Don Quixote

Un texte signé Philippe Delvaux

Hong-Kong - 2010 - Agan (Ah Gan)
Titres alternatifs : Tang Ji Ke De
Interprètes : Guo Tao, Wang Gang, Karena Lam

Classique de la littérature, Don Quichotte a depuis les débuts du cinéma suscité l’intérêt des producteurs. Parmi bien d’autres versions, on retient celle du pionnier du cinéma d’animation Emile Cohl, celle d’Orson Welles (inachevée, mais terminée par Jesus Franco), celle de Pabst (1933), la première tentative avortée de Terry Gilliam (le documentaire LOST IN LA MANCHA) et une tripotée d’adaptations espagnoles. Par chez nous, on citera celle de Jean-Paul Lechanois (1963).

Mais Don Quichotte passé à la sauce du cinoche de Hong-Kong, voilà bien un projet qui suscitait des froncements de sourcils circonspects, voire carrément dubitatifs. C’est cette nouvelle version qui a cependant été présentée en avril 2012 dans sa version 3D à la trentième édition du Brussels International Fantastic Film Festival (BIFFF).

Et à l’arrivée, on obtient une jolie variation de l’épopée de l’aspirant chevalier errant et de son fidèle Sancho Pancha.

Michel de Cervantès ne se retournera en effet pas dans sa tombe à l’évocation de cette adaptation de son Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, quand bien même les scénaristes dérivent des mésaventures du roman. Ainsi, si la Dulcinée est fantasmée par le Don Quichotte de Cervantès, elle croise au contraire à plusieurs reprises la route de son avatar hongkongais. Et pour l’anecdote, par les hasards du sous-titrage, Dulcinée devient la paysanne Rosie, alors que dans le roman, « Rossinante » est… le cheval du héros.

Si la parodie du monde chevaleresque imaginée par de Cervantès apportait une touche de modernité à l’Espagne rigoriste du 17e siècle naissant, sa relecture Wu Xia fonctionne tout autant dans le contexte du cinéma asiatique contemporain.

De même que le roman se pose en remise en question de l’idéal chevaleresque alors en vigueur, le film commente avec ironie le genre de « capes et d’épées » qui fait florès à Hong-Kong depuis des décennies. La mégalopole a, on le sait, développé une très longue et très riche tradition du film de chevalerie, à un rythme que nos « capes et épées » européens n’ont jamais pu égaler. Et ce cinéma se base sur une abondante littérature populaire locale de chevalerie, qui puise tout autant dans d’incunables classiques que dans des auteurs plus récents. Cependant, la vision générale transposée sur grand écran reste le plus souvent portée par une idéalisation de la chevalerie chinoise. En résumé, de preux défenseurs de l’opprimé contre de vilains et riches dépravés. A ce titre, ce cinéma local populaire se rapproche plus des conventions théâtrales traditionnelle que nous connaissons par chez nous : plus allégoriques, ses personnages traduisent des idées, des valeurs ou des idéaux, bien plus que la subtile complexité humaine et ses nuances.

Dès lors, en reprenant ce personnage pétri d’idéaux oubliés et en complet décalage avec son époque, cette comédie offre un heureux contrepoint et une mise en perspective parodique du genre Wu Xia.

Le chevalier est un nigaud idéaliste tandis que son écuyer bénéficie d’un peu plus de jugeote, ou du moins de sens des réalités. Le réalisateur Ah Gan se moque de ces héros martiaux que l’on croise par palanquées dans trop de productions, ceux dont la parfaite maitrise des arts martiaux découle de la pureté de leurs valeurs et se découple de tout talent ou effort, ceux qui héritent du génie du combat transmis par un vieux maitre omnipotent. Ne suffit-il pas pour devenir ce combattant hors pair de débloquer, par quelques coups bien ajustés donné par le « sifu », les chakras qui vont libérer tout notre potentiel guerrier ? Indéniablement pense Don Quichotte, qui s’en ira trouver quelque vagabond pouilleux dans un temple, le confondant évidemment avec tel vieux sage et dont il se fera donner la bastonnade, convaincu ensuite de pouvoir en remontrer sans coup férir à tout épéiste croisant son chemin.

Pour autant, la parodie reste légère et ne décontenancera pas vraiment les amateurs de Wu Xia. Si on se rit des codes du film de chevalerie, on ne les en utilise pas moins. Le spectacle martial reste au rendez-vous.

Toujours au BIFFF, MR AND MS INCREDIBLES s’est donné comme une autre comédie hongkongaise – avec tous les tics humoristiques que ça suppose – tournant en dérision non plus les chevaliers, mais bien les super-héros du film d’art martial. Les super-héros étant à la fête ces dernières années, MR AND MS INCREDIBLES est à ce genre ce que DON QUIXOTE est au Wu Xia.

Pour le reste, on peut resituer DON QUIXOTTE à l’aune de quelques productions hongkongaises récentes présentées au BIFFF 2012.

A ce titre, on ne dira jamais assez combien l’arrivée des effets numériques à apporté à la fois des capacités nouvelles aux cinéastes, tout en leur permettant hélas aussi des délires d’un mauvais gout absolu. Le trentième Brussels International Fantastic Film Festival (BIFFF) a été le témoin de ce grand écart, présentant successivement le nouveau Ching Siu Tsung, jadis réalisateur d’HISTOIRE DE FANTOME CHINOIS, et ce Don Quichotte. Le dernier film fantastique du premier, THE SORCERER AND THE WHITE SNAKE, énième relecture de la légende du serpent blanc, s’effondre rapidement, noyé par le ridicule confondant d’effets spéciaux abominables, de choix artistiques douteux – une souris parlante – et d’acteurs figés prenant la pose sur fond vert. De son côté, Tsui Hark, sorti d’un réjouissant DETECTIVE DEE : LE MYSTERE DE LA FLAMME FANTOME, présenté au BIFFF 2011, s’égare avec FLYING SWORDS OF DRAGON GATE IN, succombant à son travers habituel de trop vouloir en faire.

Ah Gan, lui, évite ces écueils pour son DON QUIXOTE, bénéficiant d’une direction artistique autrement plus inspirée et d’un rythme plus posé. La 3D a en outre le bon goût de nous épargner ici un déluge d’objets à la figure tandis que le réalisateur laisse à ses acteurs de l’espace pour jouer, ce qui est bien le moins dans une comédie.

A propos de ces derniers, Gang Wang – notre Sancho Pancha, ici rebaptisé Sang Qiu – n’est pas inconnu des amateurs de ciné bis, qui ont pu l’apprécier dans le célèbre CAMP 731 / MEN BEHIND THE SUN (1988, Tun Fei Mou). Karena Lam, qui incarne Sang Cuihua – comprendre Dulcinée/Rosie – était à l’affiche de SOIE/SILK qui a tourné en festival en 2006-2007, notamment à Cannes… et au BIFFF. On l’a aussi vue dans le MONSTER (Gwai Muk, 2005) de Pou-Soi Cheang, qui se fera un nom l’année suivante avec DOG BITE DOG. Quand à Tao Gu, le Don Quichotte en titre, on l’a vu précédemment dans LA TISSEUSE (Quan ‘an Wang, 2009, sortie France en février 2010)

Sans relever du génie, on appréciera donc ce Don Quichotte comme un agréable divertissement, qui nous permet d’attendre la version de Terry Gilliam – qui par coïncidence était aussi présent au BIFFF 2012 – dont le financement s’est à nouveau évaporé il y a peu.

Retrouvez nos chroniques du BIFFF 2012.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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