Couple in a hole

Un texte signé Sophie Schweitzer

Un couple britannique vit dans les montagnes pyrénéennes à la manière de l’homme de Cro-Magnon. Pendant que monsieur part chasser durant la journée, sa femme s’occupe des menus travaux, comme la couture, dans un trou à même la roche. Vivant là totalement coupés du monde, ils cherchent à disparaître, fuyant un traumatisme puissant: la perte de leur seul et unique enfant.

Tom Geens signe ici son premier long métrage dans une coproduction franco-britannique. En filmant ce couple revenu à l’état sauvage, il s’attache d’abord à montrer leur solitude, l’enfermement qu’ils subissent, rendu d’autant plus fort par ce trou formé à même la roche qui constitue un seul et unique espace où la femme se terre dans une quasi obscurité. La forêt, plus encore la montagne, vaste espace de liberté est à portée de main, et pour autant inaccessible à la femme qui est incapable de tenir plus de dix secondes debout, hors du trou. Un enfermement psychologique donc. Ils fuient toute présence humaine, mais aussi physique. Le spectateur n’apprendra que plus tard, la cause de cet enfermement et la raison du traumatisme.

Confronté au deuil qui les bouleverse, chacun n’a pas la même attitude. La femme réagit tel un animal blessé, terrée dans son trou, n’osant en sortir, effrayée par tout et surtout par la présence humaine qui la met face à sa perte, tandis que l’homme trompe la tristesse, la colère, les regrets, en s’attachant à s’occuper de sa femme, en adoptant ce rôle de chasseur, de mâle dominant que les circonstances lui donnent. Pour autant, quand un homme du village le surprend et tente de l’aider, le père fuit comme un animal, avant de finalement et progressivement accepter l’aide.

L’homme du village, ce français, est évidemment l’élément déclencheur qui, à son insu, va devenir le catalyseur de nombreuses choses. En effet, en le voyant aller mieux, on pourrait croire que l’homme affronte plus facilement le deuil, pour autant, il est incapable de percevoir l’esprit de son fils disparu tandis que la femme, elle, le sent. En réalité, c’est un processus différent que suit chacun, qui en passe par de douloureuses expériences et des affrontements.

Car étrangement, s’il y a beaucoup de sauvagerie, une sorte de retour à l’état naturel, il y a aussi une élégance, une finesse des émotions, une délicatesse dans la manière de filmer ces êtres confrontés à la douleur, la souffrance et la culpabilité. En les montrant tels des animaux blessés, il en fait des personnages forts, des humains qui tentent de se reconstruire, d’affronter le deuil, par un étonnant retour aux sources, qui, s’il paraît étrange au premier abord, en fin de compte est nécessaire.

Mêlant ces images assez sublimes du paysage avec celles plus vivantes d’une caméra portée suivant les personnages, Tom Geens parvient par sa mise en scène à susciter de vrais instants de cinéma comme cette séquence magique sous la pluie ou encore celle où l’esprit de l’enfant perdu se manifeste d’abord à sa mère puis à son père, moment hautement symbolique pour l’un comme pour l’autre, jusqu’à la fin, aussi sublime que déroutante.

Il y a quelque chose de déconcertant dans la manière dont COUPLE IN A HOLE ne dit rien, ne montre quasiment rien, mais amène le spectateur par les images, les incidents produits, par la mise en scène, à ressentir ce que perçoivent les personnages. C’est aussi l’énorme travail effectué par les acteurs (Kate Dickie, impressionnante en femme bourrée d’obsession convaincue de sentir l’esprit de son fils et Paul Higgins, fascinant dans son incarnation de l’homme sauvage) qui permet tout cela.

Avec originalité, Tom Geens s’attaque au deuil. En choisissant d’être au plus près des gestes, regards et attitudes de ses acteurs, quelque part, en reprenant les préceptes d’un Bresson, d’un acteur qui doit d’abord agir, synonyme d’action. Il donne une véracité puissante à l’histoire de ce couple en perdition confronté à un deuil impossible. Bouleversant, COUPLE IN A HOLE ne donne pourtant pas dans le pathos, mais fait ressentir, en faisant oublier sa caméra, nous plongeant dans un drame intimiste.

Un film maitrisé offrant là un vrai moment de cinéma, original dans son approche et sa mise en scène, envoûtant et qui ne laisse pas le spectateur indifférent.


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- Article rédigé par : Sophie Schweitzer

- Ses films préférés : Le bon, La brute et le Truand, Suspiria, Mulholland Drive, Les yeux sans visage, L'au-delà

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