Un texte signé Jérôme Pottier

USA - 1973 - Gerard Damiano
Interprètes : Georgina Spelvin, Harry Reems, John Clemens, Marc Stevens, Levi Richards, Judith Hamilton, Erica Havens, Gerard Damiano

retrospective

Devil In Miss Jones

C’est en 1972 qu’un certain Gerard Damiano (1928-2008) va révolutionner l’industrie cinématographique avec le drolatique DEEP THROAT. Sa carrière est lancée avec cette farce qui voit la belle Linda dotée d’un clitoris buccal. Le long métrage, plutôt léger, est violemment attaqué par tout ce que les USA comptent de réactionnaires, l’acteur Harry Reems se voit menacé d’un séjour carcéral… pendant ce temps les spectateurs affluent en salle et le long métrage se trouve des soutiens de poids avec, entre autre, Warren Beatty (cf. le passionnant documentaire INSIDE DEEP THROAT de Fenton Bailey et Randy Barbato-2005). Il enchaîne, en 1973, avec une pelloche qui va surprendre le public comme la critique, le célèbre DEVIL IN MISS JONES.
Après un prologue intrigant sous forme de flashforward (un procédé narratif alors peu utilisé) qui voit une dépravée solliciter la fornication à un étrange personnage, le spectateur est confronté à un intérieur dépouillé. Justine, presque quarantenaire, contemple tristement son corps devant la glace. Ce dernier ne lui dit pas qui est la plus belle… il renvoie implacablement à Justine le reflet d’une vie sans chair doublée d’une existence sans plaisir, et surtout, sans amour. Nue, elle s’allonge dans une baignoire pour s’y taillader les poignets. L’eau devient rouge, le carmin pollue le blanc immaculé de la pièce. Puis c’est le blackout, Justine se réveille dans une pièce sombre. Un intérieur bourgeois dans lequel elle est confrontée à un mystérieux tentateur qui lui propose une cigarette. Elle est en fait aux portes de l’enfer (suicide oblige-et cela malgré une vie sans pêché !) mais le gardien du temple lui permet, durant un court laps de temps, de découvrir les plaisirs échevelés du plumard, ce dont la pucelle ne compte pas se priver…
Gerard Damiano livre, avec ce DEVIL IN MISS JONES, la première pierre d’une longue filmographie pornographique à consonance philosophique. Effectivement, le script mélange avec habileté JUSTINE du Marquis De Sade et HUIS-CLOS de Jean-Paul Sartre. DEVIL IN MISS JONES est un écho direct à la phrase qui conclut JUSTINE de Sade :
« Puissiez-vous vous convaincre avec elle que le véritable bonheur n’est qu’au sein de la vertu, et que si, dans des vues qu’il ne nous appartient pas d’approfondir, Dieu permet qu’elle soit persécutée sur la terre, c’est pour l’en dédommager dans le ciel par les plus flatteuses récompenses ! »
Justine est campée par Georgina Spelvin, une découverte de Gerard Damiano. Cette cantinière au physique quelconque de presque 37 ans lui tape dans l’œil alors qu’il avale son repas. Il lui propose le rôle et c’est la révélation, elle est de toutes les scènes, porte le film sur ses épaules, elle connaîtra d’ailleurs une belle carrière puisqu’elle tourne des longs métrages jusqu’en 2005, y compris pour le grand public (les POLICE ACADEMY dans les 80’s, la série DREAM ON durant les années 90). Les nombreuses scènes de sexe vont crescendo dans le graveleux (tout en utilisant avec un certain humour nombre de symboles bibliques) jusqu’à une double pénétration très relevée (en 1973 ce type de scène était plutôt rare). Le physique naturel de Georgina Spelvin contribue à l’étrange fascination qu’exerce le film sur le spectateur. Presque onirique, DEVIL IN MISS JONES est un défi au cinéma classique, à l’image, dans un tout autre genre, de SIX FEMMES POUR L’ASSASSIN (Mario Bava-1964) ou EL TOPO (Alejandro Jodorowsky-1970), ce long métrage défie les lois du cinématographe et s’impose, dès sa première vision, comme un classique.
Le final, stupéfiant, qui voit Damiano interpréter lui-même un fou obnubilé par les insectes, moralise toutefois l’ensemble. Justine voit son enfer matérialisé par une prison dans laquelle elle est enfermée, ardente, avec un dément plus intéressé par l’entomologie que par la bagatelle. Justine est donc prisonnière de son désir pour l’éternité, ce sera sa pénitence. Cette conclusion est une nouvelle fois la preuve éclatante de l’ambigüité du cinéma de Damiano, éternellement tiraillé entre émancipation et puritanisme. Cet ex-coiffeur devenu cinéaste tire de son expérience professionnelle passée une justesse d’analyse sans équivalent du désir féminin et livre avec DEVIL IN MISS JONES un long métrage singulier et particulièrement troublant : un classique !


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- Article rédigé par : Jérôme Pottier

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