Dead Man’s Shoes

Un texte signé Frédéric Pizzoferrato

Grande-Bretagne - 2004 - Shane Meadows
Interprètes : Paddy Considine, Gary Strecth, Tony Kebbel, Jo Hartley, Seamus O'Neill

Richard, un ancien soldat, revient dans son village, hanté par le souvenir de son frère handicapé mental. Des années plus tôt, celui-ci a été humilié et brutalisé par quelques voyous locaux et, suite à cette violence, il s’est suicidé. Richard va, très méthodiquement et très froidement, se venger…
DEAD MAN’S SHOES est l’exemple typique du petit film indépendant qui ne paye pas de mine, avec son scénario en apparence simpliste (RAMBO rencontre RAIN MAN? Presque!), mais les apparences sont trompeuses. Certes, l’intrigue possède l’apparence typique du thriller de revanche mais, dans sa description méthodique des faits, dans son absence de jugement tranché sur les protagonistes et son refus du sensationnel au profit d’une violence sèche et sans concession, l’ensemble se rapproche bien davantage de la trilogie coréenne débutée par SYMPATHY FOR MISTER VENGEANCE que des actioners de pur divertissement comme UN JUSTICIER DANS LA VILLE.
Pour parvenir à ce résultat très naturaliste, le cinéaste Shane Meadows use d’un style épuré, quasiment documentaire, qui s’apparente à une prise sur le vif de faits divers, avec des dialogues spontanés, peut-être improvisés. Attention, d’ailleurs, pour les non-anglophones: la compréhension de certaines répliques n’est pas évidente tant nous sommes loin d’un anglais scolaire mais, heureusement, la simplicité de la trame permet de suivre le métrage sans beaucoup de difficultés.
Le métrage ne néglige pas, malgré tout, un certain humour très noir au détour de l’une ou l’autre scène, mais l’impression générale demeure celle d’un désespoir complet, d’un pathétique achevé, jusqu’à une conclusion très forte et sans concessions.
Shane Meadows nous invite donc à une plongée dans un univers violent et réaliste, aussi éloigné que possible de l’humour décomplexé prôné par Tarentino et ses suiveurs. Pas question de transformer la brutalité en un simple exercice de style. Bienvenue dans un monde sans pitié où les balles de révolver font vraiment mal et où la mort n’est pas un sujet de dérision, même si un ou deux passages sont traités avec un certain second degré qui risque de faire grincer quelques dents.
L’atmosphère est également bien rendue par une bande originale utilisant de nombreuses chansons adéquatement et avec une efficacité maximale. La musique proprement dite est due en partie au fameux DJ, musicien et remixeur techno Richard James, plus connu sous son pseudonyme de Aphex Twin.
Au niveau des acteurs, Paddy Consandines, qui reçut d’ailleurs des prix d’interprétation pour son rôle, montre un talent extraordinaire et nous invite à le suivre dans un périple où le pardon n’a pas droit de citer. “We’re on the road to nowhere”, comme le chantaient les Talking Head. Paddy Consandines incarne donc cet être meurtri, nourri par une haine incroyable, aussi monstrueux qu’attachant. Peu d’espoir de rédemption donc pour ce personnage au bord du gouffre qui rappelle un peu le TAXI DRIVER ou le BAD LIEUTENANT: il a sa propre conception de la morale, sa propre justice. La phrase en exergue (“Dieu leur pardonnera et les laissera aller aux cieux… moi je ne peux le permettre”) résume parfaitement les pensées de cet anti-héros. Mais les autres protagonistes sont également joués avec force et conviction, de manière très vraie, sans doute en laissant largement place à l’improvisation mais avec une énergie et une conviction jamais démenties. De pauvres types qui sont, sans hésitations possibles, bêtes et méchants et probablement d’ailleurs plus bêtes que méchants. Même s’ils sont pitoyables et médiocres, ils restent finalement des êtres humains, loin des crapules irrécupérables ou des violeurs bestiaux dépeints dans la plupart des “revenge movies”.
Les paysages utilisés renforcent, eux aussi, cette impression de se trouver perdu dans le trou du cul du monde, dans un environnement désolé et isolé, un de ces bleds où il ne se passe jamais rien. Et où, paradoxalement, on se dit que tout peut arriver.
En dépit de certaines défaillances techniques mineures qui, en fait, ne font que renforcer le côté “sur le vif” de cette intrigue, DEAD MAN’S SHOES est un gros uppercut en pleine face. Pas spécialement divertissante ou agréable à vivre, plus dérangeante que rassurante, l’expérience demande un certain investissement personnel et peu en choquer certains. Mais elle mérite sans doute d’être vécue pour tous ceux qui désirent voir une belle relecture d’un thème éternel du cinéma, peut-être le plus riche et le plus beau: la vengeance!
En un mot, Sympathy For Mr Richard et bravo à Paddy Consandines et Shane Meadows pour cette belle réussite ficelée avec des moyens minimalistes: le cinéma de genre et le film d’auteur se sont rarement épousés avec une telle frénésie sous la couette!


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- Article rédigé par : Frédéric Pizzoferrato

- Ses films préférés : Edward aux Mains d’Argent, Rocky Horror Picture Show, Le Seigneur des Anneaux, Evil Dead, The Killer

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