Un texte signé Sophie Schweitzer

review

Crimson Peak

En Amérique, au XIXe siècle, la jeune Edith Cushing veut devenir romancière. Fille d’un industriel devenu milliardaire, refusant le rôle de riche héritière, elle souhaite être une femme forte et indépendante. Nourrissant une attraction pour les fantômes et les histoires fantastiques, elle espère voir son manuscrit publié, mais se heurte aux refus polis. En rendant visite à son père à son travail, elle fait la connaissance du beau baronnet Thomas Sharpe. Celui-ci la séduit contre l’avis de sa sœur, l’inquiétante Lucile Sharpe, et surtout contre l’avis du père d’Edith. Celle-ci, devenant orpheline après un curieux accident, épouse Thomas et embarque avec lui pour l’Angleterre.
Se retrouvant dans l’imposante maison familiale des Sharpe, dont l’état de décrépitude semble enchanter l’âme romanesque de la jeune femme, Edith tente de se faire au mode de vie bien différent des Sharpe. Dans cette demeure qui littéralement s’enfonce dans le sol rouge d’argile, éloignée de tout, la jeune Edith va vite se rendre compte que, comme la maison, l’homme qu’elle a épousé a un lourd passé qui hante les murs délabrés de la bâtisse.

Le réalisateur de CRIMSON PEAK, Guillermo Del Toro n’est guère un débutant dans l’univers fantastique où il s’immisce régulièrement. Son premier film était une histoire de vampires échappant aux codes du genre et son troisième film L’ÉCHINE DU DIABLE était une histoire de fantômes torturés durant la guerre civile espagnole. La scène de la douche de sang dans BLADE II, qu’il a ensuite réalisé, marquera fortement les esprits et LE LABYRINTHE DE PAN est sa première immersion dans l’univers de la fantasy qu’il renouvellera avec HELLBOY. Non, le bonhomme s’y connaît. Toute sa filmographie tourne autour des monstres, et comment ceux-ci nous montrent nos propres réflexions, nos propres défauts, travers et démons. Véritable auteur, le réalisateur mexicain évoque dans chacun de ses métrages tout un bestiaire et des univers fantasmés qui lui ont octroyé rapidement un bon groupe de fans.

Après le succès du film LE LABYRINTHE DE PAN, Guillermo Del Toro est contacté sur le tournage de PACIFIC RIM par la société Legendary Pictures qui souhaite produire son prochain métrage. C’est d’abord sur un projet d’adaptation de la nouvelle de Lovecraft : Les Montagnes hallucinées que le réalisateur mexicain planche. Bien que soutenu par Tom Cruise, le projet n’aboutira jamais. Après plusieurs évocations de projets, c’est finalement un script sur lequel il avait travaillé avec Matthew Robbins après la sortie de son film LE LABYRINTHE DE PAN qui est choisi. À l’origine le casting comprenait Emma Stone pour le rôle d’Edith et Bennedict Cumberbatch pour le rôle de Thomas, mais l’un et l’autre quittent le projet. Le tournage débute enfin en 2014.

Bien que le budget soit trois fois inférieur à celui de PACIFIC RIM, le soin apporté par le réalisateur aux décors aussi bien qu’aux costumes donne au métrage une beauté intemporelle des films classiques. Et c’est d’ailleurs là-dessus que la communication sera faite. Guillermo Del Toro est un cinéphile, plus encore, un amoureux du film de genre. C’est l’image rouge et verte des gialli (films d’horreur italiens des années 70) qu’on retrouve. La référence au cinéma de Mario Bava (OPÉRATION PEUR) autant qu’à celui de Dario Argento (SUSPIRIA et INFERNO) est suggérée dans la lumière assez sublime du film. Quand aux classiques du genre, LES INNOCENTS, LA MAISON DU DIABLE, c’est dans une mise en scène classique qu’on les retrouve même si la caméra de Guillermo se déplace peut-être un peu trop pour cela.

Concernant le script, il fait bel et bien référence aux classiques du roman gothique, l’on pourrait citer Rebecca de Daphné Du Maunier aussi bien que Les Hauts de Hurlevent d’Émily Brontë. Et l’on voit d’autant plus leur empreinte dans le caractère enfantin et naïf de l’héroïne face aux personnages torturés que sont les Sharpe. L’histoire de leur famille nous plonge dans un monde triste et cruel comme celui auquel sont confrontées les jeunes ingénues qui peuplent les romans gothiques. Plus encore que l’héroïne, ce sont les Sharpe, les deux monstres de l’histoire qui fascinent, comme toujours avec Guillermo Del Toro.

Thomas et Lucile Sharpe sont inspirés en grande partie de l’histoire du couple de tueurs dit de la lune de miel qui aura inspiré par cinq fois le cinéma. Néanmoins, le film s’éloigne du fait-divers pour ne garder que l’essence de ce couple torturé et tortionnaire. C’est le romanesque de ce couple qui ne s’aime qu’en tuant que dépeint CRIMSON PEAK. Plus encore, c’est le protagoniste de la sœur, Lucile, qui fascine visiblement le cinéaste autant que le public. Jessica Chastain interprète d’ailleurs de manière étonnante ce personnage bien éloigné de ses rôles habituels. On reconnaît là l’amour inconditionnel de Guillermo Del Toro pour les monstres puisqu’il laisse la part belle au personnage de Lucile pour exprimer la profondeur de sa fêlure. Et le monstre qu’il dépeint au début, avec ses clés, son air austère, sa manière d’apparaître dans l’ombre et le silence, sorte de matrone inspirée du personnage de la belle-mère dans les contes de fées, n’en est que plus touchant quand les masques tombent.

Sans en révéler plus, autant le dire tout net, CRIMSON PEAK est loin d’être aussi intense que l’était LE LABYRINTHE DE PAN. Infiniment plus intimiste que la plupart de ses films à gros budget tournés à Hollywood, CRIMSON PEAK est marqué par ses nombreuses références, un amour du genre, mais aussi du romanesque. Le film en dépit de l’atmosphère et de son histoire pourtant lourde et pesante, reste somme toute léger, avec une certaine douceur presque enfantine. Si l’on n’y retrouve pas la cruauté de L’ÉCHINE DU DIABLE, en revanche, il y a toujours un élément en lien avec l’enfance et une réalisation puissante. Guillermo Del Toro nous raconte au bout du compte quelque chose de nouveau et de différent, peut-être un apaisement avec ses propres démons.


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- Article rédigé par : Sophie Schweitzer

- Ses films préférés : Le bon, La brute et le Truand, Suspiria, Mulholland Drive, Les yeux sans visage, L'au-delà

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