Croisière dans le Temps

Un texte signé Patryck Ficini

Véritable romancier populaire, Richard Bessière a beaucoup écrit pour le Fleuve Noir : de l’espionnage (les LECOMTE de F. H. Ribes, c’était lui) pour plus de 80 titres, et la science-fiction qui le rendit célèbre – près de 100 volumes !
CROISIERE DANS LE TEMPS appartient à la seconde catégorie d’ouvrages. Pour Bessière, après des débuts très classiques placés sous le signe du space-opera, ce roman est le premier à aborder le voyage dans le temps, avec un style d’écriture moderne et dynamique , dans le plus pur style «roman noir».
On lira à ce sujet le passionnant UNE ROUTE SEMEE D’ETOILES, à l’Oeil du Sphinx.
Tout le début est en effet digne d’un roman d’aventures exotiques. Un homme traqué pour un crime qu’il n’a pas commis, la fuite en Amérique du sud, la rencontre avec une prostituée au grand coeur dont il s’éprend aussitôt… L’écriture est sèche, sans fioriture inutile, c’est un régal d’efficacité absolue.
Après avoir capturé le policier qui le pourchassait, l’anti-héros crashe son avion dans un coin paumé. Les deux hommes et la prostituée tomberont bientôt aux mains de deux savants (dont au moins un demi fou) inventeurs de robots, de désintégrateurs et d’une machine à explorer le temps. Pour ce faire, ils utilisent des cobayes humains sélectionnés parmi la population indigène. Malgré leur effroi légitime, nos héros n’en tombent pas moins sous le coup de la fascination pour le génie des scientifiques totalement amoraux. Seule la science compte ; et à travers elle l’expérimentation au-dessus des lois humaines. Au-delà du bien et du mal.
Roman noir d’aventures, roman de savant fou très années 50 (comment leur échapper ou les vaincre ?), CROISIERE DANS LE TEMPS ne fait évidemment pas mentir son titre et se pare vite des atours du roman de voyage temporel lorsque savants et prisonniers remontent le temps pour prouver l’innocence de l’accusé en fuite (fort ingénieusement, la science-fiction se lie ici étroitement à l’intrigue policière de départ).
L’expérience s’avérant concluante, ils partent en expédition pour… empêcher Ravaillac de tuer Henri IV ! Le but du savant fou en chef : permettre au roi survivant miraculeusement d’apporter la paix à l’Europe d’alors et ainsi de favoriser le développement de la technologie la plus sophistiquée. On nage en plein roman (pseudo) historique, genre où oeuvra aussi Bessière. C’est bien fait et bien vu.
Vaste projet !
Qui réussit très bien jusqu’à un certain point : quelques siècles plus tard, les hommes continuent à s’entretuer en bénéficiant des moyens les plus modernes ! Belle différence, beau progrès…
CROISIERE DANS LE TEMPS est un charmant petit roman de SF où règne l’aventure, les bonnes idées… et une certaine naïveté aussi, à vrai dire rafraîchissante : l’amitié virile entre le flic et sa proie, l’amour trop rapide entre l’innocent et la prostituée forcément bien brave… En même temps, Bessière n’a que 150 pages à sa disposition, il est contraint de faire vite, très vite. L’avantage ? pas le temps de s’ennuyer, pas une page de trop. L’inconvénient ? les esprits chagrins reprocheront psychologie sommaire et déroulement trop rapide des péripéties, notamment temporelles.
Pour finir, quelques lignes du début digne d’un film noir des années 40 (ou d’un Espionnage Fleuve Noir de la même époque !) :
« La pluie crépitait sans arrêt et ses mille petites lances semblaient rebondir sur le sol glissant. L’homme, après s’être abrité tant bien que mal sous une porte cochère, releva le col de son veston et sembla hésiter une fois encore sur la direction à prendre. » (P. 7)