Destination planète Hydra

Un texte signé Stéphane Bex

Un berger monté à cheval voit paraître dans le beau ciel nocturne de Sicile un ovni. Le cheval a peur, le berger aussi. Un mur s’écroule. Le berger s’enfuit. Dans la scène suivante, une jeune mannequin qui rêve de tourner pour le cinéma se trémousse en Vénus dans une mer de carton pâte. Le réalisateur est ravi, les techniciens distraits. Un jeune homme vient chercher la jeune fille ; elle l’amène dans sa voiture rendre visite à son père qui est professeur de physique dans une université mais qu’on consulte comme géologue. L’ovni, apprend-on, a laissé des traces avant de disparaître. On n’ a jamais rien vu de tel. Un laboratoire (une cabane grossière) a déjà été ouvert sur les lieux. Tout ce petit monde prend un hélicoptère pour s’y rendre. Vues en cartes postales de Rome. Puis une voiture sert de moyen de transport. Les Chinois sont sur le coup. Arrivés à la cabane, premières analyses. Une nuit, la terre tremble comme dans un film de Visconti. La jeune fille sort en nuisette. Aperçu affriolant de sa plastique. Le tremblement de terre a ouvert une brèche dans laquelle les aventuriers s’aventurent. Le vaisseau spatial était dessous. Retour en force des Chinois qui parlent leur langue natale comme des rastaquouères et veulent s’emparer de la découverte. Sortie des extra-terrestres en tissu lycra noir, vague écho aux vampires de Feuillade. Bagarre générale. Grâce à leurs armes sophistiquées à triple rafale bzoui-bzoui-bzoui, les extra-terrestres l’emportent et capturent les humains en otages. Allez, hop, tout le monde dans le vaisseau. Direction la planète Hydra.

Si on ne comprend rien à l’introduction de DESTINATION PLANETE HYDRA, œuvre dirigée par Pietro Francisci, un honnête réalisateur de péplums italiens (LA REINE DE SABA, LES TRAVAUX D’HERCULE), il serait vain de s’en formaliser et il vaudrait mieux y voir une raison supplémentaire du charme distillé par cette œuvre amusante et sans prétention. Sorti en 1966, le film marque la fin de la première période de la science-fiction italienne qui débute à la fin des années 50 avec LE DANGER VIENT DE L’ESPACE (Paolo Heusch) et s’achève avec BARBARELLA, tourné par Vadim mais produit par De Laurentiis. On y retrouve les caractéristiques habituelles de ce genre de production : petit budget, insertion de moments comiques, dimension sexuelle, scénarios invraisemblables et importance des techniciens et des effets spéciaux – qu’on pense aux deux réalisateurs phares que sont Margheriti et Bava. Francisci en cherche pas ici à innover mais recycle quelques idées en l’air ou déjà tournés comme le vaisseau enterré dans LE METEORE DE LA NUIT (IT CAME FROM OUTER SPACE, Jack Arnold) ou les humains amenés en otages dans LES SURVIVANTS DE L’INFINI (THIS ISLAND EARTH, Joseph M.Newman).
L’odyssée galactique des héros est loin cependant de composer l’essentiel du métrage qui s’attarde en son début à camper de manière facétieuse ses personnages et à démontrer l’artificialité de son intrigue comme de ses décors. Les vagues de carton au milieu desquelles la jeune Luisa évolue en Vénus anticipent en un sens la fiction münchhausienne de ce voyage incongru. On n’y croira qu’à la condition de vouloir y prendre du plaisir. C’est alors moins l’argument qui va compter que l’occasion qu’il offre aux personnages de se confronter et de se rencontrer. Le charme mutin et espiègle de Leontine May, fausse ingénue défilant en changeant de tenue à chaque scène du métrage, la froideur glacée traversée d’émotions subtiles de la belle Leonora Ruffo interprétant le commandant féminin alien font l’essentiel du film, opposées qu’elles sont à des acteurs masculins au jeu lisse et monocorde.
Léger sans être inconsistant, choisissant une voie esthétique minimale mais cohérente, alternant de façon frivole entre scènes romantiques et scènes d’action, le film de Francisci a le charme de ces anciens panoramas, larges peintures défilantes offrant des vues diversifiées, et qui ont été aussi les ancêtres du cinéma. Malgré son pittoresque de pacotille et son final à la tonalité plus sérieuse, il permet de renouer délicieusement avec une période dans laquelle la science-fiction ne faisait de la science qu’un habit carnavalesque et rendant les armes devant le divertissement de la fiction. On ne peut que louer Artus d’avoir fait redécouvrir cet inédit en France et attendre avec impatience les prochaines sorties de la maison.


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- Article rédigé par : Stéphane Bex

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