Cul-de-sac

Un texte signé Nassim Ben Allal

Royaume-Uni - 1966 - Roman Polanski
Interprètes : Françoise Dorléac, Donald Pleasance, Jacqueline Bisset, Lionel Stander

Financé grâce à l’argent récolté par le succès public et critique de REPULSION, CUL-DE-SAC est le troisième film de Roman Polanski, dont le scénario est co-signé par celui qui deviendra son complice d’écriture, Gérard Brach. Loin de l’horreur psychologique de son précèdent effort, ce Polanski est un film plus encore plus subtil, dépeignant le quotidien de personnages qui s’enferment eux-mêmes dans leur propre liberté. Un principe contradictoire, déjà effleuré dans REPULSION.
Blessés suite à un casse qui a mal tourné, deux gangsters pas très doués tombent en panne de voiture sur une presqu’ile. Alors que la marée monte, ils trouvent refuge dans la seule propriété du coin, un château habité par un jeune couple…
Sans vouloir se complaire dans la comparaison, REPULSION posait les bases d’une nouvelle vision de l’horreur, plus axée sur la psyché des personnages, offrant ainsi des prémices au chef d’œuvre polanskien que constitue ROSEMARY’S BABY. Là où REPULSION était un film novateur dont le principe a été copié des dizaines de fois par la suite, CUL-DE-SAC s’inscrit lui dans un courant qui faisait fureur à l’époque, celui de la Nouvelle Vague. Si ce terme existe déjà depuis 1957, année où il apparait pour la première fois dans un article de L’EXPRESS signé Françoise Giroux, CUL-DE-SAC en présente tous les attributs…qui peuvent, de nos jours, passer pour d’irritants partis pris de storytelling. En effet, ici, les personnages, du moins celui du jeune couple interprété à merveille par Françoise Dorléac et Donald Pleasance (période pré-Dr Loomis) sont libres, du moins en apparence, et tiennent à le montrer : jeu un peu foufou des comédiens, jeux un peu dingos du couple. Cependant, cet aspect joyeux et insouciant est régulièrement tempéré par des éléments qui tendent à montrer qu’au final, la situation n’est peut-être pas si idyllique. La femme est amoureuse de son mari ? Elle semble pourtant très attachée à un jeune et beau garçon des environs…Tous les châtelains sont fortunés ? Bizarre alors qu’il n’y ait que des œufs dans le frigo…Ainsi, à travers une mise en place qui correspond au ton de la Nouvelle Vague, Polanski se gausse et pousse la réflexion encore plus loin, renvoyant les réalisateurs français de l’époque à leurs travers finalement petits bourgeois malgré leur volonté effective de lutter contre un « cinéma de papa », pourtant fournisseur de grand classiques. Polanski n’entre pas dans le débat et se sert uniquement de l’esthétique à la mode en Europe dans les années 1960 pour raconter une histoire pleine de faux-semblants, ou chaque parole est contredite par des actes…et les actes par des paroles. Ce fragile équilibre va finir par voler en éclat avec l’arrivé d’un puis de deux malfrats qui, s’ils ne sont pas doués, ont quand même les pieds sur terre et le recul nécessaire pour pointer les dysfonctions du couple. Sans dévoiler les tenants et aboutissants de l’intrigue, disons que cette presqu’île est un cul-de-sac au sens propre pour les malfrats et au figuré pour le couple et qu’au final, tous prendrons conscience qu’ils n’ont cru qu’à leurs propres mensonges. Malgré des conditions de tournage très difficile, tant d’un point de vue météorologique qu’humain, Roman Polanski livre un film en apparence léger qui sonde l’âme humaine de manière bien plus fine qu’il n’y paraît. Troisième long-métrage, troisième chef d’œuvre ?


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- Article rédigé par : Nassim Ben Allal

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