Dementia 13

Un texte signé Clément X. Da Gama

USA - 1963 - Francis Ford Coppola
Interprètes : Luana Anders,William Campbell,Bart Patton

Louise, une femme aussi belle que vénale, tente par tous les moyens de s’approprier la fortune de sa belle-famille. Elle découvrira à ses dépens combien le passé des Haloran est, à l’image de leur château, mystérieux et dangereux.

DEMENTIA 13 a été produit par le mythique Roger Corman. Réalisateur de films d’horreur cultes comme LA PETITE BOUTIQUE DES HORREURS, LA CHUTE DE LA MAISON USHER et LA TOMBE DE LIGEIA, Corman est également célèbre pour avoir produit de jeunes cinéastes qui, des années plus tard, seront mondialement reconnus. Parmi eux, citons Martin Scorsese (TAXI DRIVER), Joe Dante (PANIC SUR FLORIDA BEACH), Jonathan Demme (LE SILENCE DES AGNEAUX) ou bien encore notre éternel Richie Cunningham, alias Ron Howard (WILLOW). A cette liste déjà bien pourvue, nous devons ajouter le nom de Francis Ford Coppola : metteur en scène des monuments APOCALYPSE NOW, DRACULA et de la trilogie du PARRAIN, Coppola a lui aussi fait ses armes chez le père Corman avec des films qui ne jouissent pas d’une réputation très flatteuse. DEMENTIA 13 reste, à ce jour, le métrage le plus facilement trouvable de cette « période Corman ».

Le moins que l’on puisse dire, c’est que DEMENTIA 13 n’est pas une œuvre spécialement originale, tant les emprunts scénaristiques sont nombreux. En premier lieu, le film de Coppola surfe sur la vague des films de maison hantée des années 1960. Notamment initiée par LA NUIT DE TOUS LES MYSTERES de William Castle, cette tendance trouvera son apogée avec LA MAISON DU DIABLE de Robert Wise sortie sur les écrans en 1963, la même année que DEMENTIA 13. On retrouve dans le film de Coppola tous les tropes (ou presque) du genre : la prédominance d’un lieu vaste et inquiétant, le château Haloran, dans lequel les personnages sont lentement mais surement la proie d’une menace (peut-être) surnaturelle ; la tension savamment entretenue entre une explication rationnelle des évènements et une autre fantastique ; le passé (familial) qui ne passe pas et qui fait retour en la personne d’une petite fille décédée des années auparavant. Si Coppola remplit parfaitement le cahier des charges en offrant au spectateur féru de maison hantée son quota de portes qui grincent et de pièces interdites, on peut déplorer qu’un tel génie du 7ème art n’ait pas davantage cherché à dépoussiérer les clichés du genre, reprenant sans trop se fouler le travail précédemment accompli par Castle et Wise.

Deuxième emprunt, et pas des moindres, PSYCHOSE d’Alfred Hitchcock. Sorti en 1960, l’histoire de Norman Bates a traumatisé (et traumatise toujours aujourd’hui) bon nombre de spectateurs, dont Coppola. La première moitié de PSYCHOSE nous propose de suivre le destin de Marion Crane, une femme portée sur l’argent facile qui, après avoir dérobé un joli pactole, passe la nuit dans le sinistre motel Bates. Elle y fait la rencontre du timide (mais très charmant !) Norman, avant d’être sauvagement tuée lors de la célèbre scène de la douche. Marion est alors remplacée, en tant que centre organisateur du récit, par sa sœur Lila. Si PSYCHOSE recèle de nombreuses qualités esthétiques, il constitue surtout une expérience cinématographique brutale par l’éviction du premier personnage principal : à la moitié du film, Hitchcock ose l’impensable en tuant celle qu’il avait auparavant désignée comme l’héroïne, celle avec laquelle nous, spectateurs, étions sommés de nous identifier. Coppola, mi-roublard mi-flemmard, reproduit presque à l’identique le dispositif choquant de PSYCHOSE. La protagoniste Louise est, elle aussi, très intéressée par une fortune qui ne lui revient pas de droit : ses différentes actions sont uniquement muées par son avidité avant qu’elle ne se fasse violemment massacrer à coups de hache. A la suite de ce meurtre, la mise en scène s’organise autour de la sensibilité des autres personnages habitant la demeure hantée. Certes, DEMENTIA 13 n’est pas le seul film à avoir repris à son compte la « mise à mort hitchcockienne » de l’héroïne (à ce titre, mentionnons le savoureux et envoutant HORROR HOTEL/THE CITY OF THE DEAD) mais le fait qu’il s’agisse d’un film de Coppola rend la pilule difficile à avaler. Celui qui nous a offert CONVERSATION SECRETE, brillante analyse de la paranoïa et du flicage intensif de nos sociétés modernes, n’a pas toujours été le cinéaste original et frondeur que l’on s’imagine…

Dernière référence pour Coppola, REBECCA d’Hitchcock (encore lui !). DEMENTIA 13 donne une place prépondérante à un personnage invisible, Kathleen : morte alors qu’elle n’était qu’une enfant, Kathleen est un sujet de conversation récurrent pour sa mère et ses frères tandis que son portrait trône dans le salon familial, lui donnant une présence visuelle concrète pour les personnages et le public. Hantant l’esprit des vivants et les couloirs du château, elle influence depuis l’au-delà les différents drames qui se jouent. On ne peut alors s’empêcher de penser à la néfaste Rebecca de chez Hitchcock : elle aussi décédée « avant » le début du film, Rebecca continue malgré tout de traumatiser son pauvre mari et de commander les actes de la perfide domestique Mlle Danvers ; omniprésente dans la demeure de Manderlay par ses nombreux effets personnels, Rebecca influence depuis l’Enfer (là où est sa place !) le quotidien de ses anciennes connaissances et de la seconde madame de Winter. Ainsi, DEMENTIA 13 peut être considéré comme un assemblage de nombreuses références horrifiques des années 1940-1960, mais l’aspect « sous-PSYCHOSE » ou « sous-REBECCA » du film ne doit pas nous empêcher d’en relever les nombreuses qualités qui lui sont propres.

Coppola a, comme à son habitude, particulièrement soigné l’esthétique de son métrage. Malgré le budget ridicule de 40 000 dollars, DEMENTIA 13 brille dès son générique par le soin apporté à la musique. Lancinante, la composition musicale de Ronald Stein plonge le spectateur dans un bain sonore mélancolique et inquiétant, rendant sensible la souffrance provoquée par la mort prématurée de la petite Kathleen mais aussi sa possible présence dans les couloirs du château ancestral. L’image n’est pas en reste et l’on reconnait, lors de certaines séquences, le cinéaste maniaque du détail et orfèvre de la lumière qui nous a donné le magnifique DRACULA. Louise, peu de temps avant son assassinat, se rend dans la chambre de Kathleen : la composition du cadre enferme l’héroïne dans un univers enfantin et angoissant, où les jouets de la petite fille sont autant les témoins de son innocence passée que de sa menace fantomatique présente ; la photographie, tout en nuances de gris, construit l’espace comme un lieu hors du temps et menaçant. D’autres scènes témoignent du génie à venir de Coppola, notamment lorsque la caméra, fixée à une machine à écrire, filme en gros plan de manière ultra agressive le martèlement de la barre à caractère tandis que Louise écrit une lettre à sa belle-mère, ou bien encore lorsque la pauvre jeune femme nage dans un étang nimbé d’une lumière irréelle où elle y fait la rencontre de la petite Kathleen. Des séquences formellement très impressionnantes.

DEMENTIA 13 peut également être envisagé comme un prototype thématique de DRACULA. Dans son film de 1963, Coppola s’intéresse au deuil, et à la difficulté à vivre après le décès de l’être aimé. Kathleen est regrettée et pleurée par l’ensemble de sa famille qui ne semble pas pouvoir accepter son décès prématuré ; bien qu’elle ne soit plus de ce monde, elle continue de hanter la mémoire des personnes qui l’ont côtoyée et ce, jusqu’à les rendre psychologiquement instables et dangereux. On retrouve ici l’un des éléments phares de DRACULA. Vlad l’empaleur devient littéralement fou à la mort de sa bien-aimée Mina : il saccage une église, renie sa religion et devient, sous l’impulsion de cette douleur sentimentale inouïe, le monstre que l’on connaît tous ; plusieurs siècles après, il continue de chérir le souvenir de sa femme et de chercher, dans le présent, les traces de son amour passé. On le voit, si DEMENTIA 13 est une petite production Corman fauchée et pas forcément très originale, elle permet cependant à Coppola de développer une thématique personnelle qui reviendra dans la suite de sa filmographie.

Œuvre de jeunesse, DEMENTIA 13 ne peut qu’entraîner une certaine déception des spectateurs qui, habitués aux classiques de Francis Ford Coppola, ne retrouveront pas ici la maestria du PARRAIN. Il ne faut cependant pas être trop critique puisque, malgré ses nombreux emprunts, DEMENTIA 13 constitue un film de maison hantée honnête dont les qualités esthétiques sont évidentes ; un film qui, à coup sûr, séduira le public en manque de films d’horreur à l’ancienne. Quant aux fans inconditionnels de Coppola, ils peuvent eux aussi y trouver leur compte tant DEMENTIA 13 présente certains traits formels et thématiques que le réalisateur approfondira par la suite. Notons pour finir qu’un autre nom illustre figure au générique de ce film puisque l’homme en charge de la seconde équipe de tournage n’est autre que Jack Hill, futur réalisateur de SPIDER BABY, THE BIG DOLL HOUSE et FOXY BROWN. Roger Corman, décidément, a toujours su s’entourer de gens talentueux.


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- Article rédigé par : Clément X. Da Gama

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