Cran d’arrêt

Un texte signé Philippe Chouvel

Italie - 1971 - Duccio Tessari
Titres alternatifs : Una farfalla con le ali insanguinate, The Bloodstained Butterfly, Blutspur im Park
Interprètes : Giancarlo Sbragia, Ida Galli, Helmut Berger, Silvano Tranquilli, Carole André

Alessandro Marchi est un homme public animant une émission de télévision. Il vit confortablement dans une riche demeure, en compagnie de sa femme Maria et de sa fille Sarah, dix-sept ans. Au sein de cette famille typiquement bourgeoise gravitent quelques amis comme Giulio Cordaro, brillant avocat, et dont le fils Giorgio sort avec Maria. Celle-ci a pour amie une étudiante française de son âge, Françoise Pigaut.
L’existence paisible de chacun est perturbée lorsque le corps de Françoise est retrouvé dans un parc, lardé de cinq coups de couteau. Commence alors une enquête minutieuse de la police. Très vite, des preuves accablantes conduisent à l’arrestation d’Alessandro. Giulio va assurer sa défense…
Scénariste et réalisateur, Duccio Tessari s’est fait connaître grâce à un peplum, LES TITANS. Il bifurque ensuite dans le western-spaghetti, toujours en compagnie de Giuliano Gemma, avec le diptyque UN PISTOLET POUR RINGO/LE RETOUR DE RINGO. C’est d’ailleurs à travers ce genre cinématographique que le cinéaste va se montrer le plus à l’aise (VIVA LA MUERTE… TUYA). Au début des années 70, la mode est au giallo, et Tessari, comme beaucoup d’autres, ne va pas échapper à ce courant en vogue. Dans la lignée de tous les films comportant un nom d’animal dans leur titre (L’OISEAU AU PLUMAGE DE CRISTAL étant passé par là), Duccio Tessari opte quant à lui pour le papillon. Comme souvent, l’animal en question n’a qu’un rapport éloigné avec le film, et le lépidoptère n’apparaît ici qu’à travers un miroir ornementé dans la chambre de Giorgio, ou un objet décoratif dans la vitrine d’un magasin.
CRAN D’ARRET se scinde en plusieurs parties très distinctes. La première permet de présenter (trop vite) les principaux personnages, d’enchaîner sur le meurtre de Françoise conduisant à l’enquête de la police, bouclée en moins de vingt-cinq minutes. Suit le procès d’Alessandro, l’audition des témoins, et l’accusé reconnu coupable du meurtre de l’étudiante. On en est à la moitié du film, et à ce moment le spectateur se demande s’il y a ou non erreur judiciaire, dans la mesure où le réalisateur s’est évertué à faire de Giorgio un suspect idéal, de par son profil psychologique ô combien tourmenté. Enfin, la troisième partie démarre par un coup de théâtre : l’assassinat d’une prostituée, selon un mode opératoire similaire au premier meurtre. Alessandro est remis en liberté, la police est obligée de reprendre son enquête à zéro, jusqu’au dénouement final.
Dans le fond, CRAN D’ARRET est intéressant à plus d’un titre. Il permet d’appréhender l’enquête sous un jour différent, en s’attardant sur le travail effectué par la police scientifique, comme le fera plus tard Mario Caiano dans …A TUTTE LE AUTO DELLA POLIZIA. On a affaire à des flics scrupuleux, méthodiques, un passage par le tribunal, et une réelle incertitude quant à savoir si le personnage d’Alessandro est vraiment coupable.
Dans la forme, le résultat s’avère plutôt bancal. On a le sentiment que Tessari a hésité tout le long du film entre deux styles : le cinéma de genre auquel il appartient, et le cinéma d’auteur auquel il essaie de ressembler à travers cette œuvre qui s’apparente en fait presque plus à une étude de mœurs, une satire de la bourgeoisie qu’à un thriller pur et dur. Le cinéaste s’attache en effet à gratter le vernis de la haute bourgeoisie, et mettre à jour ses travers (la cupidité, l’infidélité, le conflit de générations…). Mais contrairement à ce que fera un Tonino Valerii dans FOLIE MEURTRIERE (à savoir un véritable thriller), Tessari reste « le cul entre deux chaises », et semble vouloir « tutoyer » des pointures comme Dino Risi, auteur en cette même année (FOLIE MEURTRIERE date aussi de 1971) de AU NOM DU PEUPLE ITALIEN, dans lequel un magistrat soupçonne un industriel influent d’avoir tué une call-girl.
C’est dommage, car le film se montre efficace par intermittences. Par exemple, le recours aux flashbacks lorsque les policiers tentent de reconstituer l’emploi du temps de l’étudiante juste avant sa mort s’intercalent fort bien avec le retour au présent. De même, le procès constitue un temps fort de par sa structure journalistique, proche du reportage, qui évite la surabondance de coups de théâtre. De plus, la joute oratoire que se livrent les deux parties est assurée par deux ténors du cinéma germanique : Günther Stoll et Wolfgang Preiss, impeccables dans leurs rôles respectifs d’avocat de la défense et de procureur.
Et puisque l’on évoque le casting, il faut souligner le jeu tout en finesse et sobriété de Giancarlo Sbragia, la composition subtile d’Ida Galli en bourgeoise oisive, et les performances des divers seconds rôles, qu’il s’agisse de Silvano Tranquilli ou Carole André. Seul Helmut Berger paraît un peu effacé, bien qu’incarnant un personnage tourmenté. Et un Helmut Berger effacé ne peut que décevoir, comme un Klaus Kinski transparent, tant on a été habitués à voir ces deux acteurs aller au-delà de ce qu’on leur demandait.
Enfin, la musique de Gianni Ferrio (LA MORT CARESSE A MINUIT) est tout simplement somptueuse. Le compositeur a travaillé en plusieurs occasions pour Duccio Tessari, notamment pour L’HOMME SANS MEMOIRE, autre thriller du cinéaste qui laisse une impression d’inachevé.
Dommage, donc, que Duccio Tessari, dans un souci de réalisme à tous crins, finisse par faire ronronner son film, et le rendre ennuyeux en enlevant tout aspect spectaculaire que le spectateur est en droit d’attendre dans un giallo. La manière dont les trois meurtres sont retranscrits à l’écran est l’exemple le plus frappant : trois crimes à l’arme blanche, hors-champ, on ne peut plus bâclés à l’exception du premier, où l’on voit Carole André dévaler lentement une pente après avoir été frappée. Et si le réalisateur tente un coup de poker dans le final, on a cependant l’impression d’être passé à côté d’un très bon film.


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- Article rédigé par : Philippe Chouvel

- Ses films préférés : Femina Ridens, Les Démons, Danger Diabolik, L’Abominable Docteur Phibes, La Dame Rouge Tua 7 Fois

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