Die 120 Tage von Bottrop

Un texte signé Éric Peretti

Allemagne - 1997 - Christoph Schlingensief
Interprètes : Volker Spengler, Margit Carstensen, Irm Hermann, Udo Kier, Martin Wuttke, Sophie Rois, Bernhard Schütz, Ilse Garzaner, Kurt Garzaner, Mario Garzaner, Jonny Pfeifer, Frank Koch, Christoph Schlingensief, Helmut Berger

En plus de nous avoir offert la joie de (re)découvrir sur grand écran la Trilogie Allemande de son auteur, les organisateurs de la onzième édition du Lausanne Underground Film & Music Festival, on décidé d’inclure dans la rétrospective Schlingensief son chef d’œuvre abrasif, DIE 120 TAGE VON BOTTROP.
En Allemagne, les années 60 voient apparaître une vague de jeunes réalisateurs qui refusent de se plier aux diktats commerciaux et envisagent un cinéma engagé socialement et politiquement. Les membres de ce Nouveau Cinéma Allemand, parmi lesquels on trouve Werner Herzog, Wim Wenders, Volker Schlöndorff et Rainer Werner Fassbinder, faisant fi des centaines de films produits et tournés dans le pays depuis 1946, déclarent ouvertement ne pas avoir eu de pères, juste des grands-pères. Laissant une trace indélébile dans l’industrie cinématographique allemande, ces cinéastes replacent le pays sur le devant de la scène mondiale et dominent le marché du film durant presque deux décennies. Mais avec le temps, le public se lasse et plébiscite les grosses productions américaines qui finissent par envahir les écrans. La plupart des réalisateurs de cette nouvelle vague partent travailler à l’étranger, ou diluent leur talent en tournant pour la télévision. La mort de Fassbinder, le plus emblématique et le plus prolifique d’entre eux, en 1982, sonne la fin de ce courant artistique, laissant un héritage culturel lourd à porter pour la génération suivante.
Christoph Schlingensief débute sa carrière au début des années 80, emploie régulièrement des acteurs de la « famille Fassbinder », et s’impose rapidement, hélas uniquement dans son pays, comme l’un des artistes les plus intéressants, mais aussi l’un des plus controversés. Si le fond de ses films rejoint ceux de ses aînés, la forme est autrement plus agressive et mêle souvent violence outrancière, sexualité débridée et hémoglobine. À l’approche du nouveau millénaire, souhaitant en terminer une bonne fois pour toute avec l’héritage du Nouveau Cinéma Allemand, Schlingensief, le fils rebelle, décide de tuer le Père, Fassbinder, quitte à devoir le ramener à la vie pour cela, dans un film somme qui lui permettra de vomir ce cinéma qui encombre sa vie, tout en lui criant son amour.
Pour la production du tout dernier film du Nouveau Cinéma Allemand, le producteur Volker Spengler décide réunir les anciennes actrices de Fassbinder, Irm Hermann et Margit Carstensen, dans un remake de SALÒ OU LES 120 JOURNÉES DE SODOME, d’après un scénario du physicien Stephen Hawkins, et qui sera tourné dans le chantier de Potsdamer Paltz. Originellement engagé pour réaliser le film, le réalisateur Christoph Schlingensief est remplacé soudainement par Sönke Buckmann, un déficient mental qui vient de gagner le prix du Meilleur Film Allemand, provoquant un chaos total et la confusion des actrices. Pendant ce temps, un agent aux ordres de Spengler sillonne Hollywood à la recherche de fonds pour financer le tournage, démarchant Udo Kier et Roland Emmerich, tout en tentant de convaincre l’ex superstar de Visconti, Helmut Berger, de faire une apparition dans le film.
Ramassé sur à peine soixante minutes totalement hystériques, DIE 120 TAGE VON BLOTTROP atteint magnifiquement son but en exaltant un cinéma aujourd’hui disparu tout en le brocardant. Le jeu des références devient vertigineux et mieux vaut posséder une solide connaissance de l’univers fassbinderien, au minimum, pour savourer l’hommage sans trop se perdre dans la folie qui imprègne le métrage. Ainsi, Margit Carstensen semble perdre la raison, retourne dans la peau de Petra von Kant et Martha, et pleure lorsqu’elle apprend que Fassbinder est mort. De son côté, Irm Hermann observe toute cette agitation avec circonspection, dépassée par les événements, elle tente de faire bonne figure face à un Volker Spengler autoritaire qui adoube un handicapé mental grimé en Fassbinder période LE DROIT DU PLUS FORT au poste de réalisateur. À l’autre bout du monde, Udo Kier, Roland Emmerich, mais aussi Kitten Natividad, refusent de participer au film. Et comme si cet énorme bordel d’apparitions ne suffisait pas, Schlingensief brouille les pistes en prenant un acteur pour jouer son rôle, alors que lui-même interprète l’homme de main de Spengler à Hollywood, et en donnant d’autres visages à Karl Lagarfeld, Leni Riefenstahl et Karl Heinz Böhm, lorsqu’il ne ressuscite pas Kurt Raab pour rappeler à quel point le monde du spectacle s’est détourné de lui à cause de sa séropositivité.
Mais il serait réducteur de ne résumer DIE 120 TAGE VON BLOTTROP qu’au seul univers de maître Rainer. Tourné avec très peu de moyens, dans des décors faits de bric et de broc, le film renvoie le spectateur cinéphile autant aux belles œuvres bricolées de Derek Jarman qu’à la folie créatrice du Fellini de 8½. Visuellement, le film s’offre volontairement une hideuse photographie pour mieux dénoncer certaines productions germaniques qui malgré leur budget boursouflé ressemblent à des téléfilms. S’inscrivant parfaitement dans la continuité de l’œuvre se Schlingensief, ce métrage détonnant ravira ses fans, mais risque bien de provoquer un sérieux mal de crâne au curieux qui tenteront l’aventure en ne pensant voir qu’un film trash de plus.


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- Article rédigé par : Éric Peretti

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