brille par sa sobriété et la subtilité de son traitement. Ainsi, les éléments surnaturels ne sont jamais employés pour déstabiliser le spectateur sur la suite de l’intrigue ni pour le forcer à spéculer de façon prolifique sur la santé de l’héroïne. Le surnaturel joue, alors, plus un rôle métaphorique ou immersif sur l’état psychologique de Koffie et permet de suivre son évolution et sa chute. Car, COMFORTING SKIN parle avant tout de son héroïne et c’est dans ce portrait de femme solitaire, inadaptée et psychologiquement en détresse, que le métrage se construit une personnalité et une pertinence plaisante à constater. Remarquons que l’enjeu principal du métrage est de voir passer Koffie d’une situation de solitude subie à celle de désirée. C’est ainsi, en souffrant de cette solitude jusqu’au point de la rechercher par l’intermédiaire de sa relation exclusive avec son tatouage ou elle-même, que sa psychose va l’exclure du champ social.
Le travail sur le son est particulièrement intéressant dans ce métrage. En effet, l’évolution de l’intensité sonore renvoie à la psychose de Koffie et ainsi, petit à petit, les voix qu’elle entend dans sa tête deviendront de plus en plus fortes et inversement celles de ses amis et du « monde réel » s’amenuiseront. C’est donc aussi un décalage sonore des scènes qui permettront d’entrevoir l’évolution de l’état mental de notre héroïne.
Le morcellement du corps et l’utilisation de miroirs renvoient, dans le métrage, à la dissociation du corps de Koffie illustrant sa schizophrénie. C’est par ce biais que le réalisateur arrive à illustrer la construction d’un hôte étranger dans le corps de son héroïne. Technique largement utilisée par Cronenberg, mais qui cependant a fait toutes ses preuves. Ainsi, la peau de Koffie deviendra un personnage à part entière à l’écran. Il est alors symbole de désir sexuel, de protection mais aussi de mort et de souffrance. C’est dans la création de ce personnage symbolique qu’est le tatouage de Koffie et que l’on en revient à des considérations dualistes d’opposition entre intériorité et extériorité. La peau ou l’extériorité de Koffie est à la fois complémentaire de sa personnalité et à la fois corruptrice et négative.
Ce premier film de Derek Franson a donc tous les atouts pour être une grande réussite. Cependant, quelques points noirs comme le rythme hétérogène ou le léger manque d’intrigue entachent la réussite générale de ce long-métrage. COMFORTING SKIN restera, malgré tout, un film de très bonne qualité par sa justesse d’analyse, son inventivité et la pudeur de ses personnages jamais grossiers dans leurs étrangetés, leurs troubles ou leurs difficultés. Nous attendons donc avec impatience les prochains films de ce jeune réalisateur très prometteur.

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