Coralie Trinh thi : entretien – Retour sur Baise moi

Cet entretien accordé par Coralie Trinh thi à Johannes Roger et Jérôme Vincent a été publié dans le numéro 11 de Sueurs Froides au printemps 2002

Obscène, scandaleux, féministe, revanchard, fasciste, punk… Souvent à tort, parfois à raison, on a collé toutes sortes d’étiquettes sur le film BAISE MOI. Mais, que l’on soit détracteur ou défenseur de l’œuvre, force est de reconnaître que le film de Coralie Trinh Thi et Virginie Despente a bouleversé à sa manière le paysage ronflant (Oui ! Vous pouvez aussi mettre un G) du cinéma français, allant même jusqu’à remettre sur la place publique le vieux débat passionné sur la très contestable loi X. La ressortie en salle de BAISE MOI le 29 août 2001, nous a permis de rencontrer l’une des deux réalisatrices, Coralie Trinh Thi, pour revenir ensemble sur l’un des événements cinématographiques les plus importants survenus en France ces dernières années et sur la gestation d’une œuvre attachante et atypique, désormais culte.

Johannes et Jérôme : Connaissais-tu Virginie et son travail avant de faire BAISE MOI ?

Coralie Trinh thi : En fait, on s’est rencontré totalement par hasard, par l’intermédiaire d’un groupe de rock Hardcore qui s’appelle « Kickback », (très bon groupe, d’ailleurs). Donc à l’époque, elle préparait déjà un scénario. Ca s’appelait « celle qui ne dit jamais non ! » et elle avait un rôle pour moi dans ce film. Maintenant, ça fait facilement cinq ans qu’on se connaît toutes les deux. On est donc devenu amies bien avant de faire BAISE MOI. C’est d’ailleurs pour ça que tout a été possible en fait.

Mais avant de la connaître personnellement, tu l’avais découverte par ses livres ?!

Oui ! En fait, j’avais déjà lu « Baise moi » et « Les chiennes savantes ». J’avais même lu « Baise moi » quatre fois avant de la rencontrer et « les chiennes savantes » deux ou trois fois, depuis je les ai encore beaucoup relu (rires).

Tu aimais donc son univers ?

Oui, j’aimais vraiment beaucoup. Pour moi, c’était « Baudelaire version trash », du romantisme trash et moderne. Et elle me connaissait déjà aussi par l’intermédiaire des films porno… Puisqu’elle en mate beaucoup…

Vous signez toutes les deux le film, mais concrètement, comment vous étiez-vous réparti les tâches sur le tournage ?

On a vraiment travaillé à deux pendant la préparation et la post production. Sur le tournage à proprement parler, elle était à la direction des acteurs et moi j’étais au cadre avec le chef op. C’était plus facile pour nous de cette manière. Virginie a une aura plus forte que la mienne. C’était donc plus logique pour tout le monde qu’elle s’occupe des comédiens.

Et pour les scènes X ?

C’est aussi elle qui dirigeait les comédiens. On avait un story board bien précis pour ces scènes. Mais si je voulais parfois insérer un plan supplémentaire, on s’arrangeaient…

Je disais donc que nous avions un story board très détaillé, même si on ne s’y est pas toujours tenu. On avait au moins ça si on manquait d’idées sur le tournage.

Avez vous beaucoup improvisé ?

Non ! En fait comme le story board était très travaillé au départ, ça nous donnait une certaine sécurité, ce qui nous a permis d’improviser par la suite… En fait, un film, ça “dégringole” un peu tout seul. Bon, je veux pas dire qu’on a rien foutu (rires), mais le film prend vie tout seul, avec les décors, les comédiens, etc… Chacun apporte quelque chose…

J’ai lu dans “Rock and Folk” que le tournage était tout de même anarchique !

Oui ! C’est vrai aussi (rires)… Je me souviens que je voulais asperger de sang un monument classé, mais le directeur de prod n’était pas du tout d’accord… C’était pour la scène de la femme tuée près du distributeur… Finalement, on s’est retrouvé avec un mur tout moche à la place… En fait, on a eu beaucoup de merdes, des décors qui nous lâchaient… Karen s’est même coupée la main. Il a fallu l’emmener à l’hôpital.  Le bandage qu’elle porte à la fin du film n’était pas du tout prévu. Il y a eu plein de petites catastrophes comme celle-là mais finalement on en a tiré bénéfice à chaque fois.

Et Raffaela ?

Elle a failli mourir de froid ! (rires), pour la scène de sa mort près du lac. Nous étions dans une forêt, dans les Vosges. Il y faisait un froid humide et pénétrant. Elle devait rester couchée par terre. Finalement, elle est vraiment devenue toute bleue et elle ne pouvait plus bouger du tout… On l’a montée au refuge et on a dû la frictionner pendant une heure… Ceci dit, dans le film, elle a l’air vraiment morte du coup.

On a d’ailleurs l’impression que certaines scènes ont vraiment été éprouvantes à tourner ? Je pense à la scène de viol en particulier !

En fait, pour cette scène, c’est assez différent. Je me souviens que Karla hurlait pendant la prise et qu’elle piquait des crises de fou rire quand la caméra ne tournait plus. Le rendu est très impressionnant à l’écran mais en réalité, c’était une scène assez agréable et drôle à tourner. Par contre, Raffaela avait l’air de vivre un enfer. Elle ne disait rien, on avait vraiment l’impression de la traumatiser. Cela dit, au final, elle est vraiment bien, mais en dehors des prises, elle était exactement comme dans le film, recroquevillée, elle tremblait, c’était abominable… Ca nous a un peu cassé le moral. En fait, Raffaela, elle est un peu… spéciale.

Il faut qu’on fasse attention à elle, il faut la forcer à faire les choses… Les deux comédiennes ne se comportaient pas du tout de la même manière sur le plateau. Je pense que les scènes de cul ne faisaient plaisir ni à l’une ni a l’autre. Karen y allait genre “agneau sacrifié” avec générosité, sans rien dire, alors que Raffaela luttait sans cesse. Elle culpabilisait beaucoup plus.

Elle était comme ça pour toutes les scènes ou surtout pour celle du viol ?

En fait on a commencé le tournage par la scène du viol.  L’ambiance particulière qu’il y avait pour ce premier jour a donc vraiment servi le film par la suite. Du coup, le viol en lui-même devient vraiment complètement insupportable à regarder.

Qui a dessiné le story board ?

On l’a dessiné nous-mêmes au crayon à papier. C’était très sommaire…

Mais ça ne se fait jamais d’habitude de story-boarder des scènes X ?

Non ! En effet, mais il y avait des plans vraiment très particuliers, comme le gros plan de pénétration pour le viol. C’est une image qui m’est venue en lisant “la vielle qui marchait dans la mer” de San Antonio…

Dans BAISE MOI, on note également beaucoup de clins d’œil à d’autres films ! Qui a eu ces idées ?

En fait un peu nous deux ! DELIVERANCE par exemple, auquel on fait allusion, c’est un film qui m’a vraiment marquée. Il y a aussi un clin d’œil à L’ANGE DE LA VENGEANCE, un film que Virginie aime beaucoup. Egalement un clin d’œil au 14ème degré à ORANGE MECANIQUE que personne n’a dû remarquer. En fait, la scène où Radouan se fait tabasser, on a essayé de la filmer à la manière d’une séquence qu’Alex (le héros d’ORANGE MECANIQUE) visionne quand il est attaché dans le cinéma. Mais c’était vraiment des petits plaisirs personnels qui n’étaient pas là pour que les gens les remarquent.

entretien avec coralie trinh thi retour sur baise moi 1

Il y a aussi des références à certain films d’action, à ceux de John Woo par exemple !?

Euuuhhh ! Dans quelles scènes ?!

Dans la boîte à partouzes ?!

Non ! Pas vraiment ! Le découpage de la fusillade a vraiment été pensé au montage…

Inconsciemment alors ?

De toute façon il doit bien y avoir des références inconscientes dans le film, “rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme…”, tout dépend de ce qu’on a vu auparavant, de ce qu’on a lu, écouté…

As-tu vu un film qui s’appelle A GUN FOR JENNIFER ?

En fait c’est Virginie qui me l’a prêté. J’aime beaucoup ce genre de film, mais je ne le rapprocherais pas de BAISE MOI, puisque finalement notre film, ce n’est pas qu’une histoire de viol, encore moins de vengeance. Je suis désolée pour votre dossier (rires), le viol dans BAISE MOI, c’est simplement un des symptômes de leur impuissance face aux hommes, mais ce n’est pas la cause de tout. D’ailleurs, le personnage de Nadine ne se fait pas violer… Le fait que leurs amis meurent sans qu’elles puissent intervenir est aussi marquant pour elles dans le déroulement de l’histoire.

Pourtant beaucoup de spectateurs l’ont pris pour un “Rape and Revenge” !

Alors c’est vraiment une interprétation à la con ! Je pense que ça rassure les gens qu’il y ait une raison derrière tout ça… Une raison claire et simple à comprendre. “Si les filles ne se font pas violer, tout ira bien !” Mais les choses ne sont vraiment pas aussi simples que ça ! La souffrance et la rage des personnages viennent vraiment de plus loin. La scène de viol, on l’a filmée de manière horrible parce que c’est horrible à vivre, mais le message qu’il y a derrière, c’est qu’elle a complètement le droit de s’en remettre.

Beaucoup de gens ont vu de la gratuité dans les comportements des deux héroïnes !?

C’est une révolte symbolique ! Dans le film, personne ne mérite vraiment de mourir, ce ne sont pas des justicières. En fait, tout découle des choix plus ou moins inconscients des réalisatrices. C’est vrai qu’elles niquent tous les symboles de pouvoir et d’oppression un par un !

Masculins ?

Non ! C’est une grosse erreur de dire ça ! Elles tuent des flics mais les flics ne représentent pas forcément le pouvoir masculin. L’architecte représente une domination intellectuelle bourgeoise, la fille au distributeur de billets l’oppression pas l’argent. Y en a bien un qui représente l’agressivité sexuelle : “Ca te dirait que je fasse claquer mes couilles contre ton cul ?” C’est vraiment une réplique très très bonne (rires). Je comprends pas qu’elle soit pas déjà culte, merde ! (rires)… Pour résumer, le film n’est absolument pas anti masculin, juste anti domination et oppression.

Pourtant les portraits des mecs dans le film ne sont pas très flatteurs !

Oui, mais en dehors des deux héroïnes, celui des femmes ne l’est pas non plus… En fait, moi, je trouve le personnage de Radouan très sympa, celui de Patrick Eudeline aussi, HPG également. En fait les gens pensent ça parce qu’ils ne sont pas habitués à voir deux personnages féminins exister par eux-mêmes, sans référent masculin pour les sauver ou les punir. Quand on intellectualise l’œuvre, on y met ses propres raisonnements et sa propre logique. Pour le coup cette histoire “anti mec” c’était pas la nôtre, par contre il semble que ce soit celle de l’ensemble de la population française…

Dans la scène de la boîte à partouze (le fameux clin d’œil à DELIVERANCE), on a pu reconnaître l’une des figures de l’underground provocateur parisien, je veux parler de Jean-Louis Costes. Qui a eu l’idée de l’employer pour cette scène ?

En bien !… C’était très très drôle ! C’est Virginie qui a eu l’idée d’engager Costes. Moi, je ne le connaissais absolument pas avant le tournage et franchement j’applaudis des deux mains et des deux pieds parce que c’était vraiment une très très bonne idée (rires). Il est complètement incroyable ! Pour l’explosion de la balle à la fin, il fallait lui mettre une prothèse. Ca a dû prendre bien trois ou quatre heures et il n’a pas bougé, pas bu, rien ! Moi je me serais plainte tous les quarts d’heure ou je me serais mise à pleurer, donc lui était admirable !

Après, pour le tournage de la scène, il engueulait Raffaela parce qu’elle n’enfonçait pas assez le flingue (dans son fondement, NDR) et que ça allait se voir (fou rire). “Mais enfin vas-y, mets-le !!!!” (rires) Il l’engueulait parce que, pour lui, elle n’était “pas très consciencieuse !” (rires) En plus de ça, Raffaela ne voulait pas faire les scènes de meurtres au départ. Elle n’aime pas les armes à feu, donc c’était pas le genre à y aller franchement.

Vous avez tourné BAISE MOI en DV, si vous aviez eu la possibilité de faire le film en pellicule, vous l’auriez fait ? De la même manière ?

Le filmage en DV, c’est un truc qui s’est imposé tout de suite parce qu’il y a vraiment un “esprit” dans le livre qu’il fallait respecter. Ca nous permettait aussi une certaine rapidité dans la circulation des idées. Et puis aucune de nous deux n’avait une grande expérience d’un tournage. Les comédiennes n’avaient pas de formation au court Florent, Virginie avait juste fait des court-métrages. C’était vraiment un tournage “Do it yourself”, un peu punk ! L’image vidéo convenait vraiment au sujet. De plus, les petites caméras, ça nous permettait de faire plein d’essais, de filmer où on voulait et d’être très mobile. En pellicule, on aurait fait beaucoup moins de prises, là on avait 40 ou 50 heures de rush.

Vous avez travaillé les éclairages ou ça a été tourné en lumière naturelle ?

En lumière naturelle évidement ! Non mais alors !!!! (rires) Virginie voulait de la lumière naturelle parce que sur ses courts, le fait de devoir régler les lumières pendant une heure à chaque fois qu’on déplaçait un acteur de cinq centimètres l’avait traumatisée. Pour moi, ça me semblait bien parce que… J’en avais rien à foutre ! J’avais vu des films en lumière naturelle et l’image me plaisait bien ! Et là-dessus Gaspar Noé (réalisateur de SEUL CONTRE TOUS, NDR) nous a dit que c’était vraiment possible. Il nous a même dit “Si tu en vois un qui amène un projo ou un réflecteur, tu l’envoies balader” (rires). Pour moi, c’est le réalisateur français le plus brillant du moment, donc si lui disait que c’était possible ça devait l’être.

Vous aviez plusieurs caméras ?

On n’avait qu’une seule caméra sauf pour les scènes de violence et de sexe, où on en avait deux.

Si je te dis que BAISE MOI est un film punk, est-ce que tu es d’accord avec cette étiquette ?

Oui tout à fait ! Bon ! Le punk est mort ! (rires) Mais il bouge encore ! (rires) On ne savait pas faire un film et on l’a fait quand même. On a d’ailleurs beaucoup appris en le faisant. S’il n’y a pas la technique, il y a au moins du fond et le charme de la nouveauté. Moi j’ai une affection pour les premières oeuvres de Virginie, “Les chiennes savantes” c’est génial aussi mais on sent qu’il est déjà plus travaillé plus structuré, alors que les premiers livres sont plus “bruts”, et j’aime beaucoup ça. C’est comme en musique, j’aime des groupes qui ne savaient pas jouer, comme Cure au début, les premiers albums, c’est à se rouler par terre.

D’ailleurs BAISE MOI, un film “amateur”, tient plutôt bien la route techniquement !

Ecoute, moi j’ai vu le dernier Kassovitz LES RIVIERES POURPRES, c’est une abomination !!! On sent la démonstration de virtuosité technique mais du coup, ça en devient atrocement chiant à regarder. Il n’y a plus que la forme et rien dans le fond. On ne comprend rien à l’histoire, la musique est prétentieuse, les comédiens, qui sont plutôt bons d’habitude, j’imaginais leur marque au sol genre “bon, là tu t’arrête et tu dis ça…”, c’est le film le plus chiant que j’ai vu récemment.

Et LE PACTE DES LOUPS ?

Là par contre j’ai trouvé ça vraiment extraordinaire. En plus avec le réalisateur, on doit avoir le même genre de culture, des films kitsch comme ANGELIQUE MARQUISE DES ANGES (rires). Je suis sûre qu’il a regardé ça quand il était petit, moi j’ai vu toute la série des “ANGELIQUE…”, les décolletés de Michelle Mercier, les coups de fouet, les chats sauvages etc… Et puis les combats dans le film me font penser plus à certains jeux vidéos qu’à MATRIX… Y’a peut-être quelques petites longueurs… D’ailleurs, je ne comprends pas pourquoi ils font tous des films aussi longs. La première partie est trop longue alors que ça s’accélère beaucoup vers la fin… En fait j’aime surtout Mark Dacascos (rires), lui, j’l’adore !

Pour en revenir à BAISE MOI, je voudrais qu’on parle un peu de la BO, qui a choisi les groupes ?

C’est quelqu’un qui s’appelle Varou Jan, un très bon ami de Virginie, l’ancien guitariste d’un groupe de Hardcore qui s’appelait Condence, vous voyez ? Non !? Bon c’est pas grave ! Il connaît Virginie depuis plus de 10 ans, il connaît bien son univers, donc comme on peut pas tout faire sur un film et qu’il était vraiment partant pour le projet, c’est lui qui s’est occupé de composer la BO, de choisir les groupes, de les faire enregistrer des morceaux etc… Une fois qu’on avait tous les morceaux plus sa musique, on a monté le film en fonction, et je suis assez contente du résultat…

Tu es très contente le BO alors ?

Ouais ! Y’avait bien des morceaux qui me plaisaient pas trop. La moitié de ceux qu’on entend dans le film, c’est des trucs que j’écouterais pas chez moi, mais ça colle parfaitement bien avec les scènes. Mon morceau préféré je pense que c’est celui d’X-Syndicate, c’est ce morceau qu’on entend pour la scène de la boîte à partouzes !

Une fois le film terminé, vous vous attendiez à quelles sortes de réactions ?

Avant même la sortie du film, ils ont commencé à s’énerver ! A beaucoup en parler etc… On nous a même accusé d’avoir fait du buzzing, d’employer des techniques de marketing machiavéliques, alors qu’on y avait même pas pensé ! Franchement, on n’en avait pas besoin ! Nous, on l’a fait dans un bon esprit, genre « le film qu’on aimerait bien voir » et ça a tout de suite été sali par les médias.

Comment a-t-il été reçu au festival de Cannes par exemple ?

En fait, il n’était projeté qu’au marché du film, parce que personne n’a voulu de nous (rires). Y’ a eu des bagarres à l’entrée de la salle. Y’a même des types qui se sont cachés dans les toilettes parce que la projection était interdite à la presse. Donc les journalistes se sont un peu énervés. De toute façon, on s’est fait démolir partout. On a vraiment déclenché une hostilité à laquelle on ne s’attendait pas… On savait qu’on allait faire chier les cons (rires), mais on est devenu responsable et symbolique de tout ce qui déconne, notamment au niveau des rapport hommes/femmes. Par exemple, moi, je ne voyais pas l’intérêt d’être féministe avant de faire BAISE MOI !

Ca a changé depuis ?

Non ! Je suis anti sexiste mais je suis pas féministe parce que moi je n’aime personne et je trouve que les femmes sont aussi connes que les hommes dans l’ensemble. Par contre, je suis contre toutes les injustices, mais je ne me définirais pas comme féministe. Pour en revenir aux réactions que le film a déclenchées, on s’attendait pas à passer au JT par exemple. En plus, on était vraiment déjà brisées toutes les deux nerveusement. C’est très fatigant de faire un film, encore plus celui-ci. Même avant le début du tournage, pendant la préparation, il y avait au moins une catastrophe par semaine !

C’était l’enfer ! Donc à la fin du tournage, on était sur les genoux, le montage, c’était encore un grand moment de panique. Nous étions terrorisées jusqu’à la sortie, donc la promo, du coup c’était affreux à vivre pour nous… Et quand est arrivée l’interdiction, on n’était plus en état de faire quoi que ce soit. Tout ça c’était vraiment très très violent et perturbant, on commence juste à s’en remettre. BAISE MOI a été tourné il y a un an maintenant, et pour nous ça ne s’est fini mentalement qu’en février, quand nous sommes parties au Japon. En fait on ne pouvait pas faire le deuil de tout ça, c’était comme un accouchement raté.

Pourtant dans les médias grand public, on voit de plus en plus d’images violentes ou pornographiques, dès lors, c’est un peu paradoxal de s’attaquer à BAISE MOI !

Je pense qu’on a franchi trop de frontières d’un coup : la représentation du sexe à l’écran, la violence, que les personnages soient des filles, ça a dû aussi beaucoup compter, le fait que les deux réalisatrices venaient de nulle part, qu’elles n’aient pas fait d’école de cinéma, qu’elles ne font pas partie du « sérail » comme dit Virginie.

C’était de la jalousie ?

Non ! Mais il y avait trop de choses qui faisaient chier les gens…

Vous avez un peu jeté un pavé dans la mare du cinéma français…

On verra !

Tu n’en es pas persuadée !?

Vu les réactions, si ! Ca a quand même fait chier du monde ! Y’a des gens qui ont dit : « c’est un tout petit film de merde ! Ca n’intéresse personne. » Franchement on voit bien que non ! J’ai un dossier de presse d’une incroyable épaisseur, seulement pour la France, alors qu’il n’est même pas complet, du coup on peut pas dire que ça n’intéressait personne.

entretien avec coralie trinh thi retour sur baise moi 2

A propos de la polémique autour du film, il y a eu un grand dossier contestable dans un journal dit de gauche, Le Nouvel Observateur. Est-ce que tu aurais deux mots à leur dire ?

Très bizarrement, c’est cet article qui m’a permis de prendre du recul avec la presse. On nous a vraiment craché dessus de tous les côtés. On a fini par douter de nous-mêmes, c’était vraiment bizarre, et l’article du Nouvel Obs était tellement crétin (rires), on ne suit vraiment pas du tout leur argumentaire, finalement je me suis dit « c’est vraiment eux qui ont un problème ! » L’accroche, c’était « pornographie et violence, le droit de dire non ! » et le visuel, c’était une femme en sous-vêtements avec un gun (Karen).

C’était vraiment le comble de la tartufferie ! Ensuite le journaliste se permettait de faire un dossier sur un film qu’il n’avait pas vu (véridique, NDR). Ca, c’était absolument incroyable. On s’en rend compte dès le deuxième paragraphe puisqu’il fait un résumé du livre et non pas du film… Et il nous pond un gros, gros dossier. Voilà comment la France est transformée par des journalistes qui racontent n’importe quoi. On ne sait pas pourquoi, c’est pas…… (Coralie s’interrompt un long moment pour réfléchir)…

De toute façon n’y a plus de gauche en France ! (fou rire général) Enfin lui, c’était le comble du crétin. Après dans son article, il fait un parallèle avec le cinéma américain. Ensuite il parle vaguement des fait divers engendrés par l’influence du cinéma. Au final, il expliquait que le cinéma n’était pas la cause de tous ces drames etc… C’était vraiment un bordel incroyable ! Faire circuler des fausses idées, émettre le doute… Je ne sais pas quoi dire au Nouvel Obs, j’ai honte pour eux…

Je me souviens qu’un peu plus loin, dans le même numéro, ils faisaient l’apologie de Marie Sarah, la femme qui fait de la tauromachie à cheval. Du coup, il n’y avait plus de distinction entre la violence réelle et la violence de fiction !…

Ils sont complètement cons dans l’ensemble, d’une bêtise énorme, c’était hypocrite et ambigu cet article. Se faire traiter de fasciste… Si quelqu’un a compris son argumentaire, qu’il m’explique… Ca tenait pas debout. Ce qui m’a le plus choquée, c’est tout le dossier sur les films américains et sur les faits divers qu’ils auraient entraînés. Après ça, en tout petit plus loin, il écrit que tous les psychologues sont d’accord pour dire qu’il n’y a aucune relation de cause à effet…

Pour changer de sujet, dans BAISE MOI on peut apercevoir un extrait de SEUL CONTRE TOUS le film de Gaspar Noé. Qui a eu l’idée de mettre cet extrait à cet endroit du film ? Et pourquoi ?

Ce qui s’est passé, c’est que dans le story board, ils étaient censés regarder la TV, donc ça me semblait très très drôle d’avoir des mouvements de balancier en plan suggestif quand ils regardent la TV (le couple fait l’amour, NDR). Et le matin du tournage, on s’était aperçu qu’on avait rien à leur faire regarder à la TV (rires). Donc j’ai appelé Gaspar en catastrophe sur son portable. J’lui ai dit « Gaspar on a un problème, faut qu’elle matte la TV !

Et on a pas de film, toi t’es producteur de ton film, tu peux nous filer une K7 ? » Il nous l’a amenée tout de suite. Voilà comment ça s’est fait ! En visionnant la K7, on a choisi les extraits qui convenaient le mieux à la situation. Faut dire que le film, je l’avais déjà beaucoup vu aussi, donc on a choisi la scène des coups de poing dans le ventre et le découpage du saucisson (moments forts de SEUL CONTRE TOUS, NDR).

Et Gaspar n’aurait pas été là, vous auriez pris quoi ? (rires)

Je ne sais pas ! En fait Gaspar avait les droit de son film, et puis ça nous faisait vraiment plaisir de l’avoir… Pour les interviews, c’est devenu une private joke entre moi et Virginie. Si on a réussi à parler de Gaspar Noé, l’interview est réussie… Je plaisante, mais c’est vraiment super agréable d’avoir un bout de son film dans le nôtre.

Tu as tourné pour lui dans un court-métrage X, une production de commande pour Canal + !

En fait je l’ai rencontré pour ça, c’était assez drôle à faire, il me voulait moi… Je ne sais pas pourquoi. Il m’a donc contactée, il m’a prêté son film SEUL CONTRE TOUS et après l’avoir vu, je me roulais par terre en disant « Oui ! Oui ! Je veux le faire ! » (rires) Depuis, on le croise souvent avec Virginie.

Et elle, elle le connaissait avant ?

Non ! Mais elle connaissait ses films !

Le tournage de ce court proprement dit, c’était comment ?

Très bizarre, en fait ! Il y avait une trentaine de personnes sur le plateau. Normalement, il n’y a jamais autant de monde sur un tournage X. En plus, je pense que Gaspar était un peu gêné. Il n’osait pas trop me demander des trucs, du coup, ça me gênait aussi, j’osais rien faire, tout devenait artificiel. Il n’y avait plus rien de naturel pour personne.

Pour quelqu’un qui fait des film comme les siens, il a l’air très pudique, presque timide.

Je dirais plutôt qu’il a l’air fou ! (rires) Il parle tout doucement, très très vite, on est obligé de pencher la tête pour le comprendre. Je suis sûre qu’il adore ça ! (rires) Je suis même sûre que c’est une technique pour que les gens soient obligés de faire vraiment attention à ce qu’il dit !

En interview c’est un calvaire paraît-il !

Oui ! Oui ! Et au téléphone, c’est la même chose (rires) !

Tu as aussi tourné avec Marc Caro pour un court-métrage X. Sais-tu pourquoi ils t’ont choisie tous les deux ?

« Parce que j’suis vraiment trop bôônne ! » (fou rire général) Non, en fait, je ne sais pas du tout !

Peut-être parce que tu n’es pas chiante sur un tournage ?

Alors là non ! Je pense que je pourrais avoir le Hot d’or de la hardeuse la plus chiante ! Ils ont juste pas encore créé la catégorie (rires) ! Non, moi je suis la pénible de service, je veux savoir ce que je fais, avec qui, comment etc… Alors que ça ne se fait pas du tout de demander ça. Pour eux une actrice X pro, c’est une fille qui demande son tarif pour la journée et qui après fait ce qu’on lui dit, point barre ! Moi je ne suis pas tout à fait d’accord avec cette vision des choses.

Et avec Gaspar et Marc tu étais aussi « chiante » ?

Non ! Pas du tout ! Avec eux tout était préparé ! Donc le problème ne s’est pas posé ! Par contre, franchement, j’en ai jamais autant chié sur un plateau que sur celui de Marc Caro. C’était abominable, je suis sortie en pleurant… C’était surtout très dur physiquement. On travaillait devant un fond bleu. Dans la pièce, il faisait 50°. Je portais une perruque et un maquillage argenté qui me couvrait tout le corps, plus du latex, des bottes à talons aiguilles en vinyle que la chaleur faisait gonfler. J’avais des lentilles aussi qui me faisaient très mal aux yeux. Physiquement, c’était très éprouvant.

Et Marc faisait tout pour arranger les choses ?!

En réalité, il a juste demandé ce dont il avait besoin ! Il n’est ni sadique ni lâche ! Ce n’était pas de sa faute.

Tu as aussi joué dans SOMBRE et DEJA MORT !

Mais vous connaissez toute ma filmographie par cœur ? (rires)

On n’est pas cinéphiles pour rien !

Et est-ce que vous connaissez TERROR OF PREHISTORIK BLOODY CREATURE…

(en cœur) Bien sûûûr ! Richard J.Thomson ! Tu as dû beaucoup t’amuser avec lui !

Oui c’était assez crétin en effet ! (rires)

Donc, tu as fait plusieurs petits rôles dans des films français ! Comment tout ça est-il venu ?

J’en ai fait tout de suite un peu après avoir commencé le X. D’ailleurs, ça m’amuse beaucoup parce qu’il y a plein de nanas qui se mettent à faire du X pour espérer jouer ensuite dans des films « normaux » alors que moi j’ai rien demandé.

C’est donc des gens du cinéma traditionnel qui viennent spontanément te chercher !?

Oui, j’ai commencé avec EN AVOIR (OU PAS) de Laetitia Masson, puis il y a eu SOMBRE, DEJA MORT et ROMANCE. Mais à partir de là, c’était déjà plus courant de voir des actrices X dans des films traditionnels. Peut-être que mettre une actrice X dans un film, c’est le dernier truc un peu glamour ou subversif dans le cinéma français. En fait, je ne sais pas trop à quoi c’est dû.

Justement, il y a de plus en plus de films où on voit des scènes de sexe explicites, souvent dans des films d’auteurs. Qu’est-ce que tu penses de cette mode ?!

Oui ! Il y en a dans LA VIE DE JESUS par exemple, chez Gaspar Noé également… La différence entre ces films-là et BAISE MOI, c’est que dans ces films, le sexe est montré explicitement pour choquer le spectateur alors que dans BAISE MOI, on a intégré ces scènes dans la continuité du récit.

Dans BAISE MOI, ce n’était pas fait pour choquer ?

Pour le viol, oui ! Mais pas pour le reste !

Tu penses que c’est une mode qui va disparaître ?

Non ! Je pense surtout qu’il était temps ! C’est lié à l’évolution des mœurs, c’est dans l’air du temps. Il y a plus de 60 ans, au cinéma, on n’avait pas encore le droit de s’embrasser. Peut-être que maintenant les gens ont un rapport moins complexé avec la représentation du sexe, il serait temps ! A mon avis, ça aiderait vachement l’humanité dans l’ensemble.

Dans SOMBRE, tu joues la première victime du tueur en série. C’est une scène assez particulière, tant au niveau du traitement de l’image que du jeu des acteurs. Comment ça se passait concrètement sur le plateau ?

On a commencé par tourner cette scène-là, et ça faisait très peur à tout le monde, l’association de la nudité et de la violence etc… Ca a été tourné en équipe très réduite, à savoir : moi, l’acteur, le réalisateur, le chef op et les preneurs de son. On aurait dit qu’ils allaient tous se mettre à pleurer avant la scène alors que moi j’étais très très à l’aise (rires). Et puis il s’est passé un truc assez bizarre, y a eu un dérapage à un moment. Je ne sais pas qui en est à l’origine, si c’est le réalisateur ou l’acteur. Du coup, je faisais un peu la gueule en sortant du plateau et je pense en plus que ça n’a même pas été utile au film.

Que s’est-il passé ?

Il m’a enfoncé un doigt dans la chatte !!! C’était complètement déplacé et hors de propos ! Au final, on ne le voit même pas dans la scène. Si au moins le réalisateur ou l’acteur était venu m’expliquer que c’était pour une tension supplémentaire dans la scène, pour que je me défende un peu plus etc… Alors que ce n’était pas le cas et ça n’a même pas été monté. Mais mis à part ce dérapage-là, la scène a été simple à tourner. J’étais portée par l’ambiance, Marc (Barbè, acteur principal de SOMBRE, NDR) aussi.

Et le film, qu’en penses-tu ?

Il est pas mal ! Un peu étrange ! J’aime beaucoup la musique… C’est un film vraiment flou et étrange. Difficile de savoir ce qu’il a voulu dire vraiment. Je pense que le réalisateur ne le savait pas bien lui-même. Sur le tournage, on avait beaucoup discuté de la fin du film. Finalement elle a complètement changé… Mais ça reste un film très intéressant, avec de très beaux plans… Et je trouve que je meurs bien !

On ne t’a jamais proposé de rôle plus important au cinéma ? Tu parlais d’un projet avec Virginie ?

En réalité, ce projet-là est passé, j’ai directement enchaîné sur BAISE MOI, donc depuis personne ne m’a rien proposé.

Et pourquoi avoir choisi Karen et Raffaela pour le film ?

J’ai prêté EXHIBITION 69 à Virginie pour qu’elle me voie et au lieu de ne regarder que moi (rires), elle a vu Karen et Raf et elle a eu un flash pour les rôles de Nadine et Manu ! Au début, je trouvais ça bizarre mais en relisant le livre dans la foulée, j’ai bien compris son choix.

Tu ne cours donc pas après des rôles !?

Non ! Moi je ne cherche rien dans la vie en général ! (rires) Soit j’ai une idée et j’ai envie de la faire, soit on me propose un truc et ça me branche ou pas ! J’ai pas de plan de carrière. Je n’avais pas planifié de faire BAISE MOI un jour.

Quel est l’avenir du film à l’heure actuelle ?

C’est la merde ! (rires) On est sorti en vidéo très très vite, pour éviter un deuxième scandale… A mon avis, ça aurait remis beaucoup trop de choses sur le tapis… Un mois après la sortie du film à la location, on a reçu une jolie lettre du ministère de l’intérieur qui nous interdisait aux moins de 18 ans. On nous interdisait aussi toute publicité dans les lieux et espaces qui ne sont pas strictement réservés aux plus de 18 ans, ce qui peut d’ailleurs s’interpréter n’importe comment. Concrètement, ça nous a obligé à faire changer toutes les jaquettes des vidéos présentes dans les vidéoclubs. Heureusement qu’on a eu des soutiens au sein d’Universal pour nous sortir en vidéo, sinon personne n’aurait pris le risque. Par contre, pour ce qui est de la vente, je pense qu’on va être interdit de fait !

Pas officiellement mais dans la pratique, parce que personne ne voudra nous prendre. Je ne pense pas qu’il y ait des éthiques à respecter sur ce sujet chez Auchan ou à la Fnac, mais par contre pour eux, il y a des risques… Des associations comme « Familles de France » se servent de la loi sur le X pour faire interdire des jeux vidéos par exemple. Ils n’ont même pas besoin de faire de procès, ils téléphonent directement aux magasins en les menaçant de procès s’ils ne retirent pas tel ou tel produit des rayons. De toute façon, l’interdiction aux moins de 18 ans, pour nous, c’est une victoire au goût amer, c’est un palier d’interdiction supplémentaire qui ne change rien au problème.

Un petit mot à vos détracteurs pour finir !?

Écoute, le plus atroce pour moi ce serait d’être aimée par tout le monde, donc qu’on me déteste ça me va aussi ! (rires)

Propos recueillis par Johannes Roger et Jérôme Vincent


Acheter chez Metaluna, c'est soutenir Sueurs Froides - Merci !

BANDE ANNONCE :

Votre soif de lecture n'est pas rassasiée ?
Téléchargez les anciens numéros de Sueurs Froides


Inscrivez-vous à la liste de diffusion et accédez au
téléchargement des anciens numéros de Sueurs Froides :
- Une tranche d'histoire du fanzinat français
- 36 numéros de 1994 à 2010
- Près de 1800 films critiqués
Un index est disponible pour chercher un film ou un dossier
CLIQUEZ ICI.
Share via
Copy link